Je me souviens de Woerth...
Il y avait du monde à table, beaucoup de monde et j'attendais avec impatience la "mousse au chocolat du Fritz" ! Les grands parents fêtaient leur cinquante ans de mariage... et moi j'avais 7 ans 8 ? Guère plus dans ces débuts des années 70...
Chez les "Bender" qui tenaient le "restaurant sans alcool", on venait de partout en Alsace, mais aussi d'Allemagne pour se régaler des "truites aux amandes" tant la réputation du restaurant dépassait les frontières. Et nous venions de Metz... en voisins lorrains après deux heures de route !
Pas d'alcool dans ce restaurant ? Une folie ?
Non, en fait on y buvait bien du Riesling de la marque "Listel", mais en jus de raisins, et j'étais fier de boire la même boisson que celle des adultes !!! Et surtout quel régal ! (Mais bon sang, que l'attente du dessert est longue, j'attends "la mousse du Fritz" moi !)...
La mère Bender avait décidé d'ouvrir ce restaurant sans alcool lorsqu'elle avait vu les ravages des beuveries des soldats pendant la guerre :
"Si je sors vivante de la guerre, c'est promis ! J'ouvre un restaurant sans alcool". Et ce ne fût pas une promesse d'ivrogne... D'après mes recherches sur google, le restaurant existe toujours !
Les truites ? "T'as juste à traverser la rue et les attraper avec la main pour les manger ici après" aimait à me dire Fritz avec son accent alsacien qui portait fort depuis la cuisine jusqu'à la salle du restaurant... Il aimait bien me taquiner en me disant : "Tu ne parles pas alsacien ? Alors t'es un pt'it français de l'intérieur"... Et moi de courrir voir mon père /
"Papa, c'est quoi un français de l'extérieur alors ? Un alsacien ?"
Bizarre cette région tout de même, chamboulée par la géographie et l'histoire ... Trois guerres en cent ans ! 1870, 14-18, 39-45...
Je reluquais à travers les vitres du réfrigérateur sous le comptoir les mousses qui trônaient côte à côte. Parce qu'il faut vous dire que c'est un monument "une mousse du Fritz !" Imaginez un peu :
Une mousse au chocolat, dans un saladier, prise au frais sous une couche de cacao fondu nappé au fond du saladier... Avec le choc thermique, le nappage durcissait et garantissait un démoulage parfait, gage du croquant de la croûte mêlé au fondant de la mousse !
Fritz m'avait tout expliqué, je l'avais regardé longuement en cuisine grâce au passe-droit des grands parents devenus amis des "Bender" à la longue...
Mais que c'est long d'attendre... pff ! Une fois le plat de résistance terminé, j'allais donc voir les truites... autorisé à sortir de table, traverser la rue où il ne passait que trois voitures à l'heure à midi, mes parents bien contents de se retrouver un peu seuls...
On les voyait onduler tant l'eau était claire, transparente...
Et j'attendais... le regard perdu, la tête dans les bras posés sur la rambarde en attendant "la mousse du Fritz..."
On sentait le bonheur simple des choses éternelles. Pourtant Woerth était un petit village d'à peine 1000 âmes sur une terre de souffrance, dans le nord de l'Alsace, près de Reischoffen et de sa célèbre bataille...
"C'était un soir, la bataille de Reischoffen..." 1870 n'évoquait pas grand chose pour moi, un centenaire m'en séparait mais entendre les aînés s'amuser en chantant me faisait penser que c'était bien curieux la guerre...
Car même sans alcool les alsaciens sont gais, et bruyants surtout à table. Je me souviens encore du "Hans" dans leur hymne régional :
"Der Hans im Schnokeloch saat alles, was er will !"
Et ne leur dites pas que c'est de l'Allemand ! Ils vous fusilleraient du regard. La chanson dit ceci :
"Le Jean du Schnokeloch il dit tout ce qu'il veut, et tout ce qu'il dit il ne le croit pas et tout ce qu'il pense il ne le dit pas, Le Jean du Schnokeloch il dit tout ce qu'il veut !"
Comme c'est amusant ! Cette chanson me fait penser bien des années plus tard aujourd'hui à un autre Woerth...
"Je n'ai rien à ma reprocher, tout ceci est faux et archifaux..." le Hans im Schnokeloch de la chanson... c'était donc lui !
Mais où est donc ma mousse du Fritz !!!! ?
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