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Billet de blog 5 février 2018

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Ecriture de l'histoire et lois mémorielles

Quand les politiques s'arrogent le droit d'écrire l'histoire...

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Vous est-il déjà venu à l'idée que l'histoire officielle de Jeanne d'Arc - cette figure emblématique d'un certain parti politique - est totalement invraisemblable ? Vous êtes Robert de Baudricourt, sire de Vaucouleurs. Vous voyez arriver une bergère qui dit que ses voix lui ont ordonné de "bouter l'anglais hors de France". Je ne sais pas ce que vous faites, mais moi, je lui donne l'adresse d'un bon psychiatre. Mais il est vrai que la psychiatrie n'existait pas à cette époque.

D'ailleurs, pourquoi une République qui se prétend laïque donnerait-elle un crédit particulier à cette fable ? Le Dieu des chrétiens prenant parti dans une stupide querelle de succession ? S'il existe, n'a-t-il pas d'autres chats à fouetter ?

Ça, c'est l'histoire - ou la propagande - à la Michelet qu'on a enseignée dans les écoles de la troisième République. Il n'est pas ici question de nier la réalité du personnage historique Jeanne d'Arc, attestée par les minutes de son procès conservées à Rouen, mais on peut attribuer à cette histoire une signification totalement différente et somme toute plus vraisemblable : certains historiens pensent, en effet, qu'il s'agit d'une opération de propagande montée par l'entourage du futur Charles VII, dans un contexte où sa légitimité était plus que contestable, sa propre mère, Isabeau de Bavière, l'ayant déclaré bâtard lors de la signature du traité de Troyes. Bien évidemment, une intervention divine redonnait du poids aux prétentions du "petit roi de Bourges". A partir de cette hypothèse, Jeanne d'Arc était-elle réellement la bergère de Domrémy qu'on nous enseigne dans les manuels scolaires ou appartenait-elle à une famille noble ? Certains historiens ont voulu en faire la fille illégitime d'Isabeau de Bavière et du duc d'Orléans et donc la demi-sœur de Charles VII. Mais on doit reconnaître que, sur ce point, les preuves manquent !

L'exemple de Jeanne d'Arc montre à quel point les croyances du moment peuvent influencer l'histoire. Il en est de même du thème "conquêtes coloniales et grande mission civilisatrice de la France" : Un historien a récemment remis les pendules à l'heure à propos de la conquête de l'Algérie par les troupes du général Bugeaud en 1830. Il cite le "bréviaire" remis aux officiers et soldats français partant à la conquête de l'Algérie qui dépeint des terres "laissées en friche à cause de la paresse des Arabes", des femmes "à la turpitude de mœurs extrêmement relâchées", dont l'âme immortelle est mise en doute par beaucoup. Les officiers et soldats qui débarquent se rendent rapidement compte que tout ceci ne correspond pas à la réalité et l'un d'eux remarque même : "presque tous les hommes savent lire et compter"... Ce qui n'était pas le cas des "civilisateurs", car en France à la même période, on compte 40% d'analphabètes. Aussi "les soldats qui débarquent sont moins instruits que ceux qu'ils viennent civiliser". Le mythe de la "grande mission civilisatrice de la France", au nom de laquelle on a justifié les massacres, les atrocités et le trafic d'esclaves commis pendant la première guerre d'Algérie, sera cependant entretenu par l'école et les média. Mais, plus significatif encore, le film qu'a réalisé René Vautier sur ce thème est interdit de projection par la ligue de l'enseignement dans les lycées et collèges, avec le commentaire suivant : "Quoique très correctement réalisé et basé sur des documents indiscutables (tout de même!!!), ce film va à l'encontre de toutes les idées qui servent de base à l'enseignement de la pénétration française en Afrique du Nord, ce qui rend sa diffusion impossible". On ne peut pas mieux reconnaître que l'enseignement n'a pas pour but l'apprentissage de la réalité historique, mais l'endoctrinement au service d'une idée politique... Tout comme, par exemple, le mythe d'une France massivement résistante à l'occupation allemande, qui permet d'oublier la rafle du Vel'd'Hiv' et les sections spéciales.

Illustration 1

Dans ce contexte, il y a aussi les lois mémorielles, qui pénalisent les écritures de l'histoire non conformes à la pensée unique : certaines visent à exonérer un pays de ses responsabilités par la pratique du déni, comme ce projet de loi en Pologne visant à punir toute évocation du rôle de la population polonaise dans l'anéantissement de la communauté juive de Pologne. D'autres visent à plaire à une certaine frange de l'électorat, comme en France la loi concernant la négation du génocide arménien. Ces lois ne sont rien d'autre que du terrorisme intellectuel. Et même dans les cas où la réalité est indiscutable, comme celle de l'holocauste des juifs et des tziganes, ces lois peuvent aller à l'encontre de leur but, car l'interdit renforce l'attrait pour les thèses négationnistes.

Il y a une règle d'or à adopter : ce n'est pas aux politiques de décider de la vérité historique au nom d'une pensée doctrinale, mais aux historiens d'établir la réalité historique à la suite de recherches sérieuses et documentées. Et ceci ne souffre aucune exception.

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