Ce qu'il y a de bien dans les crises, malgré tout, c'est qu'elles rapprochent les gens. Elles font parler et socialiser, elles brisent la routine du quotidien pour nous mettre en face des enjeux de société. Cette énergie débloquée depuis quelques jours, il faut, une fois l'émotion retombée, la faire cristalliser, lui donner un sens.
À notre échelle, celle de jeunes de classe moyenne, habitant des centres urbains et exerçant pour la plupart des professions dites intellectuelles, on se pose beaucoup de questions par rapport à l’évènement : qu'est-ce que nous pourrions faire désormais pour que cela ne se reproduise plus et que le monde soit mieux qu'avant ?
Nous pensons que nous avons toutes et tous une certaine responsabilité (pas dans le sens « c'est notre faute », mais plutôt « on se doit doit d'agir ») et qu'il est bien trop dangereux de la déléguer entièrement aux autres : politiciens professionnels, banquiers, militaires, etc. Pourtant, c'est sur eux qu'on reporte généralement la faute : sur notre gouvernement, sur les médias, sur les autres peuples, sur les réseaux sociaux, sur tel groupe de personnes.
Nous faisons le constat que notre génération, dont une partie a été touchée ce vendredi 13 novembre, ne s'engage pas assez individuellement et collectivement pour créer un monde meilleur. Elle renie la politique, l'information et la vie citoyenne. Nous avons l'impression que notre seul statut réel et valable c'est celui du jeune consommateur, dans un pays sécurisé, dans une Union européenne protectrice, dans un monde où l'Histoire est finie et où il n'y a qu'à exister en toute insouciance. À choisir tel ou tel service, tel ou tel produit, tel ou tel spectacle, telle ou telle personnalité politique, tel ou tel compagnon, tel ou tel job, telles ou telles luttes et pétitions. Et on zappe si ça ne nous plaît pas.
C'est un beau et légitime programme, un beau mode de vie, mais qui ne peut marcher que s’il est global, soutenable (au sens environnemental notamment) et équitable. Et à ce titre, le compte n'y est pas.
Dès lors, tout en continuant à vivre notre amour, notre joie, notre culture, nos terrasses et nos voyages, il va falloir qu'on se bouge un peu, qu'on se reprenne en main, qu'on fasse de la politique, qu'on s'engage en fait.
Certains l'ont fait ces derniers jours en tentant de rejoindre l'armée ou en donnant leur sang, deux actes simples et concrets, mais qui ne sont pas les seuls outils pour changer des vies.
On peut s'engager premièrement en poursuivant cette vague de paix, de politesse, de simplicité, d'altruisme, d'ouverture, de confiance et de tolérance avec ses compatriotes, mais aussi avec les étrangers en France et avec les habitants d'autres pays quand nous sommes nous-mêmes des étrangers.
On peut aussi rejoindre l'une des 1,3 million d'associations présentes en France : aide à l'insertion, collectifs culturels, clubs sportifs, promotion du revenu de base, protection des lézards, associations contre la guerre ou pour les droits humains... Il y en a de toutes sortes qui attendent énergie et argent. N'oublions pas non plus les syndicats, qu'on peut investir, changer et défendre. Ce sont des structures collectives.
On peut s'engager dans la fonction publique, dans les métiers de l'éducation, de la santé ou d'autres domaines encore. On l'a bien vu. C'est un acquis à préserver. Il faut continuer à utiliser ces services publics et à en développer d'autres.
On peut se plaindre à juste titre de certains médias, mais personne ne nous oblige à allumer la télévision sur une chaîne d'information en continu. Éteignons-les. On peut être choqué qu'on parle plus des morts en France que des morts d'ailleurs, mais lisons la presse écrite d'information généraliste. Il y a tout les jours des articles sur l'actualité internationale, la géopolitique, l'économie, l'environnement et le social. L'information est là, c'est juste que nous ne la lisons pas. Abonnons-nous et faisons vivre des projets éditoriaux alternatifs. Il y en a plein en ce moment.
Soyons responsables quand nous devenons nous-mêmes un média : arrêtons de diffuser les rumeurs, faisons attention aux sources, aux raccourcis. Donnons du contexte à nos paroles et relativisons-les. De même, cessons de donner une place aux imposteurs, aux polémistes. Aux idées rétrogrades, alarmistes et réactionnaires : nous les connaissons toutes et tous, nous aimons bien les partager pour dire que nous ne sommes pas d'accord, qu'on a touché le fond, que c'est dangereux. Mais la seule existence de ces gens ou idées-là est due au fait que nous leur offrons une visibilité, un espace. Cela n'existe que comme ça. Ça nous tire vers le bas. On se flagelle avec une vision sombre et renfermée du monde qui nous rend fatalistes.
A contrario, pourquoi ne pas s'engager en étant plus optimistes, en partageant les bonnes recettes, les idées progressistes, les parcours et idées de gens qui réussissent, qui vont de l'avant, qui ont des projets et des initiatives ? Donner des perspectives positives autour de nous est un vecteur de changement.
Mais au-delà de ces quelques premières idées (cette liste est non-exhaustive et que nous invitons à la compléter), il y a 3 axes fondamentaux sur lesquels nous avons une vraie exigence d'engagement : l'économie, la finance et le politique. Ce sont 3 domaines où, a force de dire que ça ne nous intéresse pas, que ce n'est pas notre problème, nous avons complètement laissé le champ libre à des idéologies, des gens et des pratiques qui n'ont que trop peu de résistance mais un vrai impact sur nos vies.
L'économie d'abord, parce que c'est là que se jouent beaucoup des enjeux contemporains. Nous devons nous engager pour prendre en main l'économie : on peut le faire basiquement en étant consomm-acteur, en encourageant certaines entreprises (celles qui ne font pas d'évasion fiscale ou d'activités très polluantes par exemple). On peut soutenir par exemple l'économie sociale et solidaire et les coopératives qui ne sont qu'une réappropriation sociale et démocratique des entreprises, et par conséquent du travail. On peut se syndiquer, réfléchir à ses conditions, tenter d’exercer son métier avec éthique. On peut aussi entreprendre et créer son activité, son emploi et réaliser ses rêves. Devenir autonome. Développer une culture économique, et s'affranchir.
La finance, car on est en droit de s'indigner des stratégies et du pouvoir des banques et des fonds d'investissement. On doit se battre pour reprendre un contrôle collectif et démocratique de ces structures. Que la finance soit à notre service et non l'inverse. Nous n'avons pas la solution, mais nous pouvons chercher, apprendre, et par exemple rejoindre dès aujourd'hui des banques coopératives ou éthiques.
La politique enfin. On ne peut pas se plaindre de nos représentants si on ne les change pas en votant ou en agissant. Si on leur laisse un blanc-seing. On ne peut pas se désespérer de la qualité de l'offre politique si nous n'allons pas faire du lobbying, des manifestations, des actions. Il faut un contrôle citoyen du pouvoir dans nos institutions. De nombreuses personnes le font depuis des années. Pas besoin d'agir forcément au niveau national. À l'échelle d'une mairie ou d'une région, on peut proposer d'autres politiques publiques.
Si l'on veut avoir des représentants politiques non-professionnels à la hauteur et à notre image, il faut les choisir et les faire émerger via des partis politiques ou des listes citoyennes puisque notre constitution fonctionne ainsi. Engageons-nous en investissant ces partis, votons, soyons élus et prenons des responsabilités ! C'est indispensable si l'on veut notamment peser sur la politique étrangère et sur les missions régaliennes de l'État. Ce sont ces missions que nos représentants engagent justement ces temps-ci en notre nom. La politique est une chose beaucoup trop importante pour la déléguer aux mêmes personnes depuis trop longtemps. Nous constatons avec sidération le décalage entre une bonne partie de la classe politique et la réalité de nos souhaits et de nos vies. Notamment après le 13 novembre. Ils ne nous laisseront jamais la place si nous n'allons pas nous même la chercher. C'est scandaleux de dire que c'est n'est pas notre problème. C'est tout l'inverse.
Une société vit de rapports de forces, et non pas d'une construction binaire entre riches et pauvres, entre gouvernants et gouvernés. Il y a plein de logiques intermédiaires, transversales et parfois contradictoires qui nous déterminent. Nous sommes imparfaits, pleins de paradoxes et d'hypocrisies, mais nous avons le devoir de contribuer à ce rapport de force, à conjuger nos verbes avec « Nous ». Petit à petit, on peut faire un monde meilleur avec notre engagement. C'est être « citoyen », ce mot qui peut paraître plat et galvaudé, mais qui a tout son sens aujourd'hui : participer à la vie de la cité. Agir local et penser global. Pour ainsi continuer à vivre libres, égaux et fraternels, mais de manière inclusive et non aux dépens d'autres personnes. Nous n'avons pas la prétention que ça sera suffisant, sûrement pas, mais c'est nécessaire. Pour qu'après avoir dit à nos dirigeants « vos guerres, nos morts », on puisse clamer « nos paix, nos vies ». Universellement.
Texte soutenu le 23 novembre 2015 par Pierre, 27 ans, photographe ; Caroline, 30 ans, journaliste ; Pauline, 27 ans, responsable associative ; Olivier, 46 ans, photographe ; Marion, 29 ans, chargée de communication ; Melinda, 30 ans, journaliste indépendante ; Florent, 32 ans, chef de projet Web ; Olivier, 30 ans, réalisateur ; Alex, 28 ans, responsable associatif ; Solenne, 23 ans, comédien ; ...