Lorsque j'entends parler "d'origine étrangère" dans un discours de la plus haute autorité de l'Etat, qu'il a pour conséquence d'officialiser et d'encourager le processus de "partition" de la société qu'il sous-entend insidieusement dans les faits, je ne peux m'empêcher de penser à l'Afrique du Sud de l'apartheid, ou aux Etats-Unis de la ségrégation.
Même si cela n'est pas comparable, même si la culture et l'histoire de ces deux pays sont différentes de la nôtre il y a quelque chose de l'ordre de la régression historique dans la France d'aujourd'hui si on la replace dans le contexte des nations à l'échelle de la planète au XXIe siècle, celui de la mondialisation et du métissage culturel.
Régression est bien le mot, tant la "déchéance" signifie une privation postérieure à un ensemble de droits préalablement acquis justement du fait de la naissance sur le sol du territoire national.
Permettez moi donc un "retour en arrière" ailleurs qu'en France, aux Etats-Unis, dans l'Amérique de Martin Luther King. Pas celle d'Obama. Je voudrais vous parler de Nina Simone.
Nina Simone a voyagé beaucoup dans sa vie. Et ces voyages, grâce à la musique, correspondent à une quête identitaire, depuis l'Amérique ségrégationniste jusqu'à l'Afrique de ses ancêtres... "Roots" est le film symbole qui lui conviendrait probablement.
Eunice Kathleen Waymon, était la fille de deux descendants d'esclaves. Née en 1933 en Caroline du Nord, très tôt elle apprit que les études classiques de piano ne lui étaient pas accessibles, au plus haut niveau. En 1943 la petite Eunice fut surprise lorsqu'elle donna un concert où elle vit des blancs demander à ses parents de "dégager" du premier banc...
Cependant les femmes ont joué un rôle important dans son éducation artistique. Elle fut remarquée par Mrs Miller qui organisa un fonds pour financer ses études de piano et la confia à "Miss Mazzy" qui devint une seconde mère pour la petite Eunice, sa "mère blanche".
Et c'est de concerts en concerts, que l'argent venait pour financer les études, jusqu'aux portes du "Curtis Institute", le Panthéon des études de musique classique... où Eunice échoua. Non en raison de ses performances musicales...mais à cause de sa couleur de peau. Non décidément dans cette Amérique ségrégationniste, Eunice ne deviendrait pas la première concertiste noire des Etats Unis.
Dans les années soixante-dix, elle donna un concert où elle interpréta une chanson qui résume tout ceci. Celle qu'on appelle désormais Nina Simone énumère dans un premier temps tout ce qu'elle n'a pas du fait de la ségrégation, puis tout ce qu'elle a, comme tout être humain. Ecoutez bien, probablement la plus belle chanson sur la lutte des afro-américains dont j'ai souhaité vous reproduire ici et traduire les paroles dans le fichier attaché.
Nina Simone a quitté le Etats-Unis à la fin des années 70, dégoutée selon ses propres termes d'avoir "vu le mouvement des Civil Rights recyclé dans le disco".
En 1978, elle fut arrêtée car elle avait refusé de payer ses impôts dans l'Amérique de Nixon qui partait en guerre au Viet-Nam, au début des années 1970. Relachée, rebelle et apatride dans l'âme comme elle le dit dans sa chanson "Aint' got" elle partit à la Barbade, puis au Liberia pendant quatre ans sur les traces de ses ancètres... puis en Europe, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Pologne en Belgique pour finir... par la France, où elle s'installa près d'Aix en Provence pour couler ses derniers jours... le plus paisiblement possible...
Nina Simone nous a quitté, un beau jour de 2003... dans sa maison de Carry le Ruet.
Cette grande dame de la musique a été exaucée dans ses dernières volontés :
Ses cendres ont été répandues dans plusieurs pays d'Afrique.
Si elle avait été encore parmi nous, je serais bien curieux de savoir ce qu'elle aurait pensé du discours de Grenoble...
Au delà du souvenir qu'elle m'inspire, je voudrais entendre des chanteuses et des chanteurs engagés d'aujourd'hui, libres de pensée et de parole, qui s'affranchissent de directeurs artistiques qui ne songent qu'au marketing. Je voudrais qu'ils prennent la place qu'ont leur refuse pour des motifs commerciaux et politiques dans les media classiques. Internet là encore a son rôle à jouer.