pierresch

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 décembre 2011

pierresch

Abonné·e de Mediapart

Le sport attend toujours sa révolution féministe.

pierresch

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Espace de libertés - mais 2011 / www.laicite.be)

Entre 12 et 18 ans, la pratique du sport par les jeunes filles chute vertigineusement et les stéréotypes sexistes n’aideront pas à relever les chiffres, loin de là. La preuve : qui sait que, aujourd’hui, ce n’est non pas la gymnastique mais bien… le football qui est le sport favori des femmes ? Pourtant, les données manquent cruellement en la matière : avant 2000, aucune étude ne s’était intéressée aux pratiques sportives féminines. (In :

Il n’est pas impossible, sur les hauteurs de Liège, d’entendre sa voix passer à travers les murs de son club de boxe thaïe. Son fameux « Allez, on se met en place ! » fait vibrer les tympans et a le don de faire immédiatement comprendre aux jeunes sportifs que la récréation est finie. Nathalie, 39 ans, championne du monde de boxe anglaise en 2005, triple championne d’Europe, a raccroché les gants pour se consacrer à l’enseignement. « Si, avec le passé que j’ai, je parviens à donner quelque chose aux jeunes, c'est que tout est possible, non ? Tout ce que je souhaite, c'est que ce sport leur apporte de bons souvenirs. » C’est qu’en matière de souvenirs, Nathalie s’y connaît, elle qui aime se rappeler ses victoires tout en regardant son passé d’orpheline à treize ans droit dans les yeux. Promenant sa jolie silhouette de jeune maman à travers la salle de sport, elle raconte avec aisance son histoire difficile. Puis, sans aucune plainte, elle vous décrit sa rencontre avec la boxe dans ce foyer d’enfants placés. Pourtant, à l’époque, un juge lui avait refusé la pratique d’un tel sport en raison de son comportement trop violent. Un éducateur contournera ce refus en lui installant un sac de frappes dans les sous-sols. Plus tard, c’est la directrice du foyer qui l’inscrira dans une salle de boxe après avoir remarqué les longs moments passés à s’entrainer seule. « Je n'ai pas de parents, je suis une enfant de la rue qui a baigné dans la violence. Pour moi, la boxe était quelque chose de tout à fait naturel. Après, il faut arriver à gérer cette énergie, c'est l'apport essentiel de ce sport et j’en avais énormément besoin ». La force mentale de Nathalie fait ensuite le reste : elle s’accroche et résiste aux idées reçues pour gravir les plus hautes marches de sa catégorie ; car par rapport à ce qu’un homme doit réaliser pour parvenir au sommet, une sportive devra « redoubler d'effort pour être reconnue à sa juste valeur et ça, quelque soit le sport. Le manque d'infrastructures sportives en Belgique complique aussi la carrière d'une femme car pour disposer de subsides il faut être reconnue, ce qui passe par les médias qui, hélas, ne s'intéresse pas au sport féminin. Dans un tel contexte, c'est évidemment très difficile pour une sportive ». Son seul espoir : la réalisation du projet SPEED pour Sport d’Excellence et Education, une école de haut niveau qui devrait voir le jour dans les toutes prochaines années. « Chez nous, sans moyens, il y a déjà des champions et des championnes qui émergent. Imaginez ce que cela donnerait s'il y avait une véritable politique sportive ? » rêve-t-elle tout haut.

Santé publique et insertion sociale

Une étude[1] commandée par la Communauté française en 2000, ne dit pas autre chose. Dès l’introduction, les chercheurs préviennent : il est impossible de dresser un panorama fiable de la pratique du sport féminin en raison de l’absence totale de données. Dès l’introduction, le ton est donné : à l’instar du monde du travail, les femmes doivent lutter pour faire leur place dans un bastion traditionnellement masculin. Et les auteurs de citer Coubertin en préambule qui déclarait « inimaginable la constitution d’olympiades femelles »[2]. La société a bien sûr évolué mais certains stéréotypes ont la vie extrêmement dure dans le sport. Depuis que ce dernier devient un enjeu de santé publique, « les temps changent », explique Didier Haller, coauteur de l’étude sur la pratique sportive féminine. « Mais le fossé est tel entre les filles et les garçons qu’il faudra encore du temps pour résorber le retard. Actuellement, dans la tranche 6-18 ans, 58% de garçons pour 42% de filles pratiquent un sport régulièrement. C’est beaucoup trop peu ! Il faut améliorer ce chiffre afin d’inciter les jeunes à bouger, à se dépenser sans parler de l’intérêt de la pratique d’un sport en matière d’insertion sociale. Mais le plus inquiétant reste la chute vertigineuse des chiffres après 12 ans. Si jusque-là, les garçons et les filles sont au coude à coude, en revanche, dès la puberté les choses changent radicalement. Les filles font manifestement un autre choix et se consacrent davantage à leurs études, ensuite à leur travail, vie de famille et enfants. Ce n’est que beaucoup plus tard, quand les enfants sont autonomes que la courbe s’inverse. Il faut donc consacrer les efforts de sensibilisation sur l’adolescence en prenant également en compte dont cette donne est vécue au sein des familles d’origine étrangère ; la pratique du sport des jeunes filles issues de ces communautés est encore moins courante qu’ailleurs », explique Didier Haller. Les 70 pages de sa recherche résument ensuite l’étendue des dégâts : l’inégalité de représentation des femmes n’existe pas uniquement dans la pratique sportive mais aussi au niveau de son organisation. En guise d’introduction à leur démonstration, les auteurs rappellent qu’Anita De Frantz, première femme à occuper la vice-présidence du Comité Olympique internationale n’a été élue qu’en 1997. En Belgique, les chiffres sont implacables[3] : sur 870 membres des conseils d’administration des fédérations sportives francophones, on compte 96 femmes, soit 11%. Deux fédérations (hockey et sports seniors) regroupent à elles seules 33 femmes. Sans ces deux associations, le chiffre tomberait à 7%. D’autre part, les chercheurs précisent que les fédérations qui comptent le plus de sportives n’ont aucune femme à leur tête tout comme elles sont également très peu nombreuses à s’aventurer dans une carrière d’entraîneur. « Il y a encore des gens qui pensent que la place d’une femme est à la cuisine et non sur un ring », s’énerve Nathalie. « Les mentalités n’évoluent pas assez vite et les réticences sont encore bien là alors qu'on a quitté nos cuisines depuis longtemps ».

«À la fin de mon premier combat, j’avais l’impression d’être réellement quelqu’un »

« Quand je suis arrivée pour la première fois dans une salle de boxe, je me suis défoulée et ça m'a tellement fait de bien que j'ai compris que c'était ça qu'il me fallait. Au départ, jamais je n'ai pensé à faire de la compétition. Pourtant à la fin de mon premier combat, j'avais vraiment l'impression d'être réellement quelqu'un même si ce jour-là ma performance n’était que très moyenne. Malgré ça, je me suis dit : un jour, je serai une championne ! En fait, je n'ai jamais voulu me contenter de résultats moyens, il fallait que je me donne à fond. J'ai souvent pensé que si un jour, vu d'où je viens et l'histoire que j'ai, je parviens à gagner un titre de championne du monde, je pourrais tout faire dans la vie. Avec le recul, on se rend compte que le chemin qui mène au titre est particulièrement long et au fur à mesure qu'on gravit les échelons, on gagne en confiance en soi. C'est cela qui est fondamental car forte de cette expérience, j’ai pu me débrouiller dans la vie. Il fallait juste un but et un outil », raconte-t-elle. Et de la confiance en elle, Nathalie en a des tonnes à revendre. Elle tente dès lors de la transmettre à ses jeunes élèves en accordant une attention particulière aux jeunes filles présentes dans la salle. L’ex-championne du monde ne les ménage pas pour autant. Bien au contraire, elle les provoque, leur rappelle qu’elles ne sont pas dans un atelier de tricot afin qu’elles tiennent mieux leur garde tout en donnant plus de puissance à leur uppercut. Cet enseignement basé sur le défi et le dépassement de ses propres limites, typique au sport, doit aujourd’hui s’ouvrir aux femmes. « Les filles ne constituent pas un public cible des politiques d’insertion sociale par le sport »[4] concluaient les chercheurs de l’ULB en 2000 et dix ans plus tard, insiste Didier HALLER, la situation n’a pas fondamentalement changé. Bien sûr, les nombreuses victoires de Kim Clijsters et Justine Henin ont provoqué un regain d’intérêt des jeunes filles pour le tennis qui n’a malheureusement pas duré. Les championnes sont des ambassadrices très efficaces mais l’école et le secteur associatif doivent prendre aussitôt le relais pour stimuler durablement les habitudes sportives sans quoi la pratique du sport féminin risque bien de ne jamais décoller en Belgique. Cette inquiétude a aussi gagné les Nations Unies qui ont décidé, en 2004, de créer un « Observatoire mondial sur les femmes, le sport et l’éducation physique ». Là aussi il est question de promouvoir le sport féminin mais aussi de féminiser les instances sportives internationales. L’UNESCO espère, grâce à ce nouvel outil « recueillir, analyser, organiser et diffuser l’information dans le monde entier »[5]. Plus qu’un vœux pieux ?


[1] « Femmes et sport en communauté française », groupe d’étude pluridisciplinaire « sport et société » de l’ULB, sous la direction de Jean-Michel DE WAELE.

[2] Op.cit.

[3] Op. cit.

[4] Op.cit

[5] http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/sport/physical-education-and-sport/women-and-sport/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.