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Billet de blog 20 janvier 2023

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Les mégabassines ou un « Hold up » sur l'eau

C'est une véritable « guerre civile de l'eau » qui s'annonce, quand une fraction infime de la population prétend, pour des raisons économiques, accaparer une ressource de plus en plus rare. L'exemple des mégabassines est, sur ce point, significatif.

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Avec la construction des mégabassines, c'est une véritable guerre de l'eau qui se profile entre l'agro-industrie et le reste du monde paysan : la bassine de Sainte Soline, prise ici en exemple, peut contenir jusqu'à 650000 mètres cubes d'eau . il en serait programmé mille sur tout le territoire national dont seize sur le seul Marais Poitevin. 

La gestion de la ressource hydrique devient primordiale : dans le podcast "dernières limites" d'Audrey Boehly, l'hydrologue Florence Habets tire un bilan alarmant de la situation : à l'heure où la pénurie d'eau potable s'accroit jusqu'à menacer 50 % de l'Humanité à l'horizon 2050, la part de l'industrie dans la consommation d'eau et le rejet d'eaux polluées reste importante - 25% de la consommation globale - tandis que l'agriculture se taille la part du lion - 75% - C'est donc dans ces deux domaines que les mesures d'économie apparaissent cruciales. 

La question des bassines s'inscrit dans un contexte de déficit pluviométrique, affectant les différentes régions de manière très inégale : au mois de janvier 2022, le déficit de précipitation atteignait 45% sur l'ensemble du pays avec une situation particulièrement critique pour le sud-est de la France, où le déficit approchait les 100%. Or il faut se rappeler que l'hiver est la période de recharge des nappes phréatiques. Un communiqué de presse émanant du Service Géologique National nous dit que "les niveaux des nappes à l’entrée de l’hiver 2022-2023 sont nettement inférieurs à ceux de l’année dernière, deux-tiers des nappes affichant toujours des niveaux sous les normales mensuelles". Or, comme il ne faut pas compter sur la pluviométrie naturelle pour alimenter ces mégabassines, c'est dans ces mêmes nappes phréatiques en déficit que l'on va chercher par forage l'eau qui les remplira et accessoirement, par des prélèvements dans les rivières. A proximité du Marais Poitevin, ces prélèvements menaceraient d'assèchement cette importante zone humide.
Au simple vu de ces données, il n'est pas besoin d'être un expert pour comprendre que les pouvoirs publics ne sont plus à une aberration près puisqu'ils autorisent  la multiplication de ces imposants réservoirs d'eau. Mais, plus encore, ils les protègent en envoyant la troupe et justifient un niveau de flicage digne des grandes affaires criminelles envers les opposants en inventant le concept "d'écoterroristes". Il s'agit là d'une criminalisation de ceux qui portent la raison au profit des véritables criminels environnementaux. C'est aussi la lutte du pot de terre contre le pot de fer : Les autorisations préfectorales pour les bassines  de Charente Maritime  ont fait l'objet d'une annulation par la cour d'appel pour insuffisance d'étude d'impact sur l'environnement et tout porte à croire qu'il en sera de même pour la bassine de Sainte Souline. En Ile de France, c'est celle de Banthelu (Val d'Oise) qui n'a fait l'objet d'aucun permis de construire. C'est le monde à l'envers : les uns agissent en toute illégalité et ce sont les autres qui font l'objet de poursuites judiciaires ! 

La mise en place de mégabassines a également une dimension sociétale : le magazine en ligne Reporterre titre "bataille contre le "hold up sur l'eau de l'agriculture intensive", qui représente, selon les données fournies par le podcast "dernières limites" 6%  de la profession agricole. Ces bassines sont donc un système de confiscation de la ressource hydrique par une minorité d'agriculteurs et c'est la raison pour laquelle la FNSEA, vent debout contre le projet, manifeste avec les militants. Ce stockage d'eau est, en France, l'expression du même accaparement de toutes les ressources naturelles exercé par la société capitaliste lorsqu'elle y voit une source de profit : cette mainmise sur la ressource hydrique peut aller, comme en Australie, jusqu'à une situation de contrôle de la ressource par de gros intérêts économiques, qui fixent le prix de l'eau et privent ainsi les "petits" agriculteurs de l'accès à la ressource. Un responsable banquier justifie cette mainmise par une approche purement moralisatrice vis-à-vis du consommateur : « Ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix. Comment convaincre les gens de réduire leur consommation si vous leur donnez l’eau gratuitement ! »  Cela ne manque pas de sel de voir un de ces investisseurs, responsable de la fuite en avant de la consommation, sermonner le "petit peuple" sur des habitudes qu'il a lui-même créées. Et cela dit assez à quel point, pour le capitalisme, les profits valent mieux que les vies.

Dans le Podcast "dernières limites", Florence Habets évoque les solutions à mettre en place pour faire face à la diminution de la ressource en eau. Elle constate d'abord que l'industrie a fait de réels efforts pour réduire sa consommation en eau et que l'agriculture industrielle demeure le plus gros consommateur d'eau. La mise en place de mégabassines ne ferait qu'accentuer cette tendance, alors qu'il faut au contraire la réduire. Une fois admis ce principe, la réponse tient en une série de mesures avec un mot clé : l'adaptation. 
- Les terres agricoles doivent être aménagées pour préserver ou restaurer une qualité qui permette de maintenir l'eau dans les sols  (restauration des haies dans les bocages, mise en place de plantes aux racines profondes pour maintenir la cohésion de la terre arable).
-  Les cultures qui consomment les nitrates pour préserver la qualité des nappes phréatiques doivent être préférées.
Les méthodes d'irrigation doivent être adaptées : pratique du goutte à goutte pour concentrer l'eau au plus près de la racine de la plante à irriguer. L'eau est captée rapidement et directement sans évaporation.

Pour Florence Habets, les solutions sont à notre portée, mais ne deviendront opérationnelles que si la volonté politique est au rendez-vous. Et c'est encore une fois de plus l'inertie coupable des politiques face aux problèmes dénoncés par les scientifiques qui engendre des solutions à très court terme comme les mégabassines. 

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