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Billet de blog 1 avril 2024

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Solidarité avec l'historien Luciano Canfora, attaqué en justice par Giorgia Meloni

La Première ministre italienne a décidé d'attaquer en diffamation le grand historien Luciano Canfora, 81 ans, pour avoir osé la qualifier de « néonazie dans l'âme », faisant par là allusion aux origines historiques de son parti, qu'elle n'a jamais reniées : la république nazi-fasciste de Salò. Je relaie l'appel lancé par l'Association Nationale des Partisans d'Italie (ANPI).

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Appel à la solidarité envers Luciano Canfora

Bari, le 27 mars 2024

Le 16 avril prochain [2024] aura lieu, au Tribunal de Bari, l’audience préliminaire du procès en diffamation intenté par l’honorable [épithète réservée aux membres du Parlement italien] Giorgia Meloni au professeur Luciano Canfora pour certains propos tenus par lui il y a deux ans, au cours d’une rencontre avec les étudiants du Lycée Scientifique « Fermi » au sujet de la guerre en Ukraine : on peut présumer que la réaction du leader de Fratelli d’Italia a été déclenchée par l’expression « néonazie dans l’âme » qu’a employée le conférencier pour la qualifier.

Canfora est non seulement un éminent philologue classique et un excellent historien, mais aussi une personnalité intellectuelle connue et appréciée pour son engagement dans le débat public, depuis plusieurs décennies, pour la défense des principes et des valeurs de notre Constitution et de son caractère antifasciste. Le jugement qu’il porte sur les idées et les sentiments de l’honorable Meloni doit être resitué dans l’exercice légitime de la critique politique, et l’opinion qu’il a exprimée à cette occasion peut certes faire l’objet d’une discussion, mais certainement pas être considérée comme absolument infondée ou motivée par une intention de simple dénigrement.

Chacun sait parfaitement que l’honorable Meloni a fondé et dirige un parti qui émane du  MSI [Mouvement Social Italien], ainsi qu’en témoigne l’ardente flamme tricolore qui figure sur son symbole ; que le MSI fut l’héritier du fascisme de Salò, lui-même issu du régime nazi ; qu’elle refuse de se déclarer antifasciste, bien qu’elle ait – dès son entrée en fonction comme Présidente du Conseil – juré fidélité à la Constitution née de la Résistance ; qu’elle n’a jamais condamné les manifestations à caractère clairement néofasciste (dernièrement, celle qui a eu lieu à Rome, Via Acca Larentia) ; et  que la ligne qu’elle a décrétée et mise en œuvre en matière de gestion des phénomènes migratoires ignore le devoir d’accueil, de protection de la vie humaine et de dignité de la personne, consacré par notre Charte constitutionnelle, mais aussi par la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, et s’accorde manifestement davantage avec la xénophobie, le suprématisme ethnique et les préjugés raciaux typiques du nazifascismo [nom donné en Italie au régime de Salò].

À la lumière de ces considérations, la plainte déposée contre le professeur Canfora prend la forme d’un acte d’intimidation mal dissimulé, absolument cohérent avec l’intolérance de l’honorable Meloni envers toute forme de dissidence : une intolérance prouvée par ses attaques malveillantes à répétition à l’encontre des journalistes – de la presse écrite et de la télévision – qui ne se conforment pas à son récit, qui ne s’unissent pas au concert d’éloges auquel elle prétend, qui ne renoncent pas non plus à une évaluation indépendante de son action. Il paraît d’ailleurs extravagant que l’honorable Meloni se soit sentie diffamée par le professeur Canfora, alors que nous assistons quotidiennement à un débat politique pollué par la violence verbale, par l’échange d’accusations parfois diffamatoires et par l’usage fréquent de définitions et d’épithètes outrancières : à moins de soutenir que de tels excès linguistiques sont une prérogative réservée à la nomenklatura.

Nous désirons manifester notre pleine solidarité à Luciano Canfora, non seulement parce que nous estimons profondément sa stature de savant, que nous admirons son indiscutable honnêteté intellectuelle et sa passion citoyenne, mais aussi parce que nous sommes conscients que la cible finalement visée par l’action judiciaire de l’honorable Meloni est le droit garanti par la Constitution à la liberté de pensée et d’opinion.

Pour signer l’appel, dont on trouvera l'original ici, comme l’ont déjà fait 30 organisations et 250 personnes, il suffit d’adresser un courriel à  appellosostegnocanfora@gmail.com

Je remercie mon ami Laurent Calvié (Philologie de l'avenir) de m'avoir autorisé à reprendre sa traduction.

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