C'est un avertissement lancé dans une lettre ouverte cosignée par 44 climatologues de réputation mondiale, avec bibliographie scientifique à l'appui : sous l'effet du réchauffement climatique, un ralentissement des courants océaniques de l'atlantique, qui sont un facteur important du climat des régions concernées, pourrait faire entrer l'Europe dans un hiver polaire permanent, avec un climat aussi compatible avec la vie humaine que celui du continent antarctique actuel..
Un regard sur les cartes de courant océanique (ci-contre) aide à la compréhension de cette exception européenne : le système de courants océaniques, appelé AMOC (acronyme pour Atlantic Meridional Overturning Circulation). Dans l'Atlantique, les courants chauds de surface (en rouge) qui remontent du cap de Bonne Espérance jusqu'à proximité du Groenland régulent le climat de nos régions tempérées. Ce courant, plus connu sous le nom contesté de Gulf Stream au large de l'Europe, se refroidit sous les plus hautes latitudes et plonge en profondeur pour devenir courant du Labrador qui longe les côtes américaines, à l'origine du climat plus rigoureux de l'Amérique du Nord. Les vents marins, dont la température est correlée à celle de l'eau de mer, prennent le relais pour souffler le chaud ou le froid selon les longitudes.
Ce phénomène régulateur du climat est en train de se dégrader sous l'effet d'une désalinisation de l'eau due à la fonte rapide des glaces du Groënland. Selon le climatologue allemand Stefan Rahmstorf, l'AMOC aurait perdu 15% de sa vitesse par rapport à la période 1850-1900. D'autres parlent plus modestement d'un ralentissement de 4% sur les quarante dernieres années. Mais si les climatologues sont d'accord sur les effets desastreux qu'aurait sur le climat européen un ralentissement très important ou l'arrêt de l'AMOC, les scénarios varient selon la localisation géographique : Alors que dans d'autres parties du monde, le climat continuerait à se réchauffer, l'Europe vivrait une période de froid extrême. Quant à la temporalité, si un rapport du GIEC de 2023 estimait très improbable l'hypothèse d'un effondrement de l'AMOC avant la fin du siècle, les 44 signataires de la tribune mentionée plus haut écrivaient qu'il ne fallait pas sous-estimer ce risque. Mais même sur ce scénario d'une glaciation de l'Europe, des voix dissidentes s'élèvent comme celle du chercheur français Didier Swingedow : dans une interview au Nouvel Observateur où il décrit aussi les moyens mis en place pour surveiller l'AMOC. Pour lui, Stefan Rahmstorf est exagérément pessimiste au moins dans la temporalité des faits, car une glaciation ne s'installe pas en un jour. Si, à long terme, ce scénario n'est pas exclu, en Europe, il faudrait plutôt s'attendre dans l'immédiat à un climat de type canadien, avec des hivers plus rigoureux et des étés plus chauds. En Afrique, les perturbations des moussons engendreraient une insécurité alimentaire chronique et un tsunami de réfugiés climatiques. Mais tous les scientifiques sont d'accord sur la gravité du phénomène et sur l'impératif d'une diminution d'urgence des émissions de gaz à effet de serre. Avec les données fournies par la Science, ceux qui pensent, comme Donald Trump, que le réchauffement climatique est un canular, n'ont même plus l'excuse de l'ignorance. Mais il déja bien tard pour agir.
Pour en savoir plus, le dossier de Science et Avenir, numéro 937 de mars 2025