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Comment est la situation à Rangoun ces derniers jours?
KHANT WAI YAN. - Je ne suis plus sorti de chez moi depuis le 1er février, jour du coup d’État. Ce que je vois de ma fenêtre, ce sont des camions militaires et des soldats armés qui contrôlent la rue, il n’y a pratiquement aucune circulation civile. Le soir vers 20h, certains habitants se mettent à leur balcon et tapent sur des casseroles pour exprimer leur mécontentement. Dans la tradition birmane, cela signifie chasser les mauvais esprits. Tout semble déprimant.
La télévision est monopolisée par la propagande militaire, la seule chose qu’on peut y voir en boucle sont des images de soldats à l’entrainement. Personne ne sait ce qui va se passer et on ne peut rien faire, car on est au courant de rien. Mais il y a énormément d’étudiants qui protestent depuis leur clavier, qui écrivent, qui prennent des photos, qui s’engagent.
Qu'est-ce qui est le plus perturbé dans votre quotidien à l'heure actuelle?
Nous n'avons pratiquement plus de télécommunications. L’application Signal (une messagerie privée) fonctionne encore, mais personne ne s'en sert. Le problème du Myanmar est que 80% de la population se réfère uniquement à Facebook. Une grande partie de la population ne connait pas Google, Facebook est notre moteur de recherche principal. Or, l'application a été bannie par le gouvernement militaire. Cela signifie que nous sommes coupés du reste du monde. Certains jeunes arrivent parfois à contourner l'interdiction avec des VPN (réseaux virtuels privés).
Les centres de vaccination et de test contre la Covid ont été fermés par l’armée. Nous avions reçu des doses de vaccins gratuits de l’Inde, mais le gouvernement a tout réquisitionné. Le virus pourrait s’empirer, mais on ne peut pas réellement savoir car les statistiques actuelles ne sont pas fiables.
Pensez-vous que la population va se rassembler pour soutenir Aung San Suu Kyi?
Je pense que 90% de la population soutient Aung San Suu Kyi. Mais il y a une petite fraction de privilégiés qui soutiennent le gouvernement militaire, ceux dont le privilège est issu de ce système, et ils essayent d’influencer l’opinion en faveur de la junte. Le plus grand danger réside surtout chez les plus pauvres. Des rumeurs racontent que l’armée les paye suffisamment pour participer à de faux rassemblements en faveur du nouveau gouvernement militaire. Il y a aussi une peur de manifester. On ne sait pas comment cela pourrait se passer si on descend dans la rue.
Comment imaginez-vous le futur de la démocratie en Birmanie?
Plus petit, j’ai toujours vécu sous le régime militaire : en 2007, il y a eu de grandes tensions durant la révolte des moines. Mais je n’ai jamais connu ce que mes parents ont connu. En 1988, mon père a participé à un soulèvement populaire réprimé dans le sang. Il s’est fait tirer dessus, il a dû fuir le pays. Je suis simplement content de ne pas être dans cette situation et de pouvoir vivre dans mon pays, même s’il y a des perturbations.
J’espère que nous allons avoir de l’aide de l’extérieur, mais l’ONU ne fait rien pour nous. Une intervention internationale est nécessaire, auquel cas il est presque certain que la junte militaire va rester au pouvoir. Le problème, c’est qu’aucun pays ne veut venir nous aider. La Thaïlande et les pays voisins ne nous soutiennent pas, et les pays occidentaux sont sous pression de la Chine et de la Russie.
Le gouvernement militaire a annoncé vouloir organiser de nouvelles élections, pensez-vous que cela va arriver?
Ils vont probablement organiser de nouvelles élections en novembre prochain, mais en disqualifiant d'office la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi. Cela est déjà arrivé en 1992, avec le général Than Shwe.
Je suis triste pour mon avenir, j'avais des projets d'aller étudier dans un collège aux États-Unis. Mais notre aéroport est totalement fermé, et je ne sais pas si je pourrais y aller un jour.
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