La Cour Suprème des Etats-Unis vient de rendre un arrêté limitant la capacité des juges fédéraux à bloquer les décrets présidentiels en général et celui concernant la limitation du droit du sol en particulier. Seuls les états, à l'avenir, pourront introduire une action judiciaire contre une décision présidentielle et le jugement ne s'appliquera que dans l'état où elle aura été prononcée.
"Comment met-on en place un tel système où les droits constitutionnels dépendent de l’État dans lequel on vit", questionne un procureur. Et le procureur général du Colorado questionne : Est-ce que les habitants du Wyoming (républicain) vont vouloir venir dans le Colorado (démocrate) pour y faire naître leur enfants ?" Avec les lois de ségrégation raciale persistantes dans les états sudistes, au sein d'un système qui persiste à affirmer que les hommes "sont nés libres et égaux", le passé a montré qu'il existe, aux États-Unis, une "dissociation législative" entre les états et le fédéral, ainsi qu'entre les états eux-mêmes. Par son arrêté, la Cour Suprême ne fait qu'aggraver cette dissonance et la "maison divisée contre elle même" se fragilise encore un peu plus. De surcroît, même si le décret se limite aux enfants d'immigrants illégaux, la décision de la Cour Suprème élude la question de fond, sur la constitutionnalité d'une décision prise par ce moyen. Le sénateur démocrate de New York dénonce dans ce renforcement de l'exécutif"une remise en cause de l'équilibre des pouvoirs et un pas terrifiant vers l'autoritarisme".
Une autre question de fond concerne le rôle de la cour suprême elle même, qui a aujourd'hui les mêmes pouvoirs que le Conseil Constitutionnel français, alors que sa composition est à la seule discrétion du président des États-Unis seul à nommer ses membres, et de surcroît à vie, ce dont Trump a outrageusement profité au cours de son premier mandat pour renforcer la présence républicaine au sein de l'institution. Il faudra des décennies de retour des démocrates au pouvoir pour rééquilibrer la composition de cette instance judiciaire. Ce mode de nomination est, du point de la séparation des pouvoirs, une brèche béante dans le mur de séparation entre l'exécutif et judiciaire.
Si on peut légitimement contester le pouvoir donné à un seul juge fédéral de bloquer un décret présidentiel, il n'est pas possible de remédier à une insuffisance de la Constitution en en créant une autre : on peut ainsi considérer comme antidémocratique ce pouvoir démesuré accordé à une institution de neuf membres non élus. Un éditorial du journal Le Monde souligne la partialité de cette Cour Suprême, qui n'avait rien trouvé à objecter lorsque les injonctions de la Justice visaient des décrets pris par l'administration Biden. C'est une présidence américaine sans contrepoids que marque la décision de la cour suprême. Il ne reste plus au Président qu'à conjurer le danger lié aux élections de mi-mandat et pour cela, une offensive sur le droit de vote est en cours, avec une reconfiguration de la cartographie électorale dans de nombreux États. Tout ce qui faisait de la démocratie américaine le modèle analysé au 19ème siècle par Tocqueville est démantelé, pièce par pièce. Il ne restera plus alors à Trump qu'à se faire élire dictateur à vie, en opposition à une Constitution qui ne sera plus qu'un chiffon de papier.
Et même dans l'hypothèse où, dans un an et demi, le mécontentement grandissant révélé par les sondages du fait des coupes sombres dans la santé et l'éducation ou de l'incertitude économique liée à la guerre douanière amenait une majorité démocrate écrasante dans les deux chambres, le mal est irréversible car Donald Trump et sa politique ne sont pas la maladie qui ronge l'Amérique et, au delà des États-Unis, le monde capitaliste, ils n'en sont que le symptôme.