Pierre VUARIN

Socio créateur. pdt de l'université Internationale Terre Citoyenne (UITC)

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Billet de blog 17 octobre 2024

Pierre VUARIN

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Faire colligence, faire communauté, un enjeu à tous les étages de nos sociétés

« Faire colligence », « faire communauté » apparaissent comme des démarches fondamentales dans diverses luttes et résistances. Elles sont créatrices d'intelligence collective, de confiance, d'une capacité à faire des petits pas, à se lier même avec des personnes, organisations considérées comme peu confiantes, éloignées, ennemies ! On est loin d'une pureté militante souvent recherchée !

Pierre VUARIN

Socio créateur. pdt de l'université Internationale Terre Citoyenne (UITC)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'Université Internationale Terre Citoyenne (UITC) et son réseau Terre Citoyenne sont reliés à de nombreuses expériences sur les manières de conduire des mouvements de résistance, de transformation dans différents pays du monde. Nous avons beaucoup appris de ces démarches auxquelles nous avons participé comme acteurs ou que nous avons soutenues et étudiées Nous avons aussi beaucoup appris de nos pratiques internes concernant le traitement de différents types de tensions et conflits : internes aux personnes, dans les relations interpersonnelles, les groupes, et les communautés. Je dresse ici une liste, tout d'abord, de luttes et d'actions qui nous ont marqués.

Elles concernent aussi bien des luttes des années 70/80 comme celles contre l'extension du camp militaire du Larzac, celle contre la disparition des marais salants de Guérande, celle qui s'est conclue positivement il n'y a pas si longtemps contre la création de l'aéroport de Notre Dame des Landes,

C'est aussi la lutte toujours actuelle de quarante communautés de l'ethnie Kolla sur 17 000 km2 (avec 6 000 habitants) de la Puna Argentine qui depuis 2010 ont réussi à résister à l'implantation de mines de lithium, celle des communautés de paix dans le Magdalena Medio Colombie avec le soutien en particulier de l'Ecole de la Paix, les démarches du CINEP dans ce même pays pour rétablir des situations de paix, Elles concernent aussi les formes d'organisations créées pour défendre et cogérer localement avec l'état, et avec le soutien de l'ADEPA, la pêche artisanale au Sénégal. Au Tchad aussi les formes de résistances, d'actions menées par l'organisation paysanne du CNCPRT pour faire face aux situations violentes dans tout le pays, aux processus d'accaparement, de privatisation des biens communs gérées par les communautés rurales.

Nous pouvons noter aussi la capacité des Prud’homies dans le secteur de la pêche pour gérer en commun et localement des espaces de pêche en Méditerranée depuis le 13 eme siècle !. Nous pouvons indiquer aussi des actions menées pour préserver « les communs » dans de nombreux pays du monde qui nous avaient conduit à organiser une rencontre internationale à Guérande sur ce sujet. Mais nous trouvons très inspirant aussi les actions variées, faisant le pont entre des mondes très différents conduites par Plancton du monde et Pierre Mollo pour mobiliser un large public au niveau national et international concernant l'enjeu local et mondial du plancton.

De ces résistances, de ces démarches d'action, nous avons été marqué par deux aspects que nous désirons mettre en exergue dans cette note de réflexion. D'une part, la capacité des collectifs initiateurs de ces mouvements à créer des conditions pour créer de l'intelligence et de la confiance collective, pour susciter l'imaginaire individuel et collectif, une manière d'être au plus prés de nos rêves, d'imaginer ensemble, une capacité à agir, à se lier, un plaisir de vivre et de découvrir une autre forme d'existence possible pour eux mêmes, enrichies par les rencontres avec des personnes différentes. C'est cet art de se relier à l'intérieur d'un groupe, dans une relation de qualité, d'échanges que nous appelons « faire colligence ». D'autre part concernant la capacité de se lier, de se relier, d'agir avec des personnes, organisations qui peuvent apparaître à priori distantes, mais qui constituent des alliances larges de résistance, d'action, nous parlons plus globalement de « faire communauté de manière élargie ». Mais les deux pratiques et réalités se recoupent et se complètent.

. Face à un risque d'isolement, d'individualisme plus marqué, de communautarisme qui se manifeste de différentes manières, l'objectif de savoir « faire colligence » et « faire communauté » nous apparaît aussi comme un objectif majeur pour faire face à différents enjeux qui se présentent à tous les étages de nos sociétés.

Que recouvre l'idée de faire colligence ?

Nous avons inventé ce concept dans le cadre de l'UITC, au contact de ces expériences et dans les pratiques que nous avons développées pour penser et agir ensemble. Il fait référence à un mot ancien signifiant se co -liguer. Nous avons vu l'importance de la qualité de relations à maintenir dans un groupe, l'importance de pouvoir exprimer ses émotions, ses gênes, ses dérangements. Le fait aussi de ne pas laisser traîner des conflits dans un groupe, de tenter de les affronter, de les transformer de manière constructive. Une communauté qui traverse de manière positive un conflit est une communauté renforcée. L'idée de laisser émerger les imaginaires, les idées, des points de vue même qui dérangent est une des caractéristiques de « faire colligence ». Ceci nécessite aussi de collecter les idées, les liens qui émergent et de les valoriser...de laisser le temps au temps afin que se dégage de manière interne à un groupe des formes de consensus ou de consentement général pour agir.

Que recouvre l'expression « faire communauté » ?

Faire communauté, c'est, à mon sens, la capacité d'établir ou de rétablir des liens sociaux entre des personnes, des groupes et organisations très variées, pour faire face aux enjeux, aux épreuves qui se présentent, en faisant des petits pas pour avancer ensemble, pour vivre ensemble. Ceci signifie que des personnes, des organisations ayant à priori des points de vue très éloignées sont associées pour résoudre ensemble des questions variées qui les concernent toutes. Je pense à la démarche de l'Institut Patrimonial du Haut Béarn qui depuis plus de trente ans a associé régulièrement des dizaines d'organisations et d'acteurs pour établir une centaine de consensus territoriaux. C'est dans ces démarches que se situe l'art d'agir et de penser avec des acteurs variés pour avancer par petits pas. En fait, ces petits pas constituent, des grandes avancées collectives, de grandes alliances qui renforcent la communauté impliquée, lui donne de la légitimité, de la confiance, de l'autorité !

Faire communauté, un objectif politique !

Au delà de son utilité pour résister face aux injustices, aux abus, aux projets inutiles, dans le contexte actuel des sociétés marquées par ces phénomènes comme l'individualisme, la fragmentation sociale, les inégalités et les tensions identitaires, « faire communauté » peut constituer un objectif politique important .

Ce que nous pouvons observer, c'est que le processus de « faire communauté » a été visible dans nos sociétés, quand existait une situation grave pour l'ensemble d'une population et que celle-ci est arrivée à réagir, à s'organiser progressivement. On peut dire, par exemple, que l'on a rencontré ce type de situation lors de luttes pour l'indépendance . En France, pour faire face au nazisme, il y a eu en 1944/ 1945 un processus de reconstruction de la communauté nationale associant des franges très variées de la population, des personnes qui s'estimaient comme adversaires, qui ne s'aimaient pas spécialement, entre lesquelles n'existait pas un sentiment de confiance. Le peuple français a réussi au bout d'un certain temps, dans la résistance à « faire communauté » . On peut retrouver ce processus dans des moments de lutte et de résistance de différents mouvements contre des projets dits inutiles où une population très large s'est réunie pour résister et enfin gagner face à des projets portés par l'état français  : la lutte contre l'extension du camp militaire du Larzac, la lutte des paludiers de Guérande et de la population locale contre la destruction des marais salants, la lutte contre la construction de l'aéroport de Notre Dame des Landes. Dans ces luttes, le fait de faire communauté de manière très large a été décisif.

On peut trouver aussi des lieux singuliers de résistance de communautés gérant ensemble des ressources naturelles communes qui ont pu préserver cette gestion en commun . C'est le cas que j'ai déjà cité de l'Institut Patrimonial du Haut Béarn, qui gère les pâturages et les forêts en commun, mais aussi les prud’homies de la pêche en Méditerranée qui existent depuis le 13 eme siècle ou les différentes formes de sectionnaux, qui gèrent les droits d'usage sur des terres, des pâturages, des forêts...

Mais on peut voir l'émergence ou la reconstruction de cet esprit de « faire communauté » dans d'autres territoires, quartiers, villes. Je dirais que l'on voit l'émergence d'un esprit communautaire avec des réalisations, la reconstruction de liens sociaux comme dans la Bio vallée de la Drôme, la résistance et l'émergence de liens nouveaux et forts comme dans le quartier de la Villeneuve dans la ville de Grenoble ..Ils se caractérisent aussi par des points d'ancrage localisés (écolieux...) où faire colligence constitue un premier pas. Mais le grand pas est de pouvoir construire des liens forts entre des personnes différentes, entre des organisations très distantes afin de rentrer dans des processus de « faire communauté » de manière très élargie.

Mais comment faire colligence et faire communauté  ?

Nous avons pointé d'avoir la capacité de penser et d'agir avec des acteurs très variés. Ceci demande la capacité et la volonté de s'ouvrir aux autres, à travailler avec des personnes qui ont des valeurs, des formes de vie différentes de la sienne. Ceci n'est pas simple Ceci demande de créer des espaces, des groupes où les personnes se sentent « sécurisées » où elles peuvent prendre la parole, où elles peuvent être au moins écoutées sans être marginalisées, mises de côté. Des lieux où elles peuvent partager leurs émotions, où elles peuvent partager leurs problèmes. Si un comité de quartier, une association qui défend un territoire cherche à mobiliser uniquement des personnes qui répondent à des critères de conduites écologistes strictes, qui respectent toutes les règles de lutte contre les oppressions systémiques, un tel comité ou collectif risque d'avoir un futur limité. Il ne créera pas les capacités de créer une forme élargie de « communauté ». Il rassemblera que des personnes d'un même bord et risque de s’enferrer dans des conflits internes et de disparaître . On peut chercher à aller vers le mieux dans la vie collective d'un groupe pour penser et agir ensemble. Mais on ne peut pas exiger la pureté « militante ». Tomber dans ce travers est une attitude que l'on retrouve dans de nombreux collectifs, associations qui tentent de changer les situations vécues de manière radicale mais qui, de fait, n'arrivent pas à « faire communauté » avec un monde plus large.

Faire colligence et viser la création d'une communauté large d'alliance demande l'ouverture, la possibilité d'expression de ses émotions, de ses problèmes, l'acceptation et le soutien des minorités (quelles qu'elles soient!), la recherche très libre de tous les possibles pour l'action, le fait de ne pas chercher à décider en urgence, le fait de ne pas avoir peur des oppositions, des conflits, le fait de chercher le consensus ou au moins le consentement général sans refus majeur pour s'engager dans une action ensemble, le fait de se donner confiance par des petits pas ou actions, le fait d'accepter de combiner des actions avec des visées et formes différentes...

La capacité à faire face aux conflits au cœur des situations vécues.

Dans les groupes agissant, dans les alliances larges d'acteurs, nous sommes confrontés à de multiples conflits. C'est la vie ! Mais comment traiter les conflits internes à soi même, les conflits interpersonnels, les conflits dans les groupes et les liens entre ces différents types de conflits. Nous sommes très mal préparés à cela. Personne ne nous a appris à faire face à toutes les formes de conflits que l'on peut rencontrer dans la vie. Il y a un grand manque dans tous les systèmes éducatifs en matière de formation à l'intelligence émotionnelle et aux démarches pour faire face aux situations conflictuelles. C'est un problème de toutes les sociétés. Nous avons créé historiquement les religions pour s'occuper de ces questions. Mais nous voyons que la réponse n'est pas adaptée à la situation actuelle alors que nous avons accumulé des connaissances pour mieux comprendre le fonctionnement humain et pour mieux décrypter ce qui se joue dans ces relations, pour faire face aux conflits variés que l'on peut rencontrer. L’inexistence de l'accès gratuit et généralisé à ce type de formation est un problème politique majeur de nos sociétés. Ce problème est tellement énorme que nous ne le voyons pas.

Faire communauté, c'est aussi construire et faire vivre la démocratie

Gérer en commun des ressources naturelles, des services au plus prés de la vie quotidienne, faire colligence et communauté autour d'enjeux locaux, nationaux et internationaux, ceci signifie la recherche de consentement collectif ou de consensus, le fait de penser et d'agir ensemble en faisant des petits pas et avancées . Ceci signifie aussi construire de la légitimité, de la confiance collective, de l'autorité dans toute sorte de territoires comme l'a développé Pierre Rosenvallon dans son dernier livre sur les institutions invisibles. Tout cela est au centre de l'existence et de la construction d'une démocratie vivante, réelle dans nos sociétés.

Faire colligence, faire communauté dans différentes formes et se former

Nous pouvons agir, dans ce sens, dans de multiples situations : dans le cadre de nos associations locales, dans le cadre d'espaces territoriaux plus larges : quartiers, petites régions, voir villes. avec le soutien des collectivités territoriales, dans l'espace national mais aussi international.

Il me paraît que développer des formations pour faire face aux conflits et permettre l'accès à celles ci avec le soutien des collectivités territoriales, constituerait un premier pas important. Ceci pourrait permettre de construire une première marche afin de généraliser ce type de dispositif à moyen terme afin de permettre l’accès pour tous les citoyens à ces formations. A quel moment un pays ou un groupe de pays vont -ils se lancer réellement dans la mise en place d'un droit à quatre semaines de formation gratuites pour faire face aux conflits, pour chaque citoyen, au cours de sa vie ? Ceci constituerait une avancée sociale et politique majeure ?. Ceci ne limiterait pas le nombre de conflits, mais permettrait de les traverser avec plus d'aisance, de pouvoir les transformer de manière constructive. Un bel objectif qui passe par de nombreux petits pas !

Pierre Vuarin

Président du conseil UITC (Université Internationale Terre Citoyenne)

le 17/10/2024

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