Internet est une formidable mine d'informations mais aussi de poncifs. Le "tour operator" le moins habile le sait. Il y a des destinations "de carte postale avec ce qu'il faut de couchers de soleil, de salsas, de filles perdues ..." Il y a aussi, ce que nous avons en France, des Sdf, mais en Colombie, à Carthagène " magnifique créole à l'accent des Andes, qu'anime la joie de vivre et la musique des Caraïbes etc..., les Sdf , là-bas, ça n'existe pas. Ce qu'on y trouve aux côtés de cette destination mythique dont sont friands les touristes consommateurs d'exotisme , c'est la crasse, la sueur, le sang et la puanteur du vomi des laissés pour compte, véritables déchets de l'humanité qui n'ont que les couchers de soleil, la salsa et les filles perdues pour les raccrocher à l'espoir de se réveiller vivants, le jour suivant...Mais pour sentir et exprimer cela, il faut y aller, y vivre et aimer.. C'est ce qu'a fait Alain Monne, réalisateur de " l'Homme de chevet", film en compétition adapté de l'oeuvre d'Eric Holder, ami de longue date du réalisateur et qui aime se faire remarquer au point de provoquer un chahut car la projection prenait du retard. Mais l'accolade chaleureuse avec son ami démontrait, à l'évidence , qu'il était satisfait du résultat. Alain Monne n'est pas un "pied tendre" dans le cinéma, il y est depuis une vingtaine d'année, mais c'est son premier film qu'il a porté en gestation plus de sept ans. C'est l'histoire d'un rencontre improbable entre deux êtres meurtris. Le réalisateur a une belle expression pour les décrire " Elle , Muriel ( Sophie Marceau) a une tête valide sur un corps fracassé ( tétraplégique)et lui, Léo (Christophe Lambert ), a une tête fracassée sur un corps valide (ancien champion de boxe, alcoolique au dernier degré).." Muriel habite une belle demeure sur les hauts de Carthagène. Elle est prisonnière de son corps, gisant hiératique au suaire immaculé, mais sa tête est libre, avide d'aventures qu'elle pille dans les livres qu'elle lit à l'aide d'un tourne-page qu'elle mâchonne d'impuissance...Et puis de temps en temps, elle tourne la tête vers la grande fenêtre et s'évade dans le ciel bleu de carte postale... Léo, lui a absolument besoin de travailler. Il n'a plus rien à boire, plus d'argent, plus de combines merdiques et il ne sait plus pourquoi il s'est échoué ici, lui l'ancien champion d'Europe des poids welters... mais il s'en fout. Non s'en mal, il devient l'homme de chevet de Muriel, son garde malade-souffre douleur, confronté aux contraintes déroutantes de la toilette intime d'une tétraplégique. Parallèlement, ayant encore quelque crédit auprès d'un entraineur de boxe, il décide d'entrainer une boxeuse (Lynnette Hernandez), fière panthère noire, rompue au combat de rue et pute par nécessité car " il faut bien vivre!..." Enfin, entre Muriel et Léo, la gouvernante amie, la belle et grave Lucia (Margarita Rosa de Francisco), confidente messagère et véritable ange Heurtebise qui, sous un comportement de vestale, brûle de faire partager sa propre solitude... Voilà, vous avez les principaux éléments de cette tragédie classique dans laquelle les trois unités sont respectées. Mais la vie y est bien présente avec ses épreuves, ses espoirs , ses rédemptions provisoires suivies de rechutes ... et l'amour qui vous tombe dessus de quelque ciel et vous laisse abasourdi(e) et rebelle, pour finir par vous apprivoiser à l'idée de partager l'attente du jour suivant... Muriel, Léo, Lucia ne sont pas des rôles, ils vivent et c'est cela qui nous fait aimer le cinéma. Alain Monne a "l'oeil". Il sait composer, car le " cadre" ne suffit pas , il faut encore que l'image fasse sens. Wim Wenders a coutume de dire: " Une image qui n'est pas soutenue par un récit n'a pas lieu d'être " Et le récit est bien à sa place car les intrigues , au départ parallèles, ne tardent pas à s'entremêler et à s'affronter, en un halètement qui rythme la torpeur et la moiteur tropicales. C'est un beau film grave pour tous les fracassés de la terre, qui ont le courage de s'apprivoiser à l'irruption d'une grâce qu'ils croyaient improbable, l'amour...Pierre RATERRON
Billet de blog 29 août 2009
Seconde édition du Festival du Film Francophone d'Angoulême ( 3)
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