Comment pourrait-elle être à la fois absurde et juste ? Absurde car celle ne se pose pas la question essentielle. Qu’est-ce que la retraite ? Quel est son but ? Est-ce une mesure de santé, pour protéger les Français épuisés par le travail ? Est-ce une mesure sociale pour fournir à chacun un espace de respiration avant la mort ? Sans définir l’objet de ce que l’on finance comment peut-on déclarer que la solution est juste ?
En outre, ils utilisent les éléments de langage pour faire le lien entre « une réforme est nécessaire » et « notre réforme est nécessaire ». L’indicateur magique : L’âge de départ à la retraite. Plutôt que 65 ans, ils se présentent magnanimes et proposent 64. On change des virgules, on allonge la durée. Un travail digne d’un lycéen. Pourtant, ils ont rencontré l’ensemble des partenaires sociaux… Certainement autour de grands débats à coup de « 63 ans !», « non ! 61 ! », « non plutôt 65 ans et 3 mois »… et où chaque participant devait toucher entre deux et dix fois le SMIC.
Mais surtout, cette réforme ne peut être légitime, à moins d’être dans un régime autoritaire. En effet, comment des personnes mal-élues (dois-je préciser l’abstention et le système de vote ?) pour 5 ans, pourraient-elles être légitimes à imposer une règle à l’ensemble de la population pour plusieurs décennies, surtout que la plupart ne sont même pas concernés par la réforme vu leur âge. On peut s’interroger sur comment prendre en compte les générations futures dans la démocratie… Mais nous sommes loin d’une démocratie.
Rappelons que le rôle de l’exécutif est la gestion courante de l’état. La décence voudrait que ce soit le parlement qui réfléchisse à la réforme. Et le respect voudrait que ce soit les citoyens qui l’approuvent par référendum, voir préférendum (référendum avec plusieurs solutions). Que nenni ! Imposé par un président désigné par 20% des Français. Et le premier qui me parle du score du second tour me fera une petite dissertation sur « un choix pire justifie-t-il la qualité du choix médiocre ? »
La légitimité est donc celle de notre système. Système qui s’autoproclame légitime ! Le président représente les Français, le parlement représente les Français, une réforme proposée par le président et acceptée par le parlement est donc la réforme des Français. La France s’autoproclame une démocratie également.
Alors que faire ? Aujourd’hui les jeunes travailleurs ne sont plus en mesure de devenir propriétaires (même certains vieux travailleurs à Paris). Les jeunes ont hérité d’une dette de plus de 2000 milliards d’euros, d’une situation environnementale dégradée, d’un stock d’énergie fossile épuisé, d’une crise économique mondiale, d’un marché de l’emploi abimé, d’un système de santé affaibli… Et aujourd’hui on leur promet de travailler plus pour financer les retraites de ceux qui ont majoritairement voté pour ceux responsables de la situation de notre pays et du monde en général.
Et Madame Borne trouve cela juste !!!!!!!!!!! Quand on se proclame légitime, pas de problème pour se proclamer juste !
Je sais que la critique est facile me direz-vous. Alors que faire ? Déjà, remettre les décideurs à leur place. L’exécutif devrait être en mesure de jouer avec le financement des retraites, le temps de son mandat, avec une marge de manœuvre prévue dans la loi, mais pas d’imposer des lois. Pour ce qui est de la loi, vu l’importance de son impact sur la vie de chacun, elle ne peut être que le fruit d’une réflexion globale et nationale, de l’ensemble de la population. Elle doit laisser l’espace à plusieurs propositions parallèles et différentes. D’ailleurs c’est en redéfinissant la nature de la retraite que nous pourrons entrevoir ses mécanismes et les vrais besoins en financement. Il n’y a pas qu’une seule façon de percevoir la retraite, il n’y a pas non plus une seule façon de la financer. Au final, c’est aux citoyens de choisir celle qui leur convient le mieux et qui s’appliquera à eux par préférendum.
Nous sommes en 2023. Laisser un gouvernement, élu ou désigné pour des raisons X ou Y, sans rapport avec la question des retraites, n’a aucune légitimité pour dessiner les contours d’une réforme. Pourtant, ils cherchent déjà à l’imposer comme l’unique solution au problème.
Candidat à la législative partielle de la Marne qui a lieu le 22 janvier, je m’oppose avant tout à la méthode qui rend caduque le contenu de la réforme. Évidemment il sera compliqué d’aller contre le gouvernement. Cependant aujourd’hui l’outil du référendum d’initiative partagé. Si les députés opposés au projet de Macron le décidaient, ils pourraient mettre en place une règle imposant le préférendum ou référendum lors d’une loi impactant la majorité des Français. Reste-t-il assez de temps ? Probablement pas !
De mon côté, si je suis élu, je veux expérimenter des outils démocratiques innovants permettant de sensibiliser les citoyens à un monde où les décisions ne se prennent pas sans eux et donc ni contre eux. Et pourtant l’histoire laisse présager que les électeurs donneront une majorité à la candidate soutenant le président et défendant cette réforme. J’ai attendu quarante ans pour prendre conscience que la France n’était pas une démocratie. Peut-être aura-t-il suffi à certains de quelque ligne pour comprendre que cette réforme n’est pas légitime.
Pierre Schwarz