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Billet de blog 7 novembre 2010

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Imprudence coupable

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Non Monsieur GUEANT !

Non, votre plainte déposée contre Mediapart n’enlèvera rien à vos propos choquants tenus à l’égard de leurs confrères journalistes de France 3, Stephane Ghesquières et Hervé Taponier. Dois-je rappeler ici dans ces lignes que vous aviez qualifié « d’imprudence coupable » le simple fait d’exercer le métier de reporter en Afghanistan ?

Ignoreriez vous que le 6 Juin 1944, là où des milliers de jeunes soldats issus des forces alliées périrent sur les plages de Normandie, se trouvèrent également, des correspondants de guerre, des photographes, des cameramen, des reporters ?

Auraient-ils eux aussi commis des « imprudences coupables » ?

Et le 16 Juillet 1942, vous ancien préfet de Police, comment qualifieriez-vous la curieuse absence de journalistes lors de la rafle du Vel d’Hiv, où des milliers de citoyens français furent entassés et traités dans des conditions inhumaines, parce qu’ils étaient juifs sans même disposer de l’hygiène élémentaire ? Etait-ce donc plus « prudent » que quelques journalistes ne se soient point trouvés là pour témoigner ? Dites le donc ! Eclairez nous !

Et les enfants brûlés au napalm dans des villages pendant la guerre du Viet-Nam ? Les citoyens du Monde auraient-ils su si des reporters n’y avaient pas été présents ?

Plus près de nous encore dans l’histoire et la géographie, à deux heures d’avion seulement de Paris : Que dire de Sarajevo ?

Où les journalistes travaillèrent avec des moyens de fortune pour transmettre leurs reportages, pour beaucoup au péril de leur vie ?

Que vous faut-il donc ? Des journalistes « embedded » dans les VAB de l’armée française , avec un plan de communication sous contrôle du SIRPA ?

En prononçant ces mots vous avez non seulement insulté la presse toute entière, mais en filigrane c’est le droit à l’information du citoyen que vous niez ainsi. Pire encore, c’est la crédibilité même de votre action pour libérer les otages que vous entamez ! Enfin, quel silence sidéral de votre part, s’ajoutant à la bourde médiatique du Président qui vient expliquer récemment au détour d’une question ne pas se sentir « concerné » par les cambriolages des journalistes du Point, du Monde et de Mediapart !

Cela fait beaucoup, Monsieur GUEANT !

Mais ajoutons encore l’affaire de la « géolocalisation » des journalistes de Mediapart dénoncée par eux-mêmes, qui a déclenché votre plainte, juste après les révélations de Claude Angeli du Canard enchaîné.

Tout d’abord cette réflexion. Si Claude Angeli s’est permis de commettre cet article, c’est que de bonnes sources il tient ses informations. Peut-être allez vous installer une cellule de surveillance à l'Elysée de la DCRI, car il semble que certains fonctionnaires aient des états d’âme, et qu’ils cherchent à le faire savoir… y compris au plus haut niveau del’Etat ?

Venons en à présent aux volets technique, juridique et politique de cette affaire :

Pour géolocaliser un téléphone portable, il faut savoir à quelles antennes relais BTS des opérateurs mobiles le téléphone en question accroche son signal de transmission. La densité des antennes relais BTS des opérateurs est proportionnelle à la densité de la population résidente dans une zone donnée, et il est vrai qu’en zone urbaine la précision de l’information obtenue ainsi est de l’ordre de cent à deux cents mètres.

En recoupant les informations des « fadettes » factures détaillées et les données de géolocalisation,vous pouvez donc savoir qui a appelé qui , à quel moment, pendant combien de temps et à quel endroit à quelques centaines de mètres près.

Pour autant, au plan juridique, pour que l’accès à ces informations soit légal, il me semble qu’il est nécessaire de présenter à l’opérateur une réquisition judiciaire en bonne et due forme. En clair, pas de réquisition judiciaire, pas de géolocalisation. C’est la Loi. Démentez moi si je me trompe. Interrogez donc Alex Türk à la CNIL...

Alors donc, si les journalistes de Mediapart ont été informés du fait qu’ils avaient été géolocalisés, c’est donc soit qu'on a cherché à les intimider en les intoxiquant, ou alors que des réquisitions judiciaires ont été rédigées les concernant. Si tel est le cas, il en reste forcément des traces…A partir de là de deux choses l’une :

Soit il n’y a pas eu de réquisitions judiciaires, malgré la géolocalisation, et c’est illégal.

Soit il y a eu réquisitions judiciaires. Dans ce cas, pour quelles motivations ? En quoi Fabrice Lhomme et Fabrice Arfi mettaient en péril la sécurité de l’Etat au point de devoir faire l’objet d’une géolocalisation ?

Je conclurai au plan politique en observant que chaque jour qui passe, la popularité du Président au pouvoir s’effrite, le climat social se tend durablement, la situation économique se dégrade, les journalistes font l’objet d’intimidations, de placements en garde à vue, de cambriolages, et pour finir Stephane et Hervé croupissent toujours quelque part en Afghanistan. Jusqu'à quand ? Les reverrons-nous comme par enchantement au 20 h de TF1 sur le tarmac de Villacoublay trois mois avant les élections présidentielles de 2012 ?

Et combien de citoyens, placerez-vous en garde à vue encore pour vous donner l’impression que vous maîtrisez une situation qui vous échappe ?

Au cynisme de vos propos concernant Stephane et Hervé, vous venez d’ajouter une « imprudence coupable » à mes yeux :

Celle d’avoir porté plainte contre Mediapart.

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