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Billet de blog 4 novembre 2019

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Fuck le 17: une polémique trop familière?

Dès le lendemain de la sortie du clip «Fuck le 17» par le groupe 13Block, des voix se sont élevées dénonçant le message à l'égard des forces de l'ordre. Cette polémique est loin d'être un cas isolé et rappelle l'histoire tumultueuse des relations entre le hip-hop et la police, et nous rappelle qu'encore aujourd'hui, le traitement du mouvement par les médias reste tâché d’ambiguïtés.

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Difficile de passer à côté de la vague d’indignation qu’a suscité la publication du clip « Fuck le 17 » du groupe 13 Block vendredi 1er novembre (BFM TV, Le Parisien, 20 minutes). Alors qu’Éric Morvan, directeur de la police nationale parle de « provocation à la haine anti-flics », de « glorification du communautarisme » ainsi que d’un « machisme pitoyable », le secrétaire d’Etat à l’intérieur, Laurent Nuñez évoque quant à lui « une atteinte grave aux valeurs républicaines ». Retweeté par le ministère de l’intérieur, le post d’Éric Morvan, promettant d’ailleurs qu’il fera « le nécessaire », lance officiellement le top départ pour plusieurs jours de polémiques autour de l’image du hip-hop, de la défiance envers les forces de l’ordre, et plus largement de la liberté d’expression.

C’est pourtant loin d’être la première fois qu’un morceau de hip-hop se prononce ouvertement contre les forces de l’ordre. Dès 1988, le groupe américain N.W.A générait une forte polémique avec le morceau « Fuck Tha Police », et dès 1993, le groupe français NTM était en proie avec la justice pour le morceau « Police ». Sans perdre de vue les nombreuses différences de contexte entre les Etats-Unis et la France entourant le hip-hop et les polémiques y étant associées (poids des questions raciales dans la ségrégation, primauté absolue donnée à la liberté d’expression etc.), certains parallèles dans l’histoire tumultueuse des relations entre le hip-hop et la police en France et aux Etats Unis permettent de mieux comprendre les enjeux autour de la polémique liée au clip de « Fuck le 17 ».

Comparé dès sa sortie avec le morceau d’N.W.A (Interlude),  « Fuck le 17 » permet de rappeler que la discrimination permanente décrite par les artistes de Sevran est loin d’avoir disparue depuis presque 30 ans, mais également qu’il est plus facile pour les médias d’évoquer la polémique des Suicidez vous à propos du morceau que les multiples affaires de violence policière. S’il n’est plus rare d’entendre certains observateurs parler du hip-hop comme une musique populaire et acceptée du grand public, à l’image de l’introduction d’une catégorie « album rap » pour les Victoires de la Musique 2019[1], la polémique entourant le clip « Fuck le 17 » rappelle combien cette acceptation du hip-hop est aussi différenciée que le traitement de certains médias vis-à-vis des affaires d’actualité.  

Rappeurs/ police : une dénonciation historique

Rappeler la posture historique des rappeurs à l’encontre de la police relève d’une banalité. Au-delà de N.W.A avec « Fuck Tha Police » en 1989, le morceau phare du groupe Public Ennemy la même année, « Fight The Power » fait état des mêmes réalités, au même titre que le morceau « Word of Wisdom » du rappeur 2pac en 1991. En France, si le morceau « Police » de NTM en 1993 a fait couler beaucoup d’encre, le morceau « Sacrifice de Poulets » du groupe Ministère A.M.E.R en 1995 pourrait également être évoqué, ainsi que « Si tu kiffes pas » de Lunatic en 2000, pour n’en citer que quelques-uns.

Au-delà de la stigmatisation géographique des populations racisées et socialement défavorisées, ainsi que de la discrimination socioéconomique globale dont elles sont victimes, ce sont les violences policières systématiques et l’acharnement des forces de l’ordre qui sont rappelés dans l’ensemble des morceaux évoqués. Alors que le slogan « Black Lives Matter » se fait à nouveau prégnant suite au meurtre de De’Von Bailey en août dernier par un officier de police américain (Le Parisien), le traitement différencié des populations des quartiers populaires est régulièrement rappelé en France, ne serait-ce que par l’usage d’armes spécifiques par les forces de police (l'Humanité).

L’impunité des forces de l’ordre est également dénoncée dans les morceaux précédemment évoqués. L’acquittement des policiers suite au passage à tabac de Rodney King en 1992 avait suscité une immense vague de révolte à Los-Angeles, ainsi que la mobilisation de nombreux artistes, tant américains (Ice Cube 1992, 2pac 1993, etc.) que français (Assassin 1995, Ideal J 1998, etc.). En France, l’affaire Adama Traoré ou celle de Théodore Luhaka, ont également généré d’importantes manifestations, ainsi que la mobilisation du monde du hip-hop, à l’image du concert organisé en 2017 à la Cigale en hommage à Adama Traoré. Si dès 1982, le clip du morceau « The Message » de Grandmaster Flash rappelait les violences policières, il est clair que la dénonciation des abus de pouvoir des forces de police fait partie intégrante de la culture hip-hop.  A presque 30 ans d’écart, il est frappant et regrettable de constater combien les revendications font état des mêmes réalités.

Rappeurs/ police : des conflits juridiques

Alors que le morceau « Fuck Tha Police » a amené le label du groupe N.W.A à être contacté par le FBI en vertu d’une « incitation à violence sur personne dépositaire de l’autorité publique », le groupe NTM s’est vu condamné à 6 mois de prison dont 3 fermes et une interdiction d’exercer leur métier pendant 6 mois pour outrage à la police en 1996  suite au morceau « Police» (Libération). Le groupe La Rumeur a quant à lui dû attendre 8 ans de procédure judiciaire pour être relaxé suite au procès intenté par Nicolas Sarkozy à l’un de ses membres pour « diffamation envers la police nationale », à propos d’une interview donnée dans un fanzine de l’époque. Il est peu risqué d’attendre une condamnation de ce type du groupe 13 Block, compte tenu des déclarations récentes des représentants du Ministère de l’Intérieur et de la police nationale.

Si peu de choses semblent avoir changé dans le quotidien des habitants des quartiers populaires vis-à-vis des forces de police, si une justice à deux-vitesses se fait encore sentir dans les systèmes judiciaires américains et français entre les forces de l’ordre et certaines populations, le traitement judiciaire des artistes hip-hop ne semble pas non plus avoir tant évolué. Au-delà du traitement que peuvent en faire des quotidiens comme Valeurs Actuelles, faut-il alors s’étonner que les médias généralistes surfent autant sur la publication du clip « Fuck le 17 ? » ? Il semble plus légitime de rappeler qu’à l’heure où de nombreux rappeurs sont invités sur des plateaux de télévision aux heures de grande écoute (On n'est pas Couchés, Salut les Terriens), certains artistes hip-hop sont quant à eux cantonnés à un traitement médiatique pour le moins davantage réprobateur. Le journaliste Olivier Cachin rappelle combien historiquement, la réception du mouvement s’est souvent cantonnée aux violences :  « les grands médias n’abordent souvent le rap que sous l’angle de la violence urbaine, des insultes proférées » (Le Temps, 2015)[2].

Quoi qu’il en soit, alors qu’N.W.A figure aujourd’hui dans l’imaginaire collectif comme l’un des plus grands groupes de hip-hop américain, et que le groupe NTM continue de remplir des stades entiers quinze ans après leur condamnation, reste à savoir si la condamnation potentielle du groupe 13 Block les empêchera de rentrer dans la légende.

[1] En 2018, la victoire du rappeur Orelsan, et l’absence de certains artistes au sein des nominés avait ravivé la polémique d’une compétition effectuant une sélection préalable dans le type d’artistes à même de participer.

[2] Le même journaliste revient d’ailleurs sur la dualité de la réception des artistes hip-hop par les médias et l’industrie musicale, en se rappelant du premier succès commercial du rap français, le morceau « Bouge de là » de Mc Solaar en 1991, lequel était joué dans des radios prestigieuses comme NRJ : « c’était le côté lui il est gentil tandis que les autres sont méchants » (La Sauce), rappelant qu’aujourd’hui encore, certains artistes connaissent un traitement privilégié dans le traitement médiatique qu’on leur accorde.

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