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Billet de blog 24 juin 2025

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Trump et la guerre en Iran

Donald Trump avait dit se donner deux semaines pour prendre la décision d'intervenir ou non dans la guerre israélo-iranienne. On n'est pas dans la tête du président américain, mais on peut imaginer plusieurs raisons qui ont guidé la décision d'attaquer immédiatement. Quant aux suites, il se pourrait que tout soit à recommener dans quelques mois.

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Passons rapidement sur la raison officielle avancée par Netanyaou et par Trump : le danger imminent d'une arme atomique iranienne, proclamé par Trump en contradiction avec les analyses de ses propres services : rappelons que nous avons affaire à un président qui ment comme il respire. Si c'est ici le cas, on assiste à un remake du prétexte qui avait servi à Georges Bush junior pour attaquer l'Irak. On peut plutôt imaginer d'autres raisons qui ont poussé Trump à cette intervention hâtive, au nombre de trois :

La première de ces raisons remonte à novembre 1979, année où l'ambassade américaine à Téhéran est prise d'assaut par une foule déchaînée. Cette violation majeure du droit international, assumée et soutenue par le pouvoir iranien, est suivie par une autre, la prise en otage du personnel de l'ambassade, assortie d'une condition non négociable de leur libération du côté iranien, mais inacceptable du côté américain : l'extradition du shah, alors hospitalisé aux Etats-Unis. Ces conditions deviennent sans objet à la mort de l'ex monarque iranien. Les négociations, menées par l'intermédiaire de l'Algérie, se concluent par la libération des otages après 444 jours de détention, contre un engagement de non ingérence dans les affaires de Téhéran, un dégel des avoirs iraniens aux Etats-Unis et la renonciation à toute sanction commerciales. Mais les relations diplomatiques n'ont jamais repris entre les deux pays et les Etats-Unis n'ont jamais rouvert leur ambassade à Téhéran. C'est donc une rancune bien cuite qui pourrait être une motivation plus ou moins consciente de ce conflit. Mais  lorsque, dix jours plus tôt, Trump pronait la diplomatie, pensait-il vraiment avoir les moyens de reprendre un dialogue rompu depuis cinquante ans avec un interlocuteur qui considère les Etats-Unis comme la créature du "grand Satan" ?

La deuxième raison est que, par cette opération, l'Amérique envoie, à la face des dirigeants russes et chinois, le signal qu'elle possède la capacité technologique de détruire n'importe quel pays à partir de son territoire : il s'agit, en effet, d'une opération menée depuis les Etats-Unis, avec des avions furtifs, et des bombes capables de pénétrer et d'exploser profondément dans le sol, rendant illusoire toute "bunkérisation" de l'arsenal nucléaire iranien. Il s'agit là, face aux menaces russe et chinoise, d'une capacité de dissuasion beaucoup plus efficace que l'arsenal nucléaire européen.

La troisième raison est que l'élimination d'un des alliés de Poutine, de surcroit fournisseur d'armes de la Russie, pourrait amener le Kremlin à renoncer à son intransigeance actuelle et à engager enfin des pourparlers de paix avec Kiev. Le retour de la paix en Ukraine permettrait au Etats-Unis de concrétiser l'accord sur l'exploitation des terres rares signé entre les deux pays - à très long terme parce qu'il faudrait d'abord réparer et déminer.

Ce seraient donc principalement des considérations géopolitiques qui auraient emporté la décision d'entrer en guerre contre l'Iran. Mais cette décision reçoit une approbation mitigée : du côté démocrate, on parle d'une mesure inconstitutionnelle - une déclaration de guerre ne pouvant se faire sans l'aval du Congrès - qui pourrait même être un motif de destitution. Du côté républicain, cette entrée en guerre des Etats-Unis est loin de faire l'unanimité. Enfin, du côté de l'opinion publique, on redoute des conséquences qui pourraient aller jusqu'à des attaques terroristes sur le territoire américain.

Une autre réalité de la géopolitique au Moyen Orient est l'isolement de l'Iran, qui n'a aucun allié dans la région : seul pays à majorité chiite du Moyen Orient, il a suscité la création de milices dans les pays voisins à majorité sunnite, qui sont autant d'éléments déstabilisants de ces états. L'attaque d'une base américaine au Quatar, condamnée par plusieurs états, est également perçue comme une menace potentielle sur tous les territoires de la région.  Ni la Russie, qui, occupée en Ukraine, a déjà lâché le régime de Bachar el Assad en Syrie, ni la Chine ne sont des alliés sûrs. 

Il existe aussi une incertitude concernant le détroit d'Ormuz, par lequel passent 20% des approvisionnements mondiaux en pétrole. Un blocage par l'Iran entrainerait un nouveau choc pétrolier, qui affecterait surtout la Chine, mais également l'Iran lui même, qui se priverait d'une partie importante de ses exportations (67 milliards de dollars annuels), ce qui fait douter des experts de la mise à exécution de cette menace. Si, à l'annonce de cette menace, les prix ont connu une hausse temporaire, ils se sont aujourd'hui stabilisés.

La principale question est donc de savoir si le raid américain a atteint ses objectifs, l'anéantissement du programme nucléaire iranien. Les services de renseignement américains disent que les opérations militaires n'ont fait que retarder le programme de quelques mois, à l'inverse du président qui accuse ses propres services de dénigrer son action. Il faut donc s'attendre à voir resurgir cette question au cours des prochains mois, avec, pour conséquence, une reprise des raids israéliens et américains. Si Trump a toujours pour ambition le prix Nobel de la Paix, il devra donc déclarer la guerre à la Norvège pour l'obtenir !!!

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