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Billet de blog 13 janvier 2010

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Le Passage de l'An nouveau...*

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cela s’est passé à mi-chemin du bas de la vallée et du col, qu’ici on appelle le Passage de l’An. Pour être précis, il existe deux passages, celui de l’An passé et celui de l’An nouveau. C’est une bizarrerie de la nature qui a fait ces deux cols , côte à côte, l’un revenant vers la vallée et l’autre franchissant la chaîne des monts vers l’inconnu ensoleillé.

Il n’y avait, apparemment, aucune malice dans cet ordonnancement . Et puis, un beau jour vint s’installer dans la masure abandonnée, à mi-chemin des cols, un homme de haute taille, barbu, mais proprement, qui remit en état cette ancienne halte, cultiva le jardin et installa devant la terrasse accueillante une enseigne : AU PASSAGE DE L’AN.

Dans cette vallée reculée, les familiers et les habitants du village furent bien vite intrigués par les allées et venues du gaillard, à la nuit tombée, entre sa maison et les cols. « De quoi vit-il ?... Certainement pas des 3 ou 4 clients qu’il a par jour !...Il n’est pas riche,… s’il avait du bien, ça se saurait !.. C’est un

Bandié, manquait plus que ça !... ». Un Bandié, dans cette région frontalière, c’était un contrebandier. Bien sûr, plusieurs habitants , et non des moindres se livraient à cette activité, mais en y mettant les formes.

Et puis pour exercer en qualité de bandié, il fallait être coopté avec parrainage etc… Alors d’aller et venir, comme ça simplement, au vu de tous et toutes, c’était une provocation, presque une insulte. Un soir, le Conseil des Anciens se réunit et il fut décidé que Maître Paul Filard, ferronnier et Chef de Lieutenance dans la Confrérie des Bandiés irait enquêter et poser quelques questions au propriétaire du PASSAGE DE L’AN. « … Maître Filard, c’est un malin et à lui, on lui fera pas croire que l’Angélus sonne avant l’heure !... » avait - on coutume de dire dans la vallée.

Dès lors, on put voir, « à la fraîche », Maître Filard s’attabler à la terrasse de la halte et lier connaissance avec Pierre Lenvoyé, c’est ainsi qu’il s’appelait. Le ferronnier savait jauger les hommes : celui-là avait le « regard droit » et la calme assurance d’un homme de bien. Ce ne pouvait être un de ces minables petits profiteurs qui essayaient , en vain, de « bandier » en clandestin… Intrigué, puis intéressé, il prit plaisir à le rencontrer. Mais, ce qui avait impressionné Paul Filard c’était sa façon de vous regarder, « droit au fond des yeux », comme s’il connaissait tout de vous…

Un soir, alors que Paul prenait congé, Pierre le retint par le bras :« Ce soir je dois monter aux cols, j’aimerais vous emmener avec moi. » Surpris, il accepta : alors qu’il ne s’y attendait pas, il allait savoir le fin mot de l’histoire et, quelque part, cela le contrariait car il avait peur d’être déçu. Ils allèrent dans la remise : les ballots étaient prêts, attachés les uns aux autres en deux pyramides qui, arrimées aux épaules, dépassaient de plus d’un mètre la tête du porteur. Paul étant expert en la matière, il n’eut pas de peine à fixer sa charge qui lui parut étrangement légère.

Il risqua une remarque: « C’est très léger comme marchandise ! » La réplique ne se fit pas attendre : « Rassurez-vous, il n’y a rien de consommable dans ces ballots,… je ne fais pas de contrebande ; » Etrange, pensa Paul , mais il ne dit mot car il prenait conscience de participer à quelque chose d’important. Il sortirent par l’arrière, s’armèrent de bâtons de marche et s’avancèrent dans la nuit du pas lent des montagnards. La montée de trois kilomètres fut effectuée en silence. Arrivés aux cols, ils obliquèrent vers la droite, montèrent un raidillon sur une centaine de mètres et atteignirent une sorte de buron.

Pierre déposa sa charge, entra et alluma une lampe tempête. Paul le suivit. Il connaissait ce buron qui avait toujours paru inoccupé , car trop exposé aux vents du col. Le long des murs, des bas flancs, sur lesquels étaient disposés les ballots, couraient sur trois niveaux. Paul n’y tint plus : « C’est quoi tout ça ?... Vous ne faites pas de contrebande, vous utilisez un buron abandonné, vous entassez des ballots, pourquoi ?... Un buron, c’est pour affiner le fromage,… qu’est-ce que vous affinez ici ?... » Le ton était vif car Paul commençait à ressentir une certaine angoisse…

« Je comprends votre désarroi… Vous venez de poser la bonne question : qu’affine-t-on ici ? Eh bien, au risque de vous rendre incrédule, ce sont des intentions, bonnes ou mauvaises, des remords,

des regrets, des repentirs que nous affinons . » - « Nous ?... » - « Oui,… je ne suis pas seul. Ma mission consiste à recueillir toutes ces intentions et de les porter, tout au long de l’année en haut des cols,dans ce buron. Je suis chargé de surveiller leur affinag e, c'est-à-dire leur bonification dans le temps… » - « Mais pourquoi ?... » - « …Parce que le Seigneur ne croit pas l’homme aussi méchant que ses actes le font croire. Alors, Il lui donne une chance supplémentaire de se racheter et de restaurer son Alliance . »

« Le 31 décembre, les intentions qui se sont bien affinées partiront par le col ou Passage de l’An Prochain,… on viendra les chercher. Quant aux autres, celles qui ne se sont pas améliorées, elles repartiront vers la vallée par le col ou Passage de l’An Passé pour refaire le circuit. Voilà… Vous pouvez vérifier, les ballots ne contiennent rien de consommable ni d’utilisable ; »

-« Mais enfin, pourquoi ici, subitement, dans notre vallée ? » - « Les voies du Seigneur sont impénétrables … J’ajoute que je vais vous quitter le 31 décembre prochain et que c’est vous, Maître Paul Filard qui avez été désigné pour poursuivre cette mission !.. » - « … Comment moi ?... Il n’en est pas question ! »

Pierre Lenvoyé fit face à Paul et, avec gravité : « Refuseriez-vous une grâce ?... » - « Non, bien sûr… » bredouilla Paul. Comme à la montée, ils redescendirent dans la vallée en silence. Toutefois, Paul était profondément troublé…

Et c’est ainsi que le 31 décembre suivant, on n’entendit plus parler de Pierre, à la grande satisfaction des nantis du village. Les explications de Maître Filard les satisfirent et personne ne s’étonna qu’il rachetât LE PASSAGE DE L’AN et qu’il s’y établit définitivement.

Tout cela s’est passé à mi-chemin du bas de la vallée et du col, que l’on appelle, ici, le Passage de l’An. Pour être précis, il existe deux passages, celui de l’An passé et celui de l’An nouveau. Certains affirment que c’est une bizarrerie de la nature qui a fait ces deux cols , côte à côte, l’un revenant vers la vallée et l’autre franchissant la chaîne des monts vers l’inconnu ensoleillé. Maître Paul Filard, lui, ferronnier et Chef de Lieutenance à la Confrérie des Bandiés, connaît la véritable explication de ces deux cols .Elle est d’une telle importance qu’il en garde le secret. Et c’est bien ainsi

Pierre RATERRON

* Chroniques de la Folie ordinaire


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