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Billet de blog 8 juin 2025

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ADP, la grand messe du débat public

Le dossier fourni par ADP dans le cadre du débat public brille par son incohérence et ses non-dits, ce qui donne raison aux associations de défense de l’environnement, qui préconisent comme seule solution raisonnables la limitation du nombre de mouvements d’avions dans tous les aéroports et l’interdiction des jets privés.

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L’avion, mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre
On ne saurait porter une appréciation sur l’argumentaire développé par ADP sans faire l’analyse des données graphiques fournies par l’Agence Européenne pour l’Environnement (2022). Celles-ci montrent dès 1990 une nette prépondérance de l’aviation concernant le taux d'augmentation des  émissions de gaz à effet

Illustration 1

de serre pour les différents modes de transport. Sur la base de 100 en 1990, ces émissions atteignent 250 en 2019, contre 140 pour le transport maritime, 130 pour le transport routier et 30 pour le rail, ce dernier étant 38 moins polluant que l'avion. Il faut également observer que les émissions du transport aérien sont en augmentation constante jusqu’en 2019, année où la crise COVID impacte fortement le secteur. Les projections à l’horizon 2023 suggèrent une stabilisation ou une diminution des émissions pour tous les secteurs à l’exception de l’aviation et du transport maritime internationaux. Il est reconnu que si l’aviation était un pays, il se situerait, en matière de contribution au réchauffement climatique, entre l’Allemagne et le Japon. Le pourcentage avancé, selon lequel l’aviation ne serait responsable « que » de 2,5% des gaz à effet de serre est donc un argument en trompe-l’œil, qui ne précise pas, entre autres, que ce pourcentage exclut les vols long-courriers, dont la "responsabilité" est attribuée à l'aéroport d'arrivée par l'aéroport de départ et réciproquement. Le tableau suivant, extrait d'un rapport du cabinet de conseil BL évolution (2020), montre le côté superficiel de cette évaluation : dans tous les cas, le pourcentage est multiplié par deux si on intègre l'ensemble des gaz à effet de serre (encadrés rouges) et passe de 1,2% à 16.5% selon les critères retenus. La logique voulant qu'on intègre la part française des vols internationaux et que l'on considère l'ensemble des gaz à effet de serre conduit à un pourcentage de 10,2% (encadré vert).

Illustration 2

Comment ADP entend « verdir » son activité
Dans ce contexte, les mesures de verdissement préconisées par ADP sont hors sujet, car elles tournent essentiellement autour des installations aéroportuaires : le dossier de concertation précise qu’en termes de consommation énergétique, l’aéroport Charles de Gaulle équivaut à une ville de 120000 habitants pour un total de 554 GWH annuels. Or un simple calcul, à partir de données fournies par Internet (voir encadré) révèle que les seuls vols Paris-New York ont un coût énergétique d’au moins 2720 GWH, et ceci par la source d’énergie la plus polluante. Vouloir focaliser le débat autour des installations portuaires n’est donc rien d’autre qu’une tromperie, destinée à masquer l’indigence des préconisations concernant les vols eux-mêmes.

Illustration 3
données de base obtenues en interrogeant Google

La sobriété énergétique des vols vue par ADP
Sur ce sujet, rien de nouveau sous le soleil : celle-ci reposerait sur deux innovations technologiques : l’avion à hydrogène et les carburants de synthèse.
Il est étrange qu'ADP  mette en avant en avant une solution technologique, dont la mise en œuvre ne dépend pas de lui, mais de la capacité d’Airbus à mettre au point les avions à hydrogène à l’horizon 2050. La technologie est inapplicable aux long-courriers, qui sont pourtant appelés, selon les projections mentionnées plus haut, à connaître le développement le plus rapide. De plus, il n’est pas précisé dans les données d’ADP que, pour satisfaire les besoins du seul aéroport de Paris, il faudrait dédier à la production d’hydrogène « vert » l’équivalent de 16 réacteurs nucléaires ou dix mille éoliennes couvrant la surface d'un département français. C’est une des constantes de l’activité aérienne de raisonner comme si elle était le secteur à pourvoir en énergie aux dépens de tous les autres.
Les carburants d’aviation durable sont destinés à être mélangés progressivement au kérosène classique jusqu’à proportion de 50%. Mais pour pouvoir juger de la pertinence de cette mesure, il faudrait disposer de données sur le rendement énergétique de ces carburants, c’est-à-dire du rapport entre l’énergie produite et celle qui a été nécessaire pour sa production. Or cette donnée fondamentale manque dans le dossier d'ADP.
De plus, il a été précisé au cours d’une des réunions publiques que ce procédé entrainera un renchérissement du prix des carburants et donc des billets d’avion. La question se pose alors : l’utilisation de ce nouveau type de carburant en lieu et place du kérosène sera-t-il laissé à la discrétion des compagnies aériennes ou sera-t-il imposé par les aéroports ? Dans le premier cas, ce nouveau carburant a peu de chances d’être utilisé pour des raisons d’adaptation à la concurrence. Dans le deuxième cas, il faudra une législation au minimum européenne pour l’imposer à tous les aéroports. Et dans les deux cas, la mesure aura le même effet sur le prix des vols pour les compagnies qui l’utiliseront qu’une éventuelle taxe sur le kérosène, aujourd’hui demandée par les associations pour mettre fin à la concurrence déloyale avec le train et refusée en bloc par le secteur aérien. C’est alors le modèle économique des compagnies – et principalement celui des low cost – qui pourrait être affecté.

En conclusion
Le dossier fourni par ADP brille surtout par ses non-dits et ses incohérences. Or il y a une notion qui semble échapper totalement aux dirigeants du secteur : il n’est aujourd’hui pas de semaine où un nouveau cataclysme lié au réchauffement climatique – inondations catastrophiques, incendies non maîtrisés, rupture d’un glacier en Suisse – ne vienne nous rappeler l’urgence de la situation. Les insuffisances de ce dossier donnent raison aux associations de défense de l’environnement, qui disent que les seules solutions raisonnables sont la limitation du nombre de mouvements d’avions dans tous les aéroports et l’interdiction des jets privés.
Alors commençons par les vols intérieurs : la convention citoyenne pour le climat préconisait la suppression des vols qui auraient une alternative ferroviaire de moins de quatre heures, durée ramenée à deux heures par la loi « climat et résilience». Il ne tient qu’à ADP de prendre l'initiative d’une application immédiate de cette mesure, en commençant par une rééactualisation de l'étude faite en 2021, qui concluait que 21des 23 lignes ferroviaires concernées  pouvaient absorber un surplus de passagers. Si ADP se révèle incapable de relever ce défi d’un transfert modal du plus polluant au moins polluant, ses professions de foi autoblanchissantes ne sont que palabres incantatoires, auxquelles on ne peut accorder le moindre crédit.

POUR EN SAVOIR PLUS : https://rester-sur-terre.org/greenwashing/

UNE PETITION A SIGNER : https://agir.greenvoice.fr/p/stop-extension-roissy

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