L'histoire de l'Intelligence Artificielle prend de l'ampleur en 1997, lorsqu'un programme conçu par IBM s'avère capable de battre le champion du monde d'échecs Gary Kasparov. Cet évènement constitue un tournant dans ce qui n'est pas encore appelé intelligence artificielle (IA). Dans son ouvrage "IA, grand remplacement ou complémentarité",Luc Ferry dit avoir soumis le programme Chat-GPT à un test de QI et avoir fait plusieurs constatations déterminantes : en effet, à une question posée au programme (Le boulanger perd sur chaque petit pain, mais se rattrape sur la quantité. Qu'est-ce qui ne va pas dans cette phrase). Près de 50% des humains ne parviendraient pas à trouver la réponse, mais Luc Ferry dit n'avoir pas vérifié cette donnée. Cependant, l'auteur apporte d'autres données significatives : Chat-GPT, dans sa version 4, a un un quotient intellectuel supérieur à celui de 99% des humains et le système est en constante amélioration, car la version précédente 3,5 n'affichait pas les mêmes performances.
Dès le titre, l'objet du livre est annoncé : il s'agit d'analyser quelles seront les conséquences du développement de l'IA sur les activités humaines. D'emblée, l'auteur évoque un problème de société en dressant une liste des activités où la pensée générée par l'IA pourra aider ou même supplanter l'humain : secteur de la traduction, où l'outil multilingue (95 langues en 2023), testé par Luc Ferry rend en six minutes la traduction d'une quarantaine de pages, qui aurait pris au moins deux jours à l'auteur humain. Et celui-ci commente : "elle était si parfaite jusque dans les nuances que je n'ai pas eu un seul mot à y changer" ; juridique : le système Chat-GPT4, soumis aux épreuves du barreau de New York, s'est classé dans les 10% des meilleurs, en amélioration de la performance constatée pour la version précédente, qui avait quand même réussi l'examen ; doublage de films, où l'IA est capable non seulement de traduire, mais de reconstituer la voix d'un doubleur, avec un vide juridique à combler : faudra-t-il faire valoir un "droit à la voix" au même titre que le droit à l'image actuellement existant ?
Le rôle de l'IA dans les créations artistique et littéraire soulève également question depuis qu'une autrice japonaise, lauréate d'un prestigieux prix littéraire dans son pays, assume avoir utilisé l'intelligence artificielle comme aide à l'écriture d'un roman, évaluant à 5% la part qu'elle a directement transcrite des textes fournis par l'outil. Cette révélation a suscité une autre controverse : faut-il exiger d'un roman qu'il soit 100% de composition humaine ou peut-on tolérer une participation de l'IA, dont il faudra alors définir la limite ? La réponse n'est pas aussi simple, car on peut estimer, comme le fait l'autrice, que les échanges avec Chat-GPT ont nourri son inspiration et stimulé sa créativité. Mais, là aussi, la question juridique se pose, révélée par de nombreuses plaintes d'auteurs qui estiment que l'élaboration de l'intelligence artificielle, basée sur l'exploitation de leurs œuvres pour entraîner l'outil, vient en violation de leurs droits d'auteur.
La médecine, dont la nature même se fonde sur la relation médecin-malade, n'échappe pas aux algorithmes de l'IA. La question est débattue par trois spécialistes dans le magazine de l'INSERM. La première de ces intervenants, Laurence Chesnais, estime que "l'intelligence artificielle ne remplacera jamais le diagnostic humain" et parle de complémentarité plutôt que de grand remplacement. C'est un outil avec lequel les professionnels de santé vont devoir travailler, ce qui implique une formation spécifique délivrée dans les universités, mais aussi auprès des médecins en exercice. De plus, dans l'exercice de la profession, c'est toute une éthique à concevoir : informer le patient de l'utilisation d'un système décisionnel et expliquer pourquoi il suit ses recommandations, droit pour le médecin de refuser de suivre les recommandations de l’IA s’il pense qu’elle s’est trompée, droit pour le patient de refuser une décision qui émane de l’IA et aussi problème juridique de la responsabilité légale. Le deuxième spécialiste, Michel Dojeat, suggère "qu'il est important que ces assistants informatisés soient capables de reconnaître leurs limites" et suggère que les données rendues par ceux-ci soient accompagnées d'un pourcentage de certitude. Enfin, Laurence Devilliers pointe les difficultés d'utilisation, surtout chez les jeunes médecins qui n'ont pas l'expérience requise pour intégrer les données fournies par l'IA dans une réflexion diagnostique et auront donc plus tendance à suivre les prescriptions du système. Le problème des faux positifs générés par le système, notamment en matière de cancérologie, est également évoqué, ainsi qu'un supplément de dépenses pour le système social si les suggestions de l'IA sont suivies aveuglément. Et, comme ses confrères, elle conclut : "Il y'a un besoin urgent de construire une loi, des normes ainsi que des règles éthiques pour encadrer l'utilisation de systèmes prédictifs, afin de minimiser les risques de manipulation et de dépendance".
Enfin, comme il l'a fait dans une émission télévisée passée récemment, Luc Ferry évoque dans son livre les dangers que l'utilisation massive de l'IA peut faire peser sur l'emploi en raison du gain de temps qui réduit la nécessité du travail salarié. Il va, dans son livre, jusqu'à évoquer la possibilité d'entreprises sans employés. Utilisée par des oligarques soucieux avant tout de réduire au maximum le coût du travail, l'utilisation débridée de l'IA pourrait générer des crises sociales majeures et instaurer un nouvel ancien régime, avec ses serfs et ses seigneurs. Mais ces considérations sont traitées dans d'autres ouvrages, parmi lesquels un de l'ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis qui parle de "techno-féodalisme". Mais, après cette courte incursion dans le livre de Luc Ferry, ce sera l'objet d'une autre réflexion.
Ce qui apparaît dès maintenant à la suite des exemples donnés plus haut, c'est que l'utilisation inévitable des performances de l'intelligence artificielle se révélera un désastre si une réflexion globale portant sur les problèmes éthiques et juridiques qu'elle suscite n'est pas engagée et suivie de décisions concrètes. L'utilisation de l'IA va demander un immense effort d'adaptation. Mais, entre des nouveaux aristocrates qui n'ont aucun intérêt à engager le moindre débat sur la question et des politiques à qui l'intelligence artificielle servira plutôt de prothèse, il n'y a pas lieu de manifester un optimisme débordant !
Billet de blog 27 janvier 2025
Intelligence artificielle : des propos inspirés par le livre de Luc Ferry
Dans les années 70, raconte Luc Ferry qui étudiait alors à l'université d'Heidelberg, sa classe est amenée à se faire passer mutuellement des tests de QI. Le score moyen des étudiants tourne autour de 110.
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