Ce livre, paru quelques jours avant l'élection présidentielle, énonce chapitre après chapitre, dans sa première partie (tableau clinique d'un pays en souffrance) tous les maux dont souffre la société américaine.
Le premier de ces maux dérive du surarmement incontrôlé : tueries de masse dans la rue et autres lieux publics, soit par fanatisme religieux ou raciste, soit sous l'effet de la folie. Ce fait avait déjà été évoqué par le film de Michael Moore, Bowling for Columbine. La tuerie de l'école Columbine, c'était en 1999. Aux Etats-Unis, le droit de posséder des armes est garanti par le deuxième amendement de la constitution et verrouillé par le puissant lobby National Rifle Association. Les données numériques fournies par Amy Green révèlent une nation en armes : plus d'une arme par habitant, des ventes d'armes qui ont doublé entre 2009 et 2020, près de 49000 personnes tuées par arme à feu en 2021. Chaque année, ce sont plus de 600 fusillades de masse qui sont recensées dans le pays. On peut augurer qu'après les tensions qui ont marqué le pays au cours de la campagne électorale, les Etats-Unis sont devenus une véritable poudrière où les fusils ne demandent qu'à parler. Il faut se rappeler que quatre présidents ont été assassinés et que Reagan et Trump lui-même ont fait l'objet d'une tentative. Et le contrôle des armes à feu ne peut se faire que par la suppression du deuxième amendement, qui ne peut être obtenu que par une majorité des 2/3 dans les deux chambres, ce qui rend la modification constitutionnelle encore plus difficile à obtenir qu'en France.
L'autrice dresse ensuite le tableau d'un environnement alimentaire toxique : avec ses KFC et autres McDonald, les Etats-Unis sont le temple d'une malbouffe qu'ils ont réussi à exporter chez nous. Avec pour conséquence, une obésité largement répandue, dont la répartition a, elle aussi, un côté inégalitaire puisqu'elle frappe en priorité les états ruraux et relativement pauvres où dans certains d'entre eux - Mississipi, Alabama Oklahoma - plus de la moitié sont frappés. Et aussi puisqu'elle est également prépondérante chez les noirs, les amérindiens et les hispaniques. Pour mesurer l'ampleur du fléau, un rapport du département de la défense précise que 77% des jeunes américains de 17 à 24 ans sont inaptes au service militaire avec pour principal facteur l'obésité.
La recrudescence des addictions aux opiacés fait figure d'une véritable épidémie, résultant d'un effet conjugué de la libéralisation de la prescription médicale liée à un lobbying pharmaceutique intense qui s'ajoute au trafic de drogues. Amy Greene avance que "plus d'un million d'américains sont morts d'une overdose depuis 2000". Les quantités avancées par la presse sont variables, mais convergent pour démontrer'une addiction croissante du pays à des drogues diverses : 82000 personnes mortes d'overdose en douze mois (2021-2022), 120000 décès par overdose en 2023. Aujourd'hui, les opioïdes font plus de morts que les armes à feu.
L'inadéquation du système de santé américain complète le tableau : déjà dénoncé par Michael Moore (encore lui) dans son film "Sicko", sorti en 2007 et commenté pour un bulletin de la CGT (2), il s'agit d'un système entièrement aux mains des assurances privées, qui ne couvre que 70% des américains et laisse plus de 13% d'entre eux sans aucune couverture. Pour en évaluer l'efficacité, il y a des indices qui ne trompent pas : la mortalité infantile -5 pour mille aux Etats-Unis, contre 3 pour mille pour la France et l'Union Européenne - est en hausse depuis que la Cour Suprème (à la botte de Donald Trump, rappelons le) a détricoté le droit constitutionnel à l'avortement. L'espérance de vie à la naissance a baissé de plus de deux ans entre 2019 et 2021. Enfin, un taux de suicides (14,7 pour 100000) plus élevé que dans les pays de l'Union européenne - à l'exception de la Lettonie et de la Lituanie - témoigne du mal-être de la société américaine. L'analyse des données en termes d'efficacité/ investissement dévoile un pays qui dépense -selon Amy Greene - 13000 dollars par habitant et par an en 2021 contre 3350 euros en France la même année. Ainsi est mise en évidence l'inefficacité globale du système, alors que les Etats-Unis disposent des meilleurs programmes de recherche, d'équipements de très haut niveau et d'excellents professionnels de santé. Cherchez l'erreur !!!
Lorsque les incohérences d'une société éclatent au grand jour, c'est sa survie même qui est menacée. Paul Valéry écrivait : "les circonstances qui enverraient les oeuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre celles de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables, elles sont dans les journaux". Si l'on remplace Baudelaire et Keats par Longfellow et Edgar Poe, la phrase s'applique aujourd'hui à l'Amérique.
(1) Amy Green : L'Amérique face à ses fractures. Editions Taillandier, 2024
(2) Pierre Sassier : Il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade. Bulletin "Union" de la CGT Paris Nord 2, septembre 2007 (en pièce jointe).

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