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Billet de blog 13 décembre 2015

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Contre le chômage, on n'a pas tout essayé

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Les statistiques du chômage, c'est le régime de la douche écossaise : combien de fois, à la suite d'une embellie passagère, ce Gouvernement a fanfaronné que la courbe du chômage était en train de s'inverser. Combien de fois s'est-il couvert de ridicule lorsque, le mois suivant, l'INSEE enregistrait une nouvelle augmentation.

Cela a été le cas en septembre et octobre de cette année, lorsque le nombre des sans-emploi de catégorie 1 a d'abord baissé de 24000, pour augmenter le mois suivant à 42000 (la plus forte hausse mensuelle depuis deux ans), portant à 700000 le nombre des demandeurs d'emplois supplémentaires depuis le début du quinquennat socialiste (Presque aussi "bien" que Sarkozy : 750000) et ceci malgré les nombreux allègements de charges et d'impôts consentis au Patronat, qui - comme cela était pourtant prévisible - s'en est servi avant toute chose pour engraisser les actionnaires.

"Contre le chômage, on a tout essayé", proclamait Mitterrand en 1993. L'afflux de nouvelles propositions, les unes irréalistes, les autres méritant examen, apporte un démenti à cette formule. Ainsi, le magazine Challenges mentionne "cinq idées-choc pour combattre le chômage". Des personnalités de tous horizons - politique (Grandguillaume),  chef d'entreprise (Pouyanné), cadre dans une banque (Lemoine) économiste (Larouturou). professeur (Cahuc) y sont allés chacun de leur idée, que nous allons examiner maintenant.
Laurent Granguillaume, député PS, constate que le chômage de longue durée s'est durablement invité en France, puisque les personnes concernées représentent aujourd'hui entre 40 et 50% des effectifs totaux de la catégorie 1. C'est concéder qu'aujourd'hui, le marché du travail se décline en mode précaire ! Ce n'est donc pas à la racine du mal que s'attaque la proposition du député (d'ailleurs pas la sienne, mais celle d'ATD quart-monde), qui préconise de remettre au travail tous les chômeurs de longue durée. Comment ? En utilisant les fonds de l'assurance chômage, du RSA ou de l'ASS non plus pour les indemniser, mais pour les remettre au travail, avec des salaires à hauteur du SMIC,
Ce projet qui a fait l'objet d'une approbation à l'unanimité à l'Assemblée Nationale sous l'appellation "zéro chômage de longue durée", doit faire l'objet d'une expérimentation de cinq ans sur dix territoires-test à l'échelle de commune de toute taille :  l'idée, selon Granguillaume, est de "permettre aux entreprises de l'économie sociale et solidaire de recruter en CDI des chômeurs de longue durée et payés au SMIC". Les "cobayes" de cette expérience seront des volontaires, recrutés en CDI et payés au SMIC.
Ce projet  novateur, voire iconoclaste, est pourtant affecté de plusieurs bémols :
- d'abord une hérésie économique : il s'agit d'un projet qui consiste à créer des emplois en fonction des besoins non pas des entreprises et/ou des collectivités locales,
- Ensuite, les emplois ainsi créés ne doivent pas générer un chômage accru en faisant une concurrence déloyale aux activités des entreprises des secteurs concernés.
- Dans le projet, il manque un volet formation, pourtant nécessaire s'agissant de personnes écartées de l'emploi actif depuis de nombreuses années Par ailleurs, Le risque est important, en rémunérant les intéressés au minimum légal, de créer de nouvelles trappes à bas salaire.

Pour toutes ces raisons, le projet est complexe à mettre en oeuvre et le succès pas garanti du tout. Et si cela se termine par un échec, on aura encore perdu les cinq ansde l'expérientation.
Patrick Pouyanné, PDG de Total, propose la mise à la retraite d'office des salariés disposant de leurs pleins droits à la retraite, sous condition d'embaucher des jeunes à cette occasion. Cette proposition ne tient pas la route, car elle méconnaît l'état actuel du marché de l'emploi où environ 50% des seniors de 55 à 64 ans ont déjà quitté le marché de l'emploi. Elle est synonyme de perte du savoir-faire accumulé par ces seniors au cours de leur carrière, au profit de jeunes qui n'ont pas d'expérience professionnelle et dont la formation n'est aucunement mentionnée. Elle contribuerait à gréver encore un peu plus les finances des caisses de retraite, qui, encore une fois de plus, seraient tentées de "se rattraper" sur le dos des futurs retraités. Enfin, elle n'apporte aucune garantie de durabilité des emplois ainsi créés.

Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de la banque HSBC, prétend interdire qu'un jeune puisse sortir de l'école sans diplôme ou formation professionnelle: "les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ont réussi à réduire le taux de chômage des jeunes en obligeant leurs institutions à assurer une formation alternative à tous les élèves en échec". Si l'idée d'apporter une deuxième chance aux jeunes en situation d'échec scolaire est louable, elle ne répond pas à la simple question : pourquoi autant d'élèves (140000 par an, soit 20% d'une classe d'âge) sont-ils en situation de décrochage scolaire ? La lutte contre ce fléau est aussi une lutte contre les inégalités sociales. Il ne donc faut pas attendre d'une technocrate de la finance qu'elle réponde à cette question et encore moins qu'elle suggère des remèdes autres que sous forme de voeux pieux !
Quant à l'argument selon lequel les pays-Bas et la Grande Bretagne ont des taux de chômage moins élevé parce qu'ils forment mieux leurs jeunes, c'est oublier qu'il y a d'autres dispositions qui expliquent mieux les taux de chômage peu élevés, parfois de façon totalement artificielle comme la pratique des contrats zéro heures en Grande Bretagne, ce qui rend les statistiques strictement incomparables d'un pays à l'autre.

Pierre Cahuc, professeur à Polytechnique, veut supprimer toutes les charges pour les salaires jusqu'à 1.6 SMIC. Cette mesure, mentionne l'article de Challenges, avait déjà été appliquée en 2010, mais abandonnée par Sarkozy parce que trop coûteuse. Depuis qu'on pratique les diminutions de charges et d'impôts, si celles-ci avaient le moindre impact sur l'emploi plutôt que d'engraisser les actionnaires, ça se saurait !

Pierre Larouturou, économiste et co-président de Nouvelle Donne, propose d'appliquer en France la pratique du Kurzarbeit en oeuvre en Allemagne. Cette proposition  est l'une des cinq mesures du plan d'urgence de Nouvelle Donne pour lutter contre le chômage et on y apprend que ce système est également en vigueur au Canada (dispositif fédéral du travail partagé).
Lorsqu'une entreprise connaît une baisse d'activité, elle devrait, avant toute mesure de plan social, procéder à un partage du temps de travail en réduisant celui-ci, tout en gardant l'ensemble de ses salariés. L'entreprise réduirait les salaires en proportion des heures de travail effectuées et le complément serait assuré par les ASSEDIC. Quant aux cotisations sociales, elles seraient maintenues et proportionnelles à la part de salaire versée par l'entreprise. 

Cette pratique, par rapport à toutes les autres proposées ici, présente beaucoup d'avantages :
- Elle ne repose pas sur la création artificielle d'emplois, mais sur la préservation d'emplois existants.
- Elle permet de conserver le savoir-faire de l'entreprise jusqu'à ce que revienne une période d'activité.
- Elle est moins coûteuse que les conséquences d'un plan social, tant pour l'entreprise que pour l'assurance chômage et les autres systèmes de protection sociale.
- Elle sauvegarde la  qualité des emplois, plutôt que de faire baisser le chômage en générant des emplois mal payés et peu attractifs.
- Elle permet de conserver la compétitivité des entreprises jusqu'à ce que la conjoncture devienne meilleure.

Et surtout, cette mesure, ainsi que les autres mesures du plan, seraient rapides à mettre en oeuvre s'il y avait une volonté politique. Alors, qu'attendons-nous ?

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