Il n'y a plus que dix sept "survivants" des glaciers pyrénéens, onze du côté français et six sur le versant espagnol. Survivants, mais moribonds : au pied de la face nord du Vignemale qui, avec ses presque 3300 mètres d'altitude, est le point culminant des Pyrénées françaises, le glacier des Oulettes de Gaube n'est plus que l'ombre de lui-même. Le glaciologue Pierre René souligne le caractère irréversible de cette disparition :"il vit ses dernières années quoi qu'on fasse". Le glacier, qui allait jusqu'au pied de la face Nord, s'est rétracté, comme le confirme ce propos d'un ancien guide de haute montagne : "La face Nord et Sud du Vignemale sont plus techniques. Depuis les années 1990, il faut escalader trente mètres de plus pour arriver au premier relais".
Sur le versant espagnol, le constat est le même : un autre glacier important - celui de la face Nord du Monte Perdido - est aujourd'hui coupé en deux. Pour avoir fait cette course glaciaire, il y a plus de quarante ans, je peux témoigner que ce glacier était d'un seul tenant, ce qui n'apparaît plus sur les photos prises aujourd'hui. Pour les autres glaciers d'Espagne, les données ne sont pas plus rassurantes : le glacier de l'Aneto - le plus grand des Pyrénées situé dans le massif de la Maladetta où la Garonne prend sa source- en aurait lui aussi pour dix ans d'existence et, côté français, sa disparition pourrait avoir des conséquences importantes sur le débit du fleuve.
Les glaciers des Pyrénées seront les premiers à disparaître, car ils sont les plus méridionaux d'Europe; mais on sait déjà que le phénomène est mondial. Dans les Alpes, le "château d'eau de l'Europe", qui participe à l'hydrologie de quatre bassins fluviaux (Rhône, Rhin, Danube, Po) connaît lui aussi des pertes de masses glaciaires importantes, avec des conséquences à venir sur le débit des fleuves. Ici, on peut aussi augurer d'une baisse de la production d'énergie hydroélectrique, mais également nucléaire, car le refroidissement des centrales situées le long du Rhône est assuré par l'eau des fleuves. L'Himalaya n'est pas non plus épargné et la pénurie d'eau rend obsolète l'accord de l'Indus sur la répartition des ressources hydriques entre les pays de la région, avec toutes les menaces géopolitiques de conflits latents ou déclarés pour la maîtrise de cette ressource essentielle.
Pourtant, les quantités d'eau qui nous viennent des nuages n'ont pas diminué. Mais les précipitations excessives que nous vivons actuellement - dues au conflits de masses d'air liées au réchauffement climatique - attestent surtout d'un dérèglement complet de la gestion naturelle des eaux : elles sont insuffisantes pour la recharge hivernale des glaciers, mais largement suffisantes pour faire déborder les rivières dès la saison automnale, ajoutant aux sécheresses estivales une saturation en eau des espaces agricoles concernés qui les rend tout aussi impropres à l'agriculture. On pourrait croire aux prémisses d'un nouveau déluge à une différence près : il n'y aura pas d'arche de Noé pour préserver la biodiversité.