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Billet de blog 9 décembre 2024

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Si l'Europe doit s'affirmer face à la Russie, c'est le moment.

Dans un contexte peu favorable à Vladimir Poutine, l'Europe peut affirmer sa détermination à faire barrage aux ambitions poutiniennes de restaurer l'empire soviétique, avec son territoire et ses vassaux

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Malgré l'ampleur des destructions que Poutine a infligées à l'Ukraine, de nombreux signaux attestent de la faiblesse russe : d'abord, une dépendance de la Russie pour l'approvisionnement en armes : En premier lieu, les répercussions de la guerre sur l'économie,  qualifiées par l'hebdomadaire Géo de crise économique majeure : les sanctions occidentales, qui s'étendent désormais aux établissements financiers et entreprises "intermédiaires" qui détournent le blocus imposé à la Russie, ont fait reculer les importations de matériel liées à l'effort de guerre. Alors que l'aide des pays occidentaux à  l'Ukraine est gratuite, la fourniture d'armes et de composants par la Chine a un coût élevé. La faiblesse du rouble face aux monnaies de ses fournisseurs accroît encore le coût des fournitures de guerre et entretient la "stagflation" dont souffre aujourd'hui l'économie. C'est donc le contexte économique et budgétaire qui met la Russie, jusque là résiliente aux sanctions, en position de perdre cette guerre.
Sur le théâtre des opérations militaires, la chair à canon devient nord-coréenne, après avoir été "wagnerienne". Les mercenaires de la milice de Prigojine ont perdu 80% de leurs effectifs, avant de se révolter contre l'incompétence et la corruption de l'état-major russe. Aujourd'hui, après la marche sur Moscou et la mort de son chef, la puissance de cette milice n'est plus qu'un souvenir lointain et  le peu qui reste de ses effectifs a été intégré à l'armée. Aussi l'arrivée sur le front de 12000 soldats nord-coréens serait d'abord à interpréter comme un signe de défiance du pouvoir russe à l'encontre des formations paramilitaires, avec l'idée qu'une armée régulière inclut moins d'électrons libres qu'une milice. C'est aussi un aveu de faiblesse du pouvoir russe, incapable de recruter sur son propre sol les combattants dont il a besoin. Mais des soldats venant d'un lointain pays étranger, probablement obligés par leur hiérarchie à défendre une cause qui n'est pas la leur, subissant les mêmes difficultés d'approvisionnement qu'avant eux les Wagner, ne seront-ils pas tenter à leur tour de faire défection ? Les renseignements ukrainiens disent que les premières désertions ont déjà eu lieu et, à défaut d'être confirmée pour l'instant, l'information semble vraisemblable. Aussi, plutôt qu'un signe d'escalade, cette implication nord-coréenne, suggère que les russes rencontrent les mêmes difficultés que les ukrainiens en matière de recrutement. 

Dans ce contexte peu favorable à Moscou, la promesse de Donald Trump de mettre fin rapidement à la guerre apparaît comme une bouée de sauvetage lancée à Poutine. Mais, dans un camp comme dans l'autre, il y a des "lignes rouges" : les conquêtes territoriales pourraient être "gelées" à leur niveau actuel, mais Zelensky n'accepterait pas un accord de type "munichois" qui se ferait entièrement aux dépens de l'Ukraine et sans que celle-ci ait son mot à dire. D'autres questions seraient écartées, comme celle d'une éventuelle réparation pour les destructions subies par l'Ukraine et celle-ci sera alors le dindon de la farce. Le président ukrainien n'accepterait de négocier sur ces bases qu'en échange de la sécurité apportée par une adhésion à l'OTAN, ce que Poutine n'acceptera jamais. Et même si cela était possible, le désengagement annoncé des Etats-Unis vis-à-vis de l'alliance atlantique rendrait cette sécurité illusoire.

Dans une tribune parue dans Libération, le député européen Bernard Guetta tire ses conclusions de la situation géopolitique actuelle : il suggère que c'est à l'Union Européenne et non à l'OTAN de garantir la sécurité de l'Ukraine par un déploiement de troupes sur la "ligne de démarcation" entre la Russie et l'Ukraine. Pour lui, trois chefs d'état ou de gouvernements européens pourraient être les initiateurs d'une telle démarche : le premier ministre polonais Donald  Tusk, bien conscient de la menace russe sur l'Europe, qui réarme son pays à marche forcée et appelle l'Union à une défense commune ; le probable futur chancelier allemand Friedrich Merz est lui aussi partisan d'un réarmement de son pays, quitte à rompre avec l'orthodoxie budgétaire chère à Angela Merkel ; enfin, le président français  Emmanuel Macron, à la tête de la seule puissance nucléaire de l'Union, qui évoquait déjà l'idée d'envoyer des troupes en Ukraine.

L'idée peut sembler osée et l'adhésion de l'Union et de son opinion publique n'est pas gagnée d'avance. Mais il ne faut pas sous-estimer la puissance militaire européenne. Le vieux proverbe latin "si vis pacem, para bellum" n'a jamais été aussi vrai et l'expérience des prémices de la deuxième guerre mondiale a démontré que la frilosité  des dirigeants et des peuples n'a jamais conjuré une menace imminente. L'action que propose Bernard Guetta pourrait avoir plusieurs effets favorables : d'abord il semble possible d'obtenir l'adhésion de la Grande Bretagne malgré son retrait de l'Union Européenne et ce serait alors deux puissances nucléaires que Poutine aurait en face de lui. Il est également possible que Trump, devant la volonté de l'Europe d'assumer sa propre défense, assouplisse sa position concernant l'OTAN. Et ce serait enfin la première pierre d'une défense européenne commune, seule capable de garantir la sécurité des pays européens. 

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