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Billet de blog 5 mai 2022

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Rapport Meadows 9 : la crise annoncée des matières premières

La fabrication de nos objets « high tech » nécessite de plus en plus de ressources minières rares, qu'il faudra extraire avec de moins en moins d'énergie disponible, comme nous l'a rappelé le précédent entretien avec Matthieu Auzanneau. Aujourd'hui, c'est Philippe Bihouix, un expert des questions minières, qui répond aux questions d'Audrey Boehly.

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Illustration 1
Audrey Boehly

Aujourd'hui, c'est le mirage des énergies vertes qui sous-tend la communication sur la transition énergétique : ce sont les panneaux solaires et les éoliennes qui seraient appelées à remplacer l'énergie pétrolière en déclin. Mais pour extraire les composants nécessaires à la fabrication, à l'entretien et au renouvellement de ces merveilles technologiques, il faut creuser de plus en plus profond dans l'écorce terrestre, aller chercher les ressources minières jusqu'au fond des océans, avec une énergie moins abondante et plus coûteuse.

Plus loin dans l'entrevue, l'expert parle d'un "cercle vicieux" entre la production d'énergie et celle de matières premières : "sans métaux, pas d'énergie. Sans énergie, pas de métaux". Et les besoins en ressources minières prévus pour les trente prochaines années, plus importants selon les prévisions que dans toute l'histoire des métaux, solliciteront la ressource énergétique au delà de ce qu'elle peut nous fournir. Il faut donc anticiper une contrainte énergétique forte, qui nécessitera des arbitrages en faveur de secteurs "stratégiques".

Cela signifie qu'au pic d'extraction pétrolière annoncé pour la prochaine décennie succédera à court terme une décroissance de la production minière qui, au même titre que l'énergie, est une ressource finie. Alors la "croissance verte" est-elle autre chose qu'un rêve éveillé ?

Illustration 2
Philippe Bihouix

Ce point, qui aurait pu être débattu en conclusion de l'épisode précédent,vient tout naturellement en introduction de ce nouvel entretien. Pour illustrer cette boulimie de matières premières, la journaliste prend l'exemple du smartphone, dont le marché à explosé avec aujourd'hui, avec 1,5 milliards d'unités vendues en 2018. On pourrait croire qu'un si petit objet est peu gourmand en matières premières et inoffensif sur le plan environnemental.

Il y a d'abord le "sac à dos écologique", qui définit le poids des ressources naturelles nécessaires à la fabrication d'une tonne de produit. On a la surprise d'apprendre que, rapporté au poids, notre smartphone "pèse" 467 fois plus qu'une tonne de voiture. Pour comprendre, il faut suivre le produit tout au long de sa vie : le smartphone est un objet composite qui regroupe une grande diversité de métaux (50 en moyenne), dont 30% de métaux rares.

Cette activité minière se pratique principalement dans des pays où il n'existe pas de loi de protection des enfants et ceux-ci constituent une grande partie de la main d’œuvre, dans des conditions de travail dont nous ne voudrions pas pour les nôtres. Et cette "folie du smartphone" est auto-entretenue par les innovations perpétuelles vers plus de performances. Ainsi se met en place une "obsolescence marketing", qui pousse le consommateur à renouveler de façon accélérée des objets encore en bon état de fonctionnement. Cette frénésie de consommation est entretenue par des offres alléchantes qui permettent de renouveler son smartphone à moindre coût.

Pour dépasser l'exemple du smartphone, il faut mentionner le coût environnemental de toute extraction minière : pollution par le mercure ou par le cyanure (Amazonie), perturbations de la ressource en eau, déforestation, disparition des coraux (Indonésie) aux dépens des activités traditionnelles de l'agriculture et de la pêche.  Il y a aussi une accumulation de déchets importante : à partir d'une tonne de minerai extraite, on obtient un à cinq grammes d'or ou cinq kilos de cuivre. Lorsque, en violation de la convention de Bâle qui interdit l'exportation de déchets dangereux, ils ne sont pas acheminés vers le Pakistan ou la côte d'Ivoire, ils restent dans les pays d'origine.

En France, où le code minier est fort tolérant pour les pollueurs, cette pollution a un impact sur la santé des populations riveraines, sans que cela interpelle les autorités qui parlent de relancer l'activité minière pour réindustrialiser le pays.

Parmi les solutions technologiques, il y aurait celles qui amélioreraient le rendement énergétique de la production minière. Mais les limitations sont nombreuses : à côté de l'énergie dépensée pour aller chercher les minerais dans des endroits de plus en plus inaccessibles, il y a la thermodynamique : il faut une quantité d'énergie donnée pour obtenir le métal pour en "cassant" les liaisons chimiques et ce besoin est incompressible.

Mais  aussi parce qu'aucune technologie ne peut suppléer à la limitation des ressources en énergie et en matières premières : il faudrait pour cela que l'on puisse exploiter de nouveaux gisements. En théorie, ils existent dans les astéroïdes et dans les mers. En pratique, dit Philippe Bihouix, la première de ces solutions est irréaliste : elle se heurte à un obstacle, la quantité d'énergie pour aller chercher les minerais et les ramener sur terre et à moins de laisser un de ces astéroïdes percuter la terre - comme dans le film "Dont look up"- elle est inenvisageable.

Pour l'exploitation des minerais marins, les solutions technologiques qui les rendent accessibles (malheureusement dit l'expert) existent et ont déjà été éprouvées dans l'exploitation du pétrole off shore. Mais cette extraction se fera au prix d'une destruction complète des fonds marins et des espèces qui y vivent. Nouvelle pollution et nouvelles pertes de biodiversité . C'est le cocktail à prévoir, qui font de cette nouvelle forme d'exploitation une folie de plus.

Il y a aussi une logique, celle portée par les économistes qui croient toujours à la toute puissance du marché, symbolisée par la "main invisible" d'Adam Smith : celle de la substituabilité des matières premières : grâce aux innovations technologiques, il sera toujours possible de remplacer un composant par un autre : la raréfaction d'un métal entraînera, suivant la loi de l'offre et de la demande, une explosion du prix de cette matière première et donc un effort de remplacement par un composant meilleur marché. Ainsi se mettraient spontanément en place des "cycles de remplacement" guidés par les lois du marché.

Mais pour nos réseaux d'électricité,  peut-on trouver un meilleur conducteur que le cuivre, de meilleurs catalyseurs que le platine ou le palladium, de meilleurs inoxydables que le chrome ou les aciers inox et surtout dans quels délais ? L'incertitude des réponses à ces questions fragilise la démarche intellectuelle des économistes.

Il y a une autre approche qui va, elle aussi, dans le sens d'un maintien du statut quo productiviste et consumériste : l'avalanche de solutions technologiques. On en voit aujourd'hui quelques unes : en matière de communication, la 5G qui remplace en ce moment la 4G, qui a elle-même remplacé la 3G à un rythme accéléré (un autre exemple de "l'obsolescence marketing) ; les voitures électriques, censées utiliser moins d'énergie ; les nouveaux carburants de l'aviation. Alors, ces technologies nouvelles permettront-elles d'extraire à moindre coût énergétique ? La réponse est dans le dernier épisode, où nous avons appris que le "rendement énergétique" (rapport entre la quantité d'énergie contenu dans le vecteur technologique et le nombre de barils, en équivalent énergétique, qu'il a fallu pour l'obtenir) va en diminuant, jusqu'à être une "opération blanche" pour les nouveaux carburants.

La principale caractéristique de ces technologies est donc l'incertitude - tant sur leur efficacité réelle dans le traitement de la crise énergétique que dans le temps qu'il faudra pour les développer et, commente Philippe Bihouix, "on perd du temps en fantasmant des solutions qui n'en sont pas [...] La meilleure énergie, c'est celle qu'on n'utilise pas et la meilleure ressource, c'est celle que l'on n'a pas eu besoin d'extraire", ce qui ramène au sujet incontournable de la sobriété. La première question à mettre dans cette rubrique est "de quoi a-t-on réellement besoin ?" et on ne peut pas y répondre sous l'emprise des publicitaires, qui sont précisément en charge de créer les besoins.

C'est pourquoi le spécialiste croit indispensable de mettre en place une réglementation prenant en compte les impératifs de sobriété et jouant sur différents moyens : une prise de conscience du citoyen-consommateur par l'information, imposer des interdictions sur les objets polluants et des obligations concernant le recyclage, taxes intérieures et aux frontières... C'est un ensemble de mesures extrêmement complexe, car se jouant à tous les niveaux du pouvoir, mais, en conclusion, Philippe Bihouix affiche sa conviction que nous pouvons y arriver ;

LIEN VERS LE PODCAST :https://podcasts-francais.fr/podcast/dernieres-limites 

POUR EN SAVOIR PLUS :

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