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Billet de blog 9 septembre 2009

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L'enfant de bois doré... (*)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A les voir souriants, polis et toujours prêts à rendre service Clémentine, dix ans et son frère Mathieu, huit ans, font l’admiration des voisins de leurs parents rue Aristide Briand, à Cognac…Il n’est de jour qu’une mère de famille ne fasse compliment à leur maman : « Mon Dieu qu’ils sont adorables ces petits chérubins, cela fait plaisir à voir !... Comme je voudrais que mes chenapans leur ressemblent !... »
Alice, et parfois Georges , les « heureux parents » ont toujours un mot gentil pour atténuer la déception de la mère et tempérer son enthousiasme pour la modestie ( apparente ) de ces deux enfants qui reçoivent cette avalanche de fleurs en arborant un petit sourire poli… « Oh, mais chère madame, ils ne sont pas si exemplaires que cela, croyez-moi !... » Ce qui provoque un regard de reproche de la part de Mathieu, moins maître de ses réactions que ne l’est sa sœur…
Ils sont ce que les pédopsychiatres appelleraient « des enfants précoces » à l’esprit toujours en éveil et à l’intelligence réactive surdéveloppée… Ensemble, ils ont compris très jeunes ( et naturellement ) juste ce qu’il fallait faire d’efforts pour vivre « tranquilles » en société, que ce soit en famille, à l’école ou à l’extérieur … Forts d’exceptionnelles qualités d’analyse et de synthèse, hors de proportion avec leurs âges respectifs, les deux « chérubins » se partagent ainsi la tâche :
A l’aînée les idées générales, l’organisation , les itinéraires de retraite précipitée ,… à son frère les détails pratiques ( il est très bricoleur pour son âge…) et la posture de l’innocence enfantine, injustement accusée, dans le cas où les choses tourneraient mal… Alice, leur mère, n’est pas laxiste, loin s’en faut… Elle ne se prive pas de les admonester et de les punir quand cela est nécessaire mais,…avec intelligence…
En privé, elle se confie : « l’éducation , cela regarde les mères principalement… Le père donne la direction, les grands principes, mais les mains dans la glaise, ce sont nous les mères qui les avons, attentives que nous sommes à modeler sans brutalité mais avec fermeté,… avec discernement aussi, afin de mettre en valeur les qualités innées de nos enfants et leur ménager suffisamment d’ouvertures pour éveiller leur curiosité, leur intérêt pour la vie, ce qui leur permettra de s’insérer au mieux ( l’espérons-nous) dans la société… »
« … Et tout cela avec amour !... Pas facile !... Je ne parle pas de l’amour, mais du reste… Alors quand nous avons la chance d’avoir des enfants intelligents, terriblement inventifs jusque dans leurs bêtises, alors il faut remercier le ciel car la stupidité et l’ignorance sont des maladies contagieuses dont on n’a pas encore trouvé le vaccin !... Et ce n’est pas une question de classe sociale : mon grand-père était ouvrier et il savait ce que le mot éducation représentait…Aujourd’hui, on est trop enclin à mesurer les capacités d’initiative ou de création des enfants à l’aune de leur aptitude à reproduire le modèle des « tendances » actuelles, ces mêmes tendances qui nous sont imposées par la société marchande!... »
Georges, lui, est fils de vigneron : « Le vin n’est pas uniquement le résultat d’une série de réactions chimiques… c’est de l’alchimie et je suis persuadé, je ne suis pas le seul à le penser, que la part mystique y est importante… Toute proportions gardées, l’éducation des enfants c’est pareil : elle n’est pas que d’essence formelle… »
Bien sûr, tout cela est noble, pertinent, mais il faut avouer qu’il est difficile de se le rappeler quand on découvre que la crème au chocolat préparée pour les fiançailles de tante Thérèse ( demoiselle qui a trouvé l’amour à quarante cinq ans ) contient de superbes limaces dont certaines encore vaillantes , ou qu’un escadron de souris blanches est lâché parmi les invités d’une réception donnée par leurs parents, transformant chaque table en refuge salvateur pour certaines de ces dames !...
Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres…. Et puis, récemment, la bêtise de trop a « fait déborder le vase », après avoir constaté que Raza, leur labrador portait des rayures orange, blanc et noir sous prétexte que les deux « angelots » ont une passion pour les fauves, en particulier les tigres !... « Vous n’avez pas honte de traiter ainsi votre vieux chien fidèle ?... » - « Mais, Maman, c’est de la peinture à l’eau et puis… il est tellement fier d’être le roi de la jungle, à son âge !... » Aussi, à l’approche de Noël, Alice et Georges ont sévi : attribution drastique des cadeaux de Noël !...
L’heure est grave… Clémentine entraîne Mathieu au grenier pour une réunion de crise…
D’entrée, la grande sœur déclare « C’était une bonne idée mais Papa et Maman n’ont pas eu l’air d’apprécier… » - « C’est dommage, il était beau en tigre du Bengale, ... et puis Raza, c’est un nom hindou, non ?... Alors !... » ajoute Mathieu. – « Il faut reconnaître qu’en peu de temps, nous nous sommes distingués grave !... » - « Tu l’as dit bouffi ! » - « Mathieu, c’est la dernière fois !... Pas de ces expressions vulgaires ici, on n’est pas dans une cour de récréation !...Sinon je retourne dans ma chambre !..." Un silence, puis Clémentine: "Bon, il va falloir nous racheter… Alors, on cherche une idée, chacun de son côté, et demain on se retrouve, même heure , ici !...D’accord ?... » Mathieu acquiesce : quand sa sœur est aussi déterminée, il vaut mieux obtempérer.
Le soir même, Leurs parents reçoivent à dîner un couple d’amis. Ils sont originaires des Antilles et les enfants les aiment beaucoup, d’abord parce qu’ils sont affectueux et qu’ils expriment une vraie joie de vivre. Il y a aussi une autre raison : ils leur font toujours des cadeaux originaux. Mais ce soir, le couple est préoccupé. Clémentine, tout en se tenant parfaitement à table ( comme son frère d’ailleurs ) a capté au vol quelques bribes de conversation…
Le lendemain, au grenier, elle décrit la situation à Mathieu : « Voilà,… Joseph et Marie ne peuvent pas avoir d’enfant… » - « Pourquoi ?... Tout le monde peut avoir des enfants !... » coupe Mathieu…- « Mais j’en sais rien , moi pourquoi ils ne peuvent pas en avoir !... Ils veulent en adopter un depuis deux ou trois ans, un petit garçon qui doit avoir un an. Ils ont fait un tas de démarches, rempli des papiers mais ça traine … Ils ont préparé sa chambre, … et ils n’ont pas encore de réponse… »
( Note aux lectrices et lecteurs: Bon, Joseph et Marie, à Noël, cela peut vous paraître trop comme coïncidences, mais c’est ainsi : ces prénoms existent et puis un conte de Noël c’est toujours « une vraie histoire véridique » comme dirait Mathieu…)
« On ne peut pas les laisser tomber, comme ça…à Noël !... Alors t’as une idée ?... » Mathieu est perplexe…Trouver un enfant d’un an à deux jours de Noël !... Pour la première fois, il prend conscience des limites d’un petit garçon de huit ans…Et pourtant, c’est lui qui trouve l’idée : « Tu sais,… le petit Jésus qui était dans la grande crèche que Papa avait faite , , il l’a gardé… L’âne et le bœuf il les a donnés à une église mais lui, il l’a rangé dans le grenier. Il doit être quelque part ici !... » Clémentine hausse les sourcils… « Qu’est-ce que tu veux en faire ?... » - « Eh bien, on le prend et on le porte dans la chambre du bébé de Joseph et Marie, on l’installe dans son lit… Ca leur fera plaisir et puis, c’est quand même le petit Jésus, alors… ça va se faire !... »
Clémentine regarde son frère avec admiration… Il la surprendra toujours !... D’abord sceptique, elle trouve à présent l’idée excellente… et originale : « Allez, arrache-toi et cherchons !... »Cela prit deux heures pour retrouver un superbe petit Jésus souriant, en bois doré, grand comme une poupée, les petites jambes en l’air et les bras accueillants. .. Soudain Clémentine s’arrête, s’assied sur une malle et dépitée : « Ca n’ira pas !... celui-ci est blanc ! » - « Et alors ?... » - « Réfléchis, idiot !... Joseph et Marie sont noirs, enfin pas tout à fait ,… ils sont café au lait… tu ne l’avais pas remarqué ?.. » - « Non , pourquoi ?... »
Mathieu voit bien que sa sœur a de la peine, mais il ne peut que se rendre à l’évidence : « C’est vrai, ça le fera pas… Un petit Jésus noir ou même café au lait, ça n’existe pas !... » Quand il n’y a plus d’espoir, reste l’espérance… Et c’est Clémentine qui a le trait de génie : elle bondit et s’exclame, faisant sursauter son frère « Mais bien sûr !... le petit Jésus noir existe, puisque la Vierge noire existe,… c’est Maman qui me l’a raconté !...On va le peindre !... » Mathieu n’a pas tout compris mais à présent que sa sœur a trouvé la solution, il s’exécute…. C’est lui l’artiste… Il va chercher en catimini les couleurs que sa mère a cachées dans un placard de la cuisine, après l’épisode du tigre du Bengale…
« Mathieu !... Juste le visage, les mains , les jambes et les pieds ,.. pas le vêtement !.. » - « J’suis pas un gamin !... »grommelle Mathieu en haussant les épaules…En moins d’une demi-heure, le travail est consciencieusement achevé. C’est un beau bébé métisse à la layette dorée et aux cheveux blonds ( pourquoi pas d’ailleurs ?...). Bien que satisfaite, Clémentine sent inconsciemment qu’il manque quelque chose…A l’abri d’ un vieil abat-jour, le petit Jésus sèche … La nuit suivante, Clémentine se réveille en sursaut ; « J’ai trouvé !... Il faut le faire bénir, si on veut que quelque chose se passe !... » Puis elle se rendort, apaisée…
Vous dire comment ils ont réussi à le faire bénir, je n’en sais rien… Tout ce que je sais , par Mathieu, c’est qu’un prêtre ami de ses parents l’aurait accepté après que les deux enfants lui aient fait un gros mensonge en déclarant vouloir envoyer le saint bambin à une paroisse du Burkina …Toujours est –il que la veille de Noël, en fin d’après-midi, Clémentine portant en bandoulière un sac bien rempli ,accompagnée de Mathieu, se présente au domicile de Joseph et Marie .
C’est Marie qui les reçoit : « Quelle bonne surprise !... Mais vous savez que nous nous voyons ce soir pour le réveillon… » - « Je sais…Mais nous passions par là, Mathieu a soif et moi j’ai besoin d’aller au petit… » - « Entrez vite, vous allez prendre froid !... » Pendant que son frère suit Marie dans la cuisine, Clémentine monte quatre à quatre ( ou deux à deux, elle n’a que dix ans…) à l’étage, ouvre silencieusement plusieurs portes, les referme et finit par trouver la chambre … Elle entrouvre les draps du petit lit, déballe le Saint Bambin, l’installe, le borde , sort de la chambre, se précipite aux toilettes , fait fonctionner la chasse d’eau, puis redescend comme si de rien n’était. Arrivée dans la cuisine, elle fait un clin d’œil à son frère…
D’ordinaire, le frère et la sœur sont excités le soir de Noël, mais aujourd’hui, leurs esprits sont ailleurs, bien loin des cadeaux sous le sapin….A dix heures du soir, Joseph et Marie arrivent. Avant de saluer Georges et Alice, Marie va vers les enfants qui attendent sagement dans le salon … Elle les embrasse avec fougue l’un après l’autre en murmurant : « Merci,… merci, c’est tellement adorable !... » Puis vient Joseph qui les embrasse en silence. Tous sont émus … Clémentine et Mathieu, habituellement impavides , se tiennent par la main, ils ont la gorge serrée , les yeux embués…
Alice et Georges, interloqués, ne comprennent rien à la situation… et pour cause !...Il ne faut pas longtemps pour que leurs amis la leur explique, enfin pour ce qu’ils en savent… « Ce ne pouvait être qu’eux… » dit avec attendrissement Marie. Alice, elle aussi émue, pense « Je savais bien qu’ils ont un excellent fond !... » A la messe de minuit, les enfants sont attentifs et recueillis… Mathieu ignore même la petite fille qui se retourne sans cesse pour lui faire les pires grimaces et Clémentine donne à la quête la totalité de la somme que sa maman lui avait remise…
Le lendemain matin, après une nuit assez courte, ô surprise, les cadeaux ont repris leurs places sous l’arbre !...Et comme un bonheur n’est jamais orphelin, deux jours plus tard, Joseph et Marie reçoivent la réponse qu’ils attendent depuis si longtemps…A nouveau, Clémentine et Mathieu sont embrassés, remerciés, cajolés … Les réjouissances terminées, le frère et la soeur se retrouvent au grenier, chacun suçant avec délectation une Lolly Pop ( grosse sucette). Ensemble, ils éclatent de rire : « Ca l’a fait !... »
Bien sûr, ils n’ont pas cessé leurs bêtises pour autant… Et bien que la bonne nouvelle soit parvenue quelques jours après la Fête de la Nativité, comme pourrait le déclarer Mathieu : « On aurait dit, quand même, que c’est un vrai Conte de Noël véridique !... »
Pierre RATERRON
(*) de "Chroniques Charentaises "-2004

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