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Billet de blog 11 décembre 2025

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Procès en appel des sept militants : "une pièce de théatre de l'absurde"

Les sept militants mis en examen pour intrusion sur l"aéroport de Roissy avaient été relaxés en première instance. Le parquet ayant fait appel, ils comparaissaient devant la cour d'appel de Paris. Le déroulé du procès s'est avéré très différent de ce qu'il avait été devant le tribunal de Bobigny.

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Le procès en appel des sept militants poursuivis en correctionnelle pour avoir fait une intrusion sur l'aéroport de Roissy le 2 octobre 2020 s'est déroulé au palais de justice de Paris en deux temps : la première journée (lundi) est consacrée à l'exposé des faits, commentés par le Parquet et la défense, à l'audition des prévenus, qui ont pu faire une déclaration et à l'audition des deux témoins "scientifiques". Le deuxième jour, audition des deux témoins restants, réquisitions et plaidoirie. 

Une conversation préliminaire avec maître Baudelin, avocat de la défense, apporte des précisions sur la façon dont va se dérouler le procès. Un point positif est l'évolution de la jurisprudence en faveur des prévenus des procès de désobéissance civile non violente. De plus, selon l'avocat, les juges qui vont mener le procès ont la réputation d'être ouverts et réceptifs, ce qui sera confirmé tout au long des débats. Le procès semble donc s'ouvrir dans des conditions favorables à la défense.

Il est effectif que les débats ne sont pas conduits de la même façon qu'au cours du procès de première instance. La différence cruciale est le temps consacré à l'audition des prévenus : alors que les juges de première instance estimaient que c'était une perte de temps d'entendre les déclarations des prévenus (!!!), ici c'était le contraire, chacun d'eux étant appelé à la barre pour faire part des motivations qui les avaient poussé(e)s à enteprendre cette action. On observe dès cette phase du procès une certaine neutralité de la présidente, qui pose des questions et reçoit des réponses sans faire de commentaires. A ce moment du procès, on entend peu les autres juges, mais on devine chez eux une attention soutenue, voire une certaine compréhension. Toutes les attaques viennent d'une procureure dont le parti pris se dévoile quand elle accuse Audrey (porte-parole et coordinatrice du mouvement Non au T4) d'être la meneuse de l'action, qu'elle interroge Jérôme (membre de scientifique en rébellion) en mettant en doute les données scientifiques qui lui servent de référence et en affirmant que la désobéissance civile est inutile, puisque l'influenceuse Swann Périssée informe de façon plus efficace que nous. On peut se demander quels sont ses instruments de mesure pour porter une telle appréciation mais surtout, la procureuse semble ignorer que l'influenceuse a interviewé Camille Etienne sur le sujet de la désobéissance civile. Mais là où elle se couvre de ridicule, c'est lorsqu'elle affirme que l'influenceuse est contre la désobéissance civile. Le démenti de cette allégation arrivera à la deuxième audience, sous la forme d'une vidéo dans laquelle Swann Périssée déclare qu'elle est pour la désobéissance civile et apporte son soutien aux prévenus.

Puis commence l'audition des témoins, qui va se dérouler sur deux jours. Ce sont les témoins "scientifiques" qui vont être interrogés en premier. Ici, rien de très nouveau en comparaison de la première instance, au cours de laquelle les deux témoins s'étaient déjà exprimés. Florian Simatos, enseignant-chercheur à Sup Aéro de Toulouse, redit ici le septicisme qu'il avait déjà exprimé lors du premier procès concernant les solutions "technologiques" et affirme à nouveau que la seule solution est la décroissance du secteur aérien. La climatologue Elisabeth Michel redit à son tour l'urgence de la situation climatique. Ce qui, par rapport à la première instance, change à l'audition de ces deux témoins, c'est la façon attentive dont sont écoutés ces deux témoignages. L'un des juges, après avoir bombardé de questions les témoins, en arrive à la conclusion que les accords de Paris, finalement, ça n'a servi à rien. Quant à la procureure, probablement échaudée par les épisodes précédents, elle ne posera aucune question.

Le mercredi, l'audition des témoins continue. C'est d'abord Françoise Brochot, présidente de l'ADVOCNAR. Elle aussi va redire ce qu'elle a déjà exprimé en première instance, concernant le refus des autorités de prendre en considération les demandes des associations : « Depuis 1986, nous multiplions les actions légales : manifestations, pétitions, actions juridiques, sensibilisation des élus… C’est le plus souvent en pure perte ». Lorsqu'on a épuisé tous les moyens légaux, qu'on s'est retrouvé devant des montagnes d'inertie et de mauvaise foi, les actions comme celle du 2 octobre demeurent le seul moyen de les aplanir. 
Le quatrième témoignage est celui d'Antony Viaux, ancien pilote de ligne ayant quitté son métier à la suite d'une prise de conscience des dommages environnementaux provoqués par l'aviation. Il en a fait un livre intitulé "voyage interrompu" (éditions de l'Aube). Il faut préciser que cette démarche n'est pas isolée, le magazine allemand der Spiegel ayant, il y a quelques années, fait état de pilotes d'avions qui se reconvertissent en conducteur de train. Nous tenons à dire ici que cette décision est tout à l'honneur de ces pilotes car ils quittent un métier prestigieux et gratifiant pour des raisons de conviction personnelle. Mais le témoignage du pilote est rapidement réorienté par la procureure, dans son obsession de démontrer à tout prix  qu'il y a eu là au moins une intention de perturber la circulation aérienne. Dans ce but, elle fait afficher sur écran des plans de l'aéroport pour demander au pilote de lui décrire l'attribution des zones traversées par les manifestants le 2 octobre. Elle en sera pour ses frais, car aucune de ces zones n'est dédiée à la circulation des avions. Et l'avion devant lequel les manifestants se sont finalement arrêtés était à l'arrêt, comme en témoigne sur les photos la présence d'un escalier d'accès aux côtés de l'appareil. Cette allégation du ministère public selon laquelle les manifestants avaient mis leur propre vie en danger en courant le risque d'être aspirés par les réacteurs, s'avère donc aussi fallacieuse et ridicule que les autres.

On en est alors à la dernière phase du procès, le réquisitoire de la procureure et les plaidoiries des avocats. Madame la procureure reste fidèle à sa ligne de conduite, bien qu'une petite phrase de sa part (de mémoire : je vais encore une fois user ma salive pour rien) lui fasse douter du résultat. Et elle a raison car le chef d'accusation qu'elle va invoquer (entrave à la circulation des avions) avait déjà été démonté par la défense lors du premier procès et c'était ce point précis qui avait entraîné la relaxe. Les réponses que lui a faites Antony Viaux démontrent qu'il n'y a même pas eu tentative et, comme elle persiste dans cette voie, la charge de la preuve lui incombe. Elle va donc limiter son réquisitoire à une amende pour tous, à déterminer au cas par cas en fonction des revenus de chacun, dit-elle.
Mais il y a un autre chef d'accusation, le refus de la prise d'ADN qu'ont opposé quatre militants. Sur ce point, la législation française révèle une curieuse notion de la liberté, car les justiciables ont le droit de refuser, mais sont alors passibles d'une amende et d'une peine de prison, respectivement de 15000 euros et d'un an d'emprisonnement. A l'opposé, le droit européen reconnaît le droit de refuser, en fonction de la gravité de l'infraction commise, mais cette disposition est très inégalement appliquée par les tribunaux français. Au cours de l'audition des témoins, la procureuse s'était lancée dans une argumentation filandreuse, prétendant que la prise d'ADN était dans l'intérêt des prévenus pour leur permettre d'être mis hors de cause (de quoi ?). Mais qu'on me permette ici une appréciation personnelle : dans une perspective de prise de pouvoir  par l'extrême droite, il n'existera plus aucune garantie concernant les fichiers ADN, leur utilisation et leur effacement éventuel. Aussi, ce refus de prélèvement par des personnes n'étant ni des criminels, ni des délinquants sexuels est le fait d'une méfiance légitime. Mais ces considérations sont totalement étrangères à la logique de la procureure et elle va requérir, pour les quatre prévenus ayant refusé le prélèvement, une peine d'un mois de prison avec sursis. 

Aussi, dès avant les plaidoiries, le décor est planté : une procureure qui ne connaît que la lettre de la loi, des accusés qui, tels Audrey dans son audition, se demandent ce qu'ils font là cinq ans après les faits et, heureusement, des juges à l'écoute. Au regard des peines encourues, on pourrait considérer les réquisitions du parquet comme modérées, mais la question n'est pas là : il s'agit de renforcer la jurisprudence en faisant reconnaître que les prévenus n'ont fait qu'exercer leurs droits de citoyens et c'est ce à quoi vont s'employer maintenant les plaidoiries des deux avocats. C'est d'abord à maître Chloé Seynac de rappeler qu'aucun élément matériel ne permet de conclure à une entrave à la circulation des avions, ni même à l'intention d'en causer une. Et l'avocate conclut sa plaidoirie par les mots suivants : « On vit une pièce de théâtre de l’absurde. Le parquet, qui refuse de reconnaître l’efficacité pourtant établie de la désobéissance civile, dit que le combat climatique est majeur, mais demande que celui-ci soit mené les bras dans le dos et uniquement à coups de sketchs ! ». Cette dernière remarque fait probablement allusion aux préconisations du parquet de laisser faire les influenceurs plutôt que les activistes.
Le deuxième avocat, maître Alexis Baudelin, commence sa plaidoirie en soulignant le courage de ces prévenus, qui, depuis cinq ans, sont sous le coup d'une procédure judiciaire pour avoir voulu défendre leurs convictions. Au cours de sa plaidoirie, il va d'abord opposer à toutes les dispositions légales qui ont amené les prévenus jusqu'à cette cour d'appel l'article 2 de la charte de l'environnement (toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement), totalement ignoré par les directions aéroportuaires à Paris, à Beauvais et dans beaucoup d'autres aéroports français. « L’avocate générale dit : force à la loi. Mais la loi prévoit que l’État respecte ses engagements climatiques, ce qui n’est pas le cas ! [...] Face à l’injustice et à une situation inacceptable, oui, il peut être dans certains cas légitime de commettre une infraction", dit maître Baudelin. Les prévenus doivent donc être relaxés au nom de l'état de nécessité, reconnu par la jurisprudence.

Mon soutien à ces prévenus et à la cause qu'ils défendent leur était acquis dès la première instance et cela aurait été pour moi un réel plaisir de pouvoir le concrétiser par un témoignage, ce que j'avais proposé. J'aurais alors parlé en tant qu'auteur et signataire de la tribune des médecins sur les nuisances sonores de l'aérien, parue dans le journal Le Monde en décembre 2022 et l'essentiel de mon message aurait été pour rappeler que les données scientifiques et médicales (étude officielle DEBATS, recommandations de l'OMS, articles de la presse médicale) étaient pour la plupart antérieures à l'action sur Roissy, que devant les atteintes à la santé des riverains causées par les nuisances aériennes, la Direction d'ADP choisissait de répondre par un silence assourdissant et que l'action du 2 octobre n'était rien d'autre qu'une tentative pour briser ce silence. Le nombre des témoins étant limité à quatre, il a été préféré le témoignage de l'ancien pilote et c'est mieux ainsi, car il apportait au tribunal une contribution très significative. Il ne reste maintenant qu'à attendre le jugement, qui sera rendu le 16 mars 2026. On ne peut prévoir avec certitude ce qu'il sera, mais les conditions dans lesquelles s'est déroulée cette audience, l'écoute attentive du tribunal et la haute tenue des débats sont autant d'ondes positives pour l'issue de ce procès. 

Remerciements à la rédaction de Reporterre qui a couvert ce procès et en a tiré deux articles cités en lien :
https://reporterre.net/Nouveau-proces-pour-des-militants-anti-avion-C-est-un-veritable-acharnement
https://reporterre.net/Le-proces-des-militants-anti-avion-une-piece-de-theatre-de-l-absurde

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