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Billet de blog 15 novembre 2014

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Paradis fiscaux : le Luxembourg ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt

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Un ami du collectif Roosevelt communique aux adhérents du collectif l'information en pièce jointe. Ce document nous apprend plusieurs choses :
- La fameuse loi de fausse séparation des activités des banques, si controversée par le collectif Roosevelt et Nouvelle Donne, a eu au moins un mérite :  celui d'obliger les banques françaises à rendre publiques les informations concernant leurs activités dans les paradis fiscaux (nombre de salariés, nombre de filiales, nature de leurs activités, chiffre d'affaires). Les banques françaises ont déjà commencé à s'exécuter et l'on pourra dresser un "état des lieux" en 2015. La France est même en pointe sur ce sujet, par rapport à beaucoup d'autres pays européens. Cela est un début car, sans informations, toute tentative de lutte contre l'évasion fiscale organisée par les paradis fiscaux est vouée à l'échec.
-  Une bonne nouvelle : ce mouvement est suivi par la Commission Européenne qui a fixé à 2016 la date à laquelle "toutes les banques européennes devront rendre publiques ces informations concernant la richesse qu’elles créent et les impôts qu’elles payent dans tous les pays où elles ont des activités." Et vu le scandale qui défraie la chronique à propos du Luxembourg et qui arrose monsieur Junker - ancien premier ministre qui, d'un coup de baguette magique, a fait passer ce confetti de l'Union Européenne d'un statut de membre fondateur de la CECA (communauté européenne du charbon et de l'acier, mais il y a bien longtemps que le Luxembourg ne produite plus d'acier ! -  à celui de principal "trou noir" des ressources fiscales de l'Union, l'Union Européenne ne pourra pas "mettre en veilleuse" ses propres décrets, sous peine d'être rendue suspecte de lobbying intense de la part de la finance et de se décrédibiliser encore un peu plus devant les citoyens d'Europe.
- Le rapport fournit des statistiques provenant de deux sources différentes, concernant les activités des banques françaises, en termes de pourcentages de filiales et de  volume des activités. Il est intéressant de constater une bonne concordance en termes de données globales, mais une divergence lorsque les études se focalisent sur les paradis fiscaux. Cela montre qu'en termes de transparence, il y a encore un long chemin à parcourir ! 
- Le tableau suivant, qui nous renseigne sur la productivité des salariés des filiales, nous enseigne que celle-ci est beaucoup plus élevée dans les paradis fiscaux. La productivité est le résultat d'une fraction et on pourrait penser que ce résultat est lié à une meilleure compétence de ces salariés (mais on se demanderait bien pourquoi !). Mais on peut interpréter ce résultat comme lié à une baisse du dénominateur - c'est à dire du nombre de salariés - et cela montrerait que ces filiales bancaires n'ont pas de réelle fonction, sauf de servir de coffre-fort fiscal.
- Si le Luxembourg arrive en tête du "classement", le récent scandale du LuxLeaks ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt :  il y a beaucoup d'autres paradis fiscaux : sans parler des iles Caîmans ou de Singapour, rien qu'en Europe on peut aussi citer la Hollande, la Belgique, le Lichtenstein, la Suisse, sans oublier l'orgueilleuse place financière de la City de Londres. Rappelons en outre l'existence de paradis fiscaux aux iles Anglo-Normandes qui, contrairement à leur suzerain (le Royaume-Uni) ne font pas parti de l'Union Européenne. Quant aux Etats-Unis, il ne sont pas exempts de paradis fiscaux, puisque le document mentionne les états du Delaware, du Nevada et du Wyoming.
- Mais si nous avons jusqu'à maintenant focalisé notre commentaires sur les banques, il ne faut pas oublier les entreprises qui profitent de ces services d'évasion fiscale et les contraindre également à rendre publiques les informations concernant leurs activités dans les paradis fiscaux. Si, comme le souligne le rapport, il serait peu réaliste d'interdire purement et simplement d'exercer des activités dans les paradis  fiscaux, les entreprises doivent pouvoir prouver qu'elles y exercent une activité réelle et, dans le cas contraire, être imposées dans leur pays d'origine. Cela donnerait un socle à la proposition dissuasive de Nouvelle Donne d'interdire à une entreprise ayant recours à l'évasion fiscale de concourir aux marchés publics.
Si le document présente les limites de cette démarche d'assainissement, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un premier pas. Au niveau de l'Union Européenne, il faudra que la Commission comprenne qu'on ne peut pas exiger des états qu'ils réduisent leur endettement si on leur refuse les moyens  de lutter contre la déperdition fiscale, sauf à leur imposer des cures d'austérité répétitives et accrues qui nous feraient inmanquablement rentrer dans la spirale de la déflation. Au niveau mondial, chacun des états doit prendre conscience que la lutte sévère contre les paradis fiscaux est le seul moyen de rendre aux états le pouvoir qu'ils ont progrssivement abandonné aux multinationales et à la finance. La bonne nouvelle sur ce point, c'est que tous ces sujets seront à l'ordre du jour du G20 et Brisbane, qui se tient en ce moment. Le document formule un certain nombre de propositions qui vont dans le bon sens. Mais, comme Saint Thomas, nous attendrons de voir pour y croire, car il faut espérer que Hollande, qui participe à cette réunion, ne va pas faire profil bas, comme il l'a fait au niveau national quand il a promulgué une loi de fausse séparation bancaire ou au niveau européen quand il défend une taxe sur les transactions financières au rabais.

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