
La première édition de ce rapport commandé par le Club de Rome porte le nom de deux de ses auteurs, Dennis et Donella Meadows, aujourd'hui décédée. Sa première publication date de 1972, avant la naissance d'Audrey qui dit elle-même en avoir pris connaissance très tardivement. En tant que journaliste scientifique, elle s'intéresse aux problèmes d'environnement et à la technologie qui assurerait la transition énergétique. La lecture de ce rapport, publié sous le titre évocateur "the limits to growth" lui a montré, comme elle le dit elle-même, que les choses ne sont pas si simples : la croissance démographique et économique imposée par le modèle économique dominant ne peut se perpétuer que par une exploitation sans frein des ressources de la planète qui, elles-même, ne sont pas illimitées. Et contre cela, les solutions technologiques ne peuvent rien.
Le premier podcast, qui vient de sortir en manière de prologue, est une interview de Dennis Meadows, autrefois directeur de l'équipe du

Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge qui est à l'origine du rapport. Pour la journaliste, il y a un paradoxe entre l'onde de choc qu'il a provoquée au moment de sa parution et l'oubli complet dans lequel il a sombré depuis : elle même n'en avait jamais entendu parler ni au cours de ses études, ni par ses lectures, ni dans le cadre de sa profession. C'est sur ces points qu'elle interroge le scientifique de 79 ans, en préliminaire au sujet qui sera le point-clé de l'ensemble des 13 podcasts : quelles sont, s'il en est encore temps, les solutions pour bâtir un avenir où l'activité humaine préserverait les ressources de notre planète ?
Pourquoi ce rapport a-t-il fait autant de bruit au moment de sa parution et pourquoi a-t-il complètement disparu des radars pendant un demi-siècle ? demande la journaliste. Les réponses sont données à divers endroits dans le podcast : D'abord parce que comme tous les échos, celui suscité dans la presse ne peut être qu'éphémère, celle-ci ne disposant pas d'un espace suffisant pour faire face en continu à la multiplicité des évènements. Dennis Meadows, qui dit avoir dû gérer pendant toute sa vie les conséquences de son rapport, observe aussi qu'il a été sévèrement critiqué à sa sortie, non par ses pairs scientifiques, mais par les politiques et les économistes. Il note ensuite un biais dans la composition du pouvoir législatif avec, au congrès américain, une surreprésentation écrasante des juristes - 175 élus pour six scientifiques et cinq ingénieurs. Les premiers ne tirent leurs leçons que du passé et n'ont pas assez d'imagination pour se projeter dans l'avenir. Quand ils ne sont pas purement et simplement liés aux intérêts économiques à court terme, ils exigent de la science des certitudes que celle-ci ne peut pas leur donner et vont donc ignorer tout scientifique sérieux. Il ne faut donc pas compter sur nos élus pour sensibiliser des électeurs beaucoup plus préoccupés par leurs problèmes quotidiens que par une vision à long terme. Et, dans une autre interview donnée au magazine en ligne Reporterre, Dennis Meadows ajoute avoir eu un jour un débat avec un dirigeant politique qui lui a répondu : « Vous m’avez convaincu de ce que je dois faire. Maintenant, vous devez m’expliquer comment je peux être réélu si je le fais. » Les économistes, qui ont bâti leur carrière sur la notion de croissance infinie, ne sont pas davantage disposés à tout remettre en cause.
Il y a aussi comme une malédiction génétique qui focalise l'Homo Sapiens sur le court terme et Dennis Meadows l'illustre dans le Podcast d'une façon un peu caricaturale : "Si vous avez deux hommes des cavernes et qu'un tigre arrive, si un homme des cavernes dit "courrons" et l'autre dit "réfléchissons à la philosophie et à la culture de notre société", lequel va survivre ?" C'est ainsi qu'au cours du temps, la génétique et la sélection darwinienne optent pour le court terme.
Le rapport inclut des modélisations, au nombre de 13, basées sur divers scénarios, du plus attrayant au plus pessimiste. mais le lanceur d'alerte ne se pose nullement en prophète, car - dit-il - il ne pouvait, au moment où le rapport a été conçu, dire lequel serait le plus proche de la réalité à venir. La confrontation avec les faits et données actuelles mènent à la conclusion que celui qui est en cours de réalisation est le scénario "standard", dont la modélisation amenait à la conclusion qu'au bout de 50 ans (c'est à dire en 2022), la croissance s'arrêterait et que commencerait une période de déclin de la population et de la production. Ce que n'avait pas modélisé l'équipe du MIT en 1972, c'est que le changement climatique et maintenant la guerre viendraient se mettre de la partie. Et cinquante ans après, Dennis Meadows déclare pour Reporterre (lien ci-dessus) que "le vrai problème, c’est l’excès de croissance physique dans un monde fini" et que les évènements que nous vivons actuellement (érosion des sols, pollution des océans, sécheresses, inondations répétées, etc.) n'en sont que les symptômes.
Paul Valéry écrivait entre les deux guerres : "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles [...]. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables, elles sont dans les journaux". Il n'est pas sûr que Dennis Meadows connaisse Paul Valéry, mais il livre aujourd'hui à Reporterre le même diagnostic : nous sommes en train de vivre l'effondrement de notre civilisation et seul un changement complet, mais improbable de paradigme peut encore inverser la tendance.
A partir du 16 mars, rendez-vous tous les mercredis pour un épisode suivant de la série
Lien vers la bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=lFXhtJtqPhk
Lien vers le Podcast : https://podcast.ausha.co/dernieres-limites/prologue-dennis-meadows