Début Septembre, un coup de tonnerre dans le ciel allemand : Volkswagen, fleuron et symbole de la réussite industrielle du pays, annonce la fermeture d'un de ses sites en Allemagne. La Direction envisage aussi la révocation de l'accord de protection des emplois censé valable jusqu'en 2029. Elle préconise aussi une réduction de 10% des salaires et un gel sur les deux prochaines années. Depuis, le plan Volkswagen a pris de l'ampleur, car il s'agit aujourd'hui de trois usines totalisant 30000 emplois. La présidente du Betriebsrat y voit "une remise en question du coeur de Volkwagen" et annonce "une résistance acharnée contre le projet".
En France, il faudrait bien moins que cela pour susciter une grève massive et reconductible. Alors, bien plus encore que les premiers signes de déclin du modèle économique allemand, ne serait-ce pas aussi le "crash test" du consensus social, tant vanté par des politiques, économistes et journalistes de tout bord (pièce jointe) qui voulaient remettre la France au travail ?
Volkswagen n'est pas la seule entreprise à subir la perte de compétitivité de l'Allemagne : Le ralentissement de l'industrie automobile entraîne dans son sillage les grands équipementiers qui annoncent eu aussi des suppressions d'emploi. Le géant pharmaceutique Bayer, qui a décidément fait une très mauvaise affaire en rachetant Monsanto, a supprimé 3200 postes au premier semestre 2024. Mais plus lourde encore de conséquences est la recrudescence des faillites dans les PME, qui constituent l'épine dorsale de l'économie allemande.
Les avertissements n'ont pourtant pas manqué du côté des économistes allemands : deux livres parus simultanément en 2014 proclamaient à la face des laudateurs du modèle allemand, qu'il n'était pas un modèle à suivre aveuglément et que, dans un futur proche, elle serait en déclin. L'économiste Marcel Fratzcher annonçait dix ans avant la crise actuelle que "le pays est en déclin et vit sur ses acquis". Après les réformes Schröder qui avaient temporairement redressé l'économie au prix d'une paupérisation croissante, l'Allemagne retrouve une santé économique trompeuse : en 2013, un excédent commercial de 200 milliards d'euros témoigne d'une compétititivité retrouvée et le chômage est passé de 5 millions à 3 millions de sans-emploi. Ce qui permet à la chancelière de présenter, pour la première fois depuis 1969, un budget en équilibre. Mais il y a aussi quatre raisons pour lesquelles Angela Merkel devrait faire profil bas : parmi elles, on peut relever la faiblesse des investissements publics et privés. Une économiste souligne le caractère court-termiste de cette politique de sous-investissement : "Les infrastructures allemandes sont en mauvais état, ce qui peut entraîner une chute des investissements étrangers".
Un autre point concerne une autre "illusion allemande" selon Marcel Fratzcher : l’Allemagne n’aurait pas besoin de l’Europe et son avenir économique se situerait en dehors du continent. Ce qui a conduit la politique d'Angela Merkel à l'intransigeance pendant la crise de la dette et au manque de solidarité européenne qui est une des autres raisons pour lesquelles Merkel devrait faire profil bas.
Enfin, l'Allemagne est plombée par une natalité qui n'en finit pas de baisser. Et c'est une autre "illusion" allemande, portée par l'AfD (Alternative für Deutschland) que de croire que l'économie allemande peut se passer de la main d'oeuvre immigrée. Persuadé que le Gouvernment de madame Merkel dispose de circonstances économiques favorables, mais passagères, l'économiste Olaf Gersemann parle même du "chant du cygne de l'économie allemande".
Il apparaît donc qu'Angela Merkel a surfé sur une santé économique temporairement retrouvée sans tenir compte des avertissements venus des milieux économiques. Aujourd'hui, au moment où l'Allemagne en paie durement les conséquences, l'opinion publique allemande reproche à l'ancienne chancelière de s'être montrée trop bienveillante avec Vladimir Poutine, d'avoir accru la dépendance de son pays aux sources énergétiques russes, d'avoir négligé les investissements en faveur de la transition énergétique et d'avoir favorisé la montée de l'AfD par l'ouverture des frontières allemandes à un million de migrants. Dans l'apologie de son bilan, elle répond point par point que, la Russie étant une des deux grandes puissances mondiales, il n'était pas possible de l'effacer du dialogue géopolitique ; qu'il fallait trouver des sources d'énergie bon marché pour préserver la compétitivité de l'économie allemande et que, par ailleurs, la décision de construire Gasprom1 était celle de son prédécesseur ; En ce qui concerne la montée de l'AfD, elle dit à ses successeurs que toute surenchère sur le discours électoral de ce parti serait vouée à l'échec, ce en quoi elle a raison. Mais, de façon paradoxale, elle préconise ce qu'elle n'a pas su faire quand elle écrit : "« L’idée du frein à l’endettement au bénéfice des générations futures reste pertinente. Mais afin d’éviter les luttes pour une meilleure répartition des richesses au sein de la société et de prendre en compte les modifications de la pyramide des âges, il faut [le] réformer de manière qu’il soit possible de s’endetter davantage afin d’investir pour l’avenir ».
Nous dirons pour notre part que la partie lumineuse de sa politique, c'est cette empathie qu'elle a montré à ces malheureux qui fuyaient la misère et la guerre et qu'il n'y a pas lieu de la lui reprocher. En revanche, sa partie sombre, c'est ce manque d'investissements qui a amené un décrochage de l'Allemagne en matière d'équipements et de transition énergétique et, surtout, c'est cette politique court-termiste qui a dangereusement affecté la solidarité entre les pays de l'Union Européenne.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : la France et l'Allemagne sont toutes deux en proie à de graves crises politiques. Leurs intérêts économiques n'ont jamais été aussi divergents, comme le montre leurs positions sur le traité Mercosur, soutenu par l'Allemagne dans l'intérêt de son industrie et rejeté par la France pour préserver son agriculture. A cela s'ajoute la montée d'une extrème droite nationaliste dans plusieurs pays d'Europe. Sans le ciment de la coopération franco-allemande, l'Union Européenne n'a jamais été aussi proche de sa rupture. Et si elle a lieu, l'Europe ne sera plus rien dans les affaires du 21ème siècle et tout ce que retiendra l'Histoire, c'est qu'elle s'est suicidée en deux guerres d'un autre temps.