En Algérie, plaidoyer pour un «théâtre commando»
- 26 août 2009
- Par Pierre Puchot
- Blog : Ailleurs, ailleurs
Placé en garde à vue cet été par la police algérienne pour avoir donné une lecture de sa dernière pièce de théâtre, l'écrivain et journaliste au quotidien El Watan, Mustapha Benfodil (avec lequel Mediapart a publié un grand entretien après la réélection du président Bouteflika) raconte pour Mediapart son projet littéraire et politique et la répression à laquelle il fait face à Alger :

Tout cela pour dire que mon théâtre est pas mal considéré à l'étranger et que mon écriture dramatique commence à être « prise au sérieux » par les milieux du théâtre, en France et ailleurs. Seulement voilà : dans mon propre pays, je n'ai aucune possibilité de porter mes textes à la scène, sachant que le théâtre est un genre « oral » qui eût pu assurer une plus grande diffusion aux textes de création dans mon pays si nos théâtres « officiels » n'avaient pas la fâcheuse manie d'exclure systématiquement les écrivains «vivants », et tout particulièrement ceux qui sentent le « souffre ». C'est ainsi que des dramaturges entiers sont, sinon bannis, à tout le moins ignorés et superbement snobés. Je pense à Aziz Chouaki, à Maïssa Bey, à Arezki Mellal, à Djalila Hadjar Bali, à Moyha, à Mohamed Kacimi, à Noria Adel, et j'en passe...Même le théâtre de Kateb Yacine demeure ignoré du large public et lâchement escamoté pour être passé sous les fourches caudines de la censure sous tous ses formes.
Voilà donc le premier « mobil » qui m'a poussé à lancer ce cycle : casser la médiation des « opérateurs culturels » et de la bureaucratie des théâtres d'Etat devenus des théâtres courtisans, et aller directement à la rencontre du public, et ce, sans demander l'avis ni l'aval d'aucune autorité.

Si mes deux premières lectures se sont déroulées sans heurt, la troisième qui avait pour théâtre le site antique de Tipaza, et qui a eu lieu le 13 août 2009, a été interrompue par la police, avant de me voir embarqué à la préfecture de police pour m'expliquer sur mon action et sur mon théâtre. Cette attitude liberticide est évidemment loin de me dissuader de continuer, d'autant plus que cette réaction épidermique de l'Autorité m'a valu une très grande chaîne de solidarité. A présent, je peux compter sur des milliers de lecteurs qui ne demandent qu'à sortir dans la rue crier leurs poèmes, jouer leur musique, gueuler et dégueuler leur trop plein de colère. Aussi, sachez que je m'apprête à organiser une grande Lecture Sauvage, le 5 octobre, à la Place des Martyrs, place forte d'Alger et hautement symbolique au même titre que la date choisie, et qui correspond à l'intifada d'octobre 1988 qui a permis le déclenchement du processus démocratique en Algérie.
Manifestement, nos matons n'ont pas reçu le fax les informant que les Algériens sont libres et indépendants depuis 1962. Par mon action, je m'attache juste à le leur rappeler...»
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