Ce billet est depuis le 02 novembre dans l'édition "Je me souviens" dans laquelle il aurait dû figurer depuis le mois de septembre dernier. Toutefois, il reste présent sur mon blog , avec son avertissement, pour témoigner des difficultés que rencontrent celles et ceux qui créent des éditions participatives, qui sont dans l'impossibilité d'accueillir les auteuurs qu"elles ou qu'ils ont invités. Le problème semble apparemment réglé. Tant mieux et voyons dans le temps...
Avertissement: Je souhaitais mettre en ligne ce texte dans l'édition " Je me souviens..." où Grain de sel m'avait fort aimablement invité. Mais il est pratiquement impossible d'accéder à cette édition. C'est grand dommage qu'un bug informatique nous prive d'exprimer nos souvenirs . Je me résigne donc à le mettre sur mon blog. Sainte Informatique, faites quelque chose!...
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En Chine, il se disait : « Avoir un mûrier devant sa maison est un signe de bonheur »…C’est vrai. Nous avions un mûrier en Provence, noueux, mafflu, protecteur, dont la ramure hirsute nous donnait l’occasion de pratiquer les tailles les plus originales, sans qu’il se rebellât. Il semblait même en être fier . « Pensez donc, avoir plus de cent ans et rester d’avant-garde ! Boudiyou !... C’est pas tous les mûriers qui peuvent se payer ça ! » avait-il coutume de répondre aux visiteurs qui le questionnaient… Eh oui, parce qu’en plus, ce mûrier parlait haut, en vieux provençal qu’il était. Il trônait face à l’escalier de pierre pentu, au centre de la terrasse. A n’en pas douter, celle-ci avait été construite autour, en un temps bien en amont du nôtre, comme pour fixer à demeure ce gage de félicité. Son ombre était douce, fraîche, apaisante. Auprès de lui, il ne pouvait rien nous arriver, que de bonnes choses… Il était le gardien du mas, rassurant mais fier, face à la montagne bleue, de l’autre côté du vallon. Puis , un jour de juillet, pour de bonnes raisons, nous sommes partis habiter ailleurs, loin, très loin du mûrier… Des années ont passé. De passage en haute Provence, j’ai voulu le revoir. C’était la fin de l’après-midi, les cigales stridulaient en mineur. Je montai le chemin qui allait au mas et soudain,à un détour, je le vis. Qu’il était beau !... Beau, mais un tantinet apprêté, on aurait dit un chêne de concours ! Il me reconnut d’emblée , je le sentis au frémissement de ses feuilles, mais il resta silencieux. Dame,… ça faisait si longtemps, sans nouvelle ni visite…Connaissant son caractère, il devait m’en vouloir. Aussi fis-je les premiers pas : « Dites, vous êtes resplendissant !.. » Il faut dire que je ne l’ai jamais tutoyé, sans doute en signe de respect. La réponse ne se fit pas attendre : « Vé, tu trouves ?... » Un silence, puis de sa belle voix de mûrier à l’accent chantant, il reprit : « Têtasse de courge !…Ils ont la pissine, il leur minque plus que l’hélicoterre à ces pinnesoutes !... Tu me vois embalafouné comme ça, que c’est une honnte !... Je me croirais dans les allées du Prado, pavaner au concours agricole !.. » Un autre silence, puis : « …Je vous regrette bien, petit, même ave vos essenticités ! Au moins je vivais, j’avais quelque chose à faire, des projets, alors que maintenant… » Subitement, il se tut… J’attendis quelques instants puis je perçus comme un léger ronflement,… cela venait du tronc : il s’était assoupi. Sur la pointe de pieds, je pris congé du vieux mûrier. A son âge, l’ennui avait eu raison de sa vitalité. Il ne lui restait plus qu’à s’endormir à jamais…J’en ai éprouvé un profond remord, qui s’atténue au fil des années. Mais, parfois, il ressurgit inopinément , tout aussi vivace… Aussi, ne laissons pas mourir d’ennui les vieux mûriers ; ils pourraient nous en vouloir, à la longue, d’ignorer « ce signe de bonheur »… Pierre RATERRON* Extraits de " Chroniques de la Folie ordinaire" 2002