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Billet de blog 30 octobre 2025

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L'intelligence artificielle, une technologie invasive

Le débat sur l'IA se situe entre la réalité tangible d'une exploitation effrénée des ressources hydriques et la vision pseudo-prométhéenne d'une oligarchie qui veut asseoir son pouvoir "technoféodaliste". Mais peut-on encore infléchir le cours des évènements ?

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Une utilisation des ressources qui impacte l'environnement  


Dans l'appréciation des apports - positifs ou négatifs - de l'intelligence artificielle, il y a une réalité fondamentale qui devrait être incontournable et brille pourtant par son absence dans tous les discours magnifiant l'IA  et ses avantages : l'impact de cette technologie sur les ressources en eau et en énergie. Et les données en notre possession évoquent le spectre d'une compétition malsaine entre l'intelligence artificielle, ses besoins pour le stockage des données et les secteurs économiques essentiels. Le premier de ces besoins est une consommation en eau mal évaluée et probablement sous-estimée :  aux Pays-Bas, il a été établi que Microsoft avait utilisé 84 millions de litres d’eau pour ses datacenters, soit 4 à 5 fois plus que la consommation estimée au départ. La ville de Des Moines, dans l'Iowa, s'est également inquiétée pour ses ressources hydriques à la suite d'une phase expérimentale menée par Microsoft pour l'implantation d'un Data Center, qui a utilisé à elle seule 6% de la consommation en eau de la ville. La demande mondiale est estimée entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes  à l'horizon proche 2027, soit 4 à 6 fois la consommation du Danemark ou la moitié de celle du Royaume-Uni. Dans les régions arides des Etats-Unis, il a été rapporté, dans le journal télévisé de France 2, que l'implantation de centres de stockage de données entrait en compétition avec les besoins en eau de l'agriculture. Le développement de l'IA va-t-il, à lui seul, provoquer des famines ?
La consommation  en énergie des centres de stockage des données est également en question : selon un récent décodeur du Monde , les besoins en énergie liés au développement de l'IA et au stockage des données nécessaires à son fonctionnement sont évalués par l'Agence internationale de l'Energie à une consommation supérieure à celle du Japon. L'intelligence artificielle représenterait aussi, à elle seule, la moitié des prévisions de croissance aux Etats-Unis. 

Une intrusion dans les processus d'apprentissage, de réflexion et de création


C'est dans le domaine de la création - litteraire, artistique ou scientifique - que l'usage de l'intelligence artificielle aura les impacts les plus significatifs. Dans le cas de l'enseignement scolaire, les élèves disposent aujourd'hui de ChatGPT, auquel il suffit de soumettre un sujet de rédaction ou un exercice de maths pour que l'ordinateur, en quelques minutes, crache un devoir  qui aurait pris plusieurs heures à l'élève. Il y a ici un ensemble de conséquences sur les moins motivés, qui verront dans l'intelligence artificielle un moyen pour pouvoir s'affranchir de leurs devoirs à domicile et retourner plus vite sur leurs jeux vidéos ou sur Tik Tok. Pour tous, lorqu'ils constateront qu'une intelligence algorithmique est plus performante que leur cerveau, ils diront : "l'école, à quoi bon ?" Il faut ici saluer la clairvoyance de ces enseignants conscients de tous les dangers d'une utilisation abusive de l'IA, qui savent aussi que son usage deviendra incontournable et qui tentent de la domestiquer au rofit de leurs élèves. Mais que péseront leurs efforts devant l'inertie des politiques et devant  l'incompétence d'une administration qui a fait de l'école ce qu'elle est devenue ? 
Un autre domaine où l'utilisation de l'intelligence artificielle pourrait s'avérer critique est celui de la médecine. Il faut en affirmer un principe de base : le médecin doit toujours être responsable de ses actes médicaux et ne doit pas pouvoir se défausser sur l'intelligence artificielle en cas de malpractice. Pour ceux qui auront recours à l'intelligence artificielle, celle-ci ne devra intervenir que dans un second temps, après que le médecin ait eu recours à sa démarche diagnostique classique. Elle pourra alors s'avérer utile pour des compléments d'information à suggérer , par exemple des examens complémentaires qui n'auront pas été effectués ou, dans la phase de traitement, pour signaler des incompatibilités médicamenteuses. Mais il faudra inclure à un cursus d'études déjà très lourd une formation spécifique sur l'IA, dispensée par l'université.
En conclusion de ce chapitre, Il faut d'abord rappeler que l'intelligence artificielle n'est qu'une compilation de données acquises par un long travail de création et de recherche. Une utilisation inconsidérée de ChatGPT dès l'école revient à briser cette chaîne de transmission intergénérationnelle. Albert Einstein mettait en garde contre une solution de continuité de la recherche physique, qui ruinerait en une génération tout le travail des précédentes; C'est face à ce cas de figure que nous nous trouverions en cas d'utilisation d'une IA mal contrôlée.
Même s'il est possible de "fabriquer" une culture à base de créations d'ordinateur, quel sera son intérêt si on ne peut pas la faire sortir de celui-ci : il n'y aura plus de faussaire capable de tromper les experts en donnant une réalité matérielle à des Vermeer de sa création, plus de compositeur à l'oreille absolue pour enchanter une flute, il ne restera qu'une culture algorithmique sans âme et destinée à disparaître avec l'Humanité si toutefois celle-ci survit aux délires de la Silicon Valley.

La Scilicon Valley instrumentalise les peurs et les questions que suscite l'intelligence artificielle

La densité du livre de Thibault Prévost sur "les prophètes de l'IA" se prète difficilement à une tentative d'en faire un résumé, mais nous en retiendrons une idée maitresse : ces "prophètes", issus des rangs technocratiques de la Scilicon Valley, ne cherchent nullement à rassurer sur les implications de leur technologie mais, au contraire, entretiennent une peur qu'ils instrumentalisent, les entreprises pour obtenir des investissements, les universités pour capter des crédits de recherche. Et cela marche, puisque Donald Trump vient d'annoncer un projet d'investissement en faveur de l'OpenIA de Sam Altman.

Pour Thibault Prévost, l'IA régénérative n'est pas fiable et ne le sera sans doute jamais. Il n'y a pas besoin d'être un prophète de l'IA pour prévoir que la surconsommation de ressources hydriques et énergétiques epuisables engendrera inévitablement une bulle financière auprès de laquelle celle des subprimes n'aura été qu'un séisme mineur. Emettre des réserves sur l'IA  et ses conséquences, ce n'est pas être rétrograde, c'est au contraire la marque d'une lucidité qui manque totalement aux Elon Musk, Sam Altman et autres apprentis sorciers. Alors, le débat se situe entre ces réalités tangibles et incontournables et les délires pseudo-prométhéens d'une classe sociale dominante. On voudrait bien pouvoir choisir, mais ils l'ont déjà fait pour nous et le rouleau compresseur du technoféodalisme est en marche.

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