Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

Abonné·e de Mediapart

74 Billets

7 Éditions

Billet de blog 6 septembre 2009

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

Abonné·e de Mediapart

L'Ange de la vie...(*)

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En cette fin de journée de septembre, une légère brise embaume la véranda de jasmin et de chèvrefeuille. De la pièce d’eau monte une moiteur bienfaisante qui préserve de la fraîcheur crépusculaire. Pierre, son épouse Marie, Alice et Fabrice leurs amis, profitent des derniers rayons de soleil après le dîner. Alice est journaliste de presse écrite, « fait-diversier » comme elle se dénomme. Depuis une dizaine d’années qu’elle exerce, des postes plus prestigieux lui ont été proposés. Elles les a toujours refusés : « J’aime le fait-divers car c’est la réalité du monde au quotidien… Et puis pour le journalisme d’investigation il n’y a ni meilleure école, ni meilleur terrain » a-t-elle coutume de dire. Fabrice, lui, est photographe au talent reconnu. Il revient d’un « théâtre d’opérations » , euphémisme utilisé par ceux qui vivent en paix pour désigner un lieu de la planète où la guerre fait rage. Interviewé, dès son retour, au Journal télévisé sur les progrès actuels en matière de systèmes d’armes qui permettraient une guerre « plus propre » , il répondit : « vous savez, la guerre, vous avez beau la laver avec les meilleurs agents blanchissants, y adjoindre des adoucissants, elle reste sale, d’une saleté mortelle ! » Comme tous ceux et celles qui ont côtoyé la mort, il ne raconte pas. Point de récits héroïques, seules ses photos « parlent ». Ce dont il a été témoin et ce que, parfois, il a subi,… eh bien, il essaye de vivre avec, tant bien que mal… Pourtant, ce soir là… Le soleil s’est couché. Dans la pénombre, Fabrice s’intéresse à une patrouille de colverts qui prennent possession du plan d’eau. Lui, d’ordinaire silencieux, se prend à marmonner : « Ces canards qui arrivent en planant me font penser à mon ange… » - « Ton ange ? » s’étonnent les autres, sauf Marie qui croit à l’existence des anges. – « J’ai bien dit Mon ange,… mon ange gardien ! » Sous le coup de la surprise ( est-ce un gag ? ), Alice se retient de rire, mais cette histoire d’ange pique sa curiosité : « Raconte nous,…tu l’as rencontré ? » Fabrice remarque qu’Alice a du mal à garder son sérieux : « Ca a l’air d’une blague,… n’empêche qu’il m’a sauvé la vie plus d’une fois ! » -« Où ça et comment ? » - « La première fois c’était à Beyrouth en 1974, pendant la guerre civile par milices interposées. Je voulais absolument prendre une photo des avants postes de l’un des camps, à hauteur de la place des Musées. J’avais soudoyé un petit chef de bande qui trafiquait avec chacun des adversaires. Eh oui, la guerre civile est loin d’être claire et… elle fatigue. L’intendance, la logistique ne suivent pas. Alors on décrète des trêves « utiles », pas officielles, non, des trêves de coins de rues au cours desquelles les ennemis font du troc : des chargeurs , M 16 contre Kalachnikov, cigarettes contre alcool, farine contre sucre, médicaments etc. » « Mais comme cela se passe en Orient, il leur faut respecter les apparences. Alors les belligérants traitent par l’intermédiaire de ces bandes de gamins armés qui pillent, rançonnent les habitants et…ravitaillent tous les combattants contre protection et impunité…- « Mais c’est horrible ! » s’exclame Marie. –« C’est la guerre ! » répond Fabrice qui enchaîne : « J’étais du côté des milices du nord de la ville mais je ne pouvais pas prendre le risque d’être reconnu par ceux de l’autre camp ,... l’avant-veille j’étais avec eux, ils ne m’auraient pas raté ! J’avais réussi à atteindre la toute première ligne de front. Il était onze heures du matin et le petit chef de bande m’avait annoncé un cessez-le-feu « utile » prévu pour 11 heures 15, la reprise des hostilités devant reprendre à 14 heures,…théoriquement. Bien sûr, c’était à mes risques et périls ! » Un silence,… tous fixent intensément Fabrice car c’est la première fois qu’il se confie ainsi. Son regard porte loin, au-delà du paysage : « Je me glisse sur ce qui reste de la banquette arrière d’une Oldsmobile. Elle constitue le sommet d’un amoncellement de carcasses de voitures qui forme la première ligne de défense du front. De la portière gauche, j’ai une vue remarquable sur les avants postes adverses. La lumière est bonne , je prépare mes appareils, un pour le noir et blanc, l’autre pour la couleur… Ca canarde dur ! » « Soudain, la fusillade cesse à l’unisson Ne me parviennent que les détonations assourdies provenant d’autres quartiers. Je vérifie à ma montre : 11 heures 15, pile ! J’attends une dizaine de minutes, pour laisser ce silence se « stabiliser », puis je bouge mon bras droit. Dans la seconde, une première rafale crible le capot de l’Oldsmobile. J’essaye de localiser le tireur : il semble être au 3ème étage d’un immeuble éventré, sur ma droite. J’essaie de changer de position quand une seconde rafale, plus précise, fait exploser le tableau de bord. Ca y est, me dis-je, la prochaine est pour moi ! Et je murmure : « A la grâce de Dieu» « Dans les avants postes, à trente mètres de là, ça s’engueule ferme. La trêve risque de s’interrompre. Soudain, surgissant de nulle part, un ballon de plage, rouge et vert, rebondit dans le no man’s land et roule jusqu’à une buse en béton, vestige incongru d’un chantier de paix. Des deux côtés me parviennent des rires, puis les départs de courtes rafales. Je me recroqueville, mais rien ! Je risque un œil au ras de la portière et là, stupéfaction ! Le tireur, mon tireur, prend pour cible le ballon qui bondit à chaque impact ! Et tous se mettent à tirer jusqu’à ce que le ballon soit réduit en miettes. Le tir forain dure plus de dix minutes, que je mets à profit pour m’éclipser et regagner un abri plus sûr. Voilà, c’est tout. » Pierre intervient : « Ton histoire est belle, mais qu’y vient faire ton ange gardien ? »-« Eh bien, quelques secondes avant que ne surgisse le ballon, il y eut comme une ombre en forme d’aile qui traversa le no man’s land. Le ciel était sans nuage. Là-bas, ils appellent ce phénomène « l’Ange de la Vie ou de la Mort », suivant que tu sois épargné ou pas. A présent, je suis certain que c’était l’aile de mon ange gardien,… l’Ange de la Vie ! » Pierre RATERRON(*) de « Chroniques de la folie ordinaire » -2002

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.