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Alors que le gouvernement organisait le Grenelle contre les féminicides en septembre dernier, et dans un contexte ou les revendications pour la sécurité et le droit des femmes sont plus fortes que jamais, il est une mesure dont on parle peu, celle de la féminisation du nom des rues. Si certains soulignent l’éveil récent de certaines collectivités ainsi que la dimension symbolique dans le choix du nom des rues (Slate), seules 12% des voies parisiennes portent aujourd’hui le nom d’une femme. En ayant œuvré pour doubler cette proportion depuis 2001, la Ville de Paris s’engage fortement pour renverser cette tendance, mais en matière de sécurité et de droit de femmes, la féminisation du nom des rues demeure circonscrite au domaine symbolique. Au-delà de la toponymie des rues d’une ville, son aménagement joue un rôle prégnant dans la reproduction des inégalités femmes/ hommes, amenant à la prise en compte progressive des questions de genre en urbanisme. Plus largement, la sécurité et de droits des femmes dépasse le domaine de l’aménagement et interpelle ceux de l’insertion professionnelle et sociale.
Féminisation du nom des rues : l’accélération du processus à Paris
Souvent issu d’une proposition émise en conseil de quartier, le changement de nom d’une voie doit être proposé à la Commission de dénomination des noms de rues qui étudie sa mise en œuvre, et validée par le Conseil de Paris avant d’être effectif. Engagée en 2001 sous Bertrand Delanoë, la féminisation du nom des rues s’accélère fortement à partir de 2008, date à laquelle Anne Hidalgo endosse le rôle d’adjointe à l’urbanisme, puis à partir de 2014 lors du changement de mandature. Avec Catherine Vieu-Charrier comme présidente de la Commission de dénominations des noms de rue, la nouvelle mandature souhaite poursuivre et accélérer la tendance engagée, et plus de 150 noms de voies sont attribués à des femmes 2014. La féminisation du noms des rues n’émane pas seulement de l’Hôtel de Ville, comme l’ont rappelé les collectif Osez le féminisme ou #Noustoutes, avec le recouvrement des plaques officielles par des affiches arborant le nom de femmes.
Féminiser le nom d’une rue n’est pas chose facile. Comme le rappelle une conseillère de Paris, changer le nom d’une rue implique d’innombrables démarches administratives pour les résidents (réinscription sur les listes électorales, mise à jour de l’adresse auprès de la sécurité sociale etc.) : « ce sont des démarches lourdes et c’est le frein principal » (entretien, 09.10.2019). Pouvant susciter l’exaspération des habitants, l’ampleur de ces démarches explique que la majorité des attributions de noms de rues à des femmes porte aujourd’hui sur de nouveaux espaces ou des lieux non habités, tels que des quais ou des espaces verts. Se pose alors la question de la géographie du nom des rues à Paris : se dirige-t-on vers une ville à deux vitesses, avec des noms essentiellement masculins dans le centre historique, et une toponymie plus féminine dans les espaces périphériques, souvent moins prestigieux dans l’imaginaire collectif ?
Quoi qu’il en soit, la féminisation du nom des rues fait l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques, comme le rappelle une autre conseillère de Paris : « ce n’est même pas une question de couleur politique, tous les arrondissements y participent » (entretien 10.10.2019). Démarche symbolique visant à rééquilibrer un écart révélateur de l’inégalité historique entre les femmes et les hommes dans notre société, la féminisation des noms de rues ne permet pourtant pas de lutter contre l’ensemble des discriminations que subissent quotidiennement les femmes en ville.
Au-delà des noms, la ville dans son ensemble
Si tout le monde ne peut qu’applaudir la féminisation du nom des rues, l’émergence de la question du genre dans l’aménagement des villes permet de mettre cette démarche en perspective, et rappelle combien l’urbanisme a historiquement occulté la question du genre. Jusqu’ici réservées au monde universitaire, avec les travaux de Jacqueline Coutras à la fin des années 1990, Marylène Lieber (2008) ou Claire Hancock (2016), ces réflexions amènent désormais certains acteurs spécialisés comme la plateforme Genre et Ville à mettre en oeuvre des actions avec les collectivités, notamment en matière de mobilier urbain, d’éclairage, ou de déplacements. Une députée UDI regrette cependant le retard pris par les acteurs de l’aménagement dans ce domaine : « c’est assez récent que l’on se pose la question et qu’on se donne des objectifs de non-discrimination de l’espace (...) la mise en pratique de cette vision urbanistique et architecturale n’est pas suffisante” (entretien 19.10.2019). La Ville de Paris semble aujourd'hui avoir intégré ces réflexions, à l’image du guide méthodologique visant à l’émergence d’une référentiel commun pour l’aménagement des espaces publics, ou encore la prise en compte du genre comme critère éliminatoire dans le cadre de l’appel à projet « Réinventions nos places ». Les enjeux de sécurité et d’égalité femmes/hommes se lisent également dans l’appropriation des espaces publics, et à ce titre, l’organisation de marches exploratoires entend favoriser leur réinvestissement par les femmes.
En matière de sécurité et de droit des femmes, l’aménagement des villes a cependant des effets limités ; les inégalités femmes/hommes ne relèvent pas seulement de l’urbanisme et sont à trouver dans le monde professionnel, médiatique, culturel ou politique. Les évolutions législatives des années passées (2010, 2011, 2014) ont participé faire émerger ces questions au sein du débat public, et comme les mesures prises par le gouvernement à la suite du Grenelle contre les féminicides, certaines avancées ont pris place en matière de sécurité (ouverture de places d'hébergement supplémentaires, bracelet anti-rapprochement, audit dans certains commissariats). La députée UDI regrette néanmoins le retard pris par le législateur en la matière : “nous politiques, n’avons pas su mettre en œuvre tous les moyens utiles à la protection des victimes” (entretien 19.10.2019). A travers la création d’établissements comme la Cité de l’égalité et du droit des femmes en 2019, l’ouverture de la 3000ème place de crèche depuis 2014, ou encore l’augmentation des subventions allouées aux associations œuvrant pour la sécurité et l’insertion sociale des femmes, l’Exécutif parisien accorde une place de choix à la sécurité et au droit des femmes dans sa politique locale. Reste à savoir quelle sera la place accordée à ces enjeux dans les prochaines campagnes municipales, alors que le silence des futurs candidats se fait encore très prégnant à ce jour.