«Un atome de Réel et le monde disparaît»
Humains trop humains qui se voulaient plus qu'humain. Le Réel de la maladie et de la mort se rappel à notre condition de simple mortel.
Nous voilà désorienté face à ce petit atome élémentaire du vivant qui traverse l'écran de notre imaginaire collectif. Nous avons perdu le chemin du symbolique, des mythes, des histoires, des récits collectifs dont la parole transmettait notre héritage, et nous voilà médusés, face à notre propre image et face au spectacle de notre oublie.
Nous avons perdu notre orient, là où se lève le soleil.
Imaginez vous une foule immense perdue dans un désert de sable brûlant, sous un ciel chaud et blanc, sans soleil. Une masse innombrable d'individus, un peuple, des hommes, des femmes, des enfants, de toutes conditions et de toutes origines, se trouvant brusquement au milieu de nul part. Le monde auquel ils appartenaient s'est effacé à leur yeux.
Ce monde avait cessé d'exister parce qu'ils avaient oublié de le créer sans cesse. Ils avaient fait disparaître à leurs sens, par magie et par science, par une technique folle mise au service de leur orgueil, de leur démesure, de leur hubris, la présence d'un monde agencé à leurs dimensions. Leur réalité augmentée à l'infini avait pris le pas sur le Réel sauvage et vivant de leur nature. Et ce Réel maintenant comme un grain de sable, réduisait à néant cette réalité mécanique et ses édifices démesurés.
Plus aucune ombre repérable où se protéger de ce ciel vide et lumineux, plus aucune source alentour pour s'hydrater, plus aucun animal, plus aucune plante pour se nourrir, plus aucun rêve pour s'échapper. Plus rien de REPRESENTABLE que cette matière inerte, que cette chaleur de four et cette lumière scialytique.
Perdus en plein désert, totalement désorientés, bien qu'étant équipés des dernières nouveautés technologiques. Quelles destinations donner au smartphone quand il n'y a que le désert tout autour, quand on ne sait où aller ? Perdus, désorientés, écrasés de savoir inutile, d''objets morts, d'informations stériles, de croyances absurdes. Tous commençaient à désespérer..
Ils se plaignaient sans cesse, ils s'insultaient, ils se battaient entre eux, homme, femme, enfant, sans distinction aucune, pour savoir qui était prioritaire, quelles étaient les droits de chacun, qui était victime, qui était coupable, qui était responsable. Ils cherchaient un chef qui puisse les sortir de cette situation infernale. Qui suivre, où aller? C'était une surenchère de promesses entre les plus forts, les plus persuasifs, les plus malins, les plus illuminés, pour rallier la foule à leurs décisions.
Quelle direction prendre? De toute façon, sans guide, toutes directions étaient hasardeuses et les mèneraient tôt ou tard à la mort. Il n'y avait plus d'illusion à avoir . Fallait-il rester sur place et profiter une dernière fois des rares ressources restantes, ou avancer en continuant à chercher la bonne piste ; à retrouver les points cardinaux pour se rapprocher d'un monde nouveau? Mais sans orient, sans soleil, ils ne pouvaient être que destinés à mourir. Individuellement ; c'est sur, ils n'y arriveraient pas vivant. Chacun serait condamné.
Le temps n'était plus que des moments successifs de lumière et d'obscurité, sans soleil, sans lune, sans étoile. Dans la confusion et le brouhaha général, un vieux alors, qui était plutôt discret jusque là, marmonna dans sa barbe jusqu'à ce qu'alentour on se tut pour l'écouter.
«Dans le monde d'avant, JE était le singulier de NOUS. Aujourd'hui, dans ce désert, c'est le NOUS qui est le pluriel de JE JE est un AUTRE, C'est totalement révoltant mais c'est ainsi. TOUS et SEUL sont INDISOCIABLES, Seul, TOUS peut tracer la piste pour que reviennent le soleil et la lune et pour que JE puisse vivre toujours »
Personne ne compris ces paroles prophétiques et le brouhaha revint jusqu'à ce qu'un gamin d'une vingtaine d'années, qui était considéré comme un jeune crétin, se mette alors à crier à la foule assemblée:
«En tout cas, c'est l'intention qui compte, et moi j'ai pas envie de rouiller ici. Que je crève ou non en route, j'aurai fait mon bout de chemin vers quelque chose».
Malgré le retour du chaos, une poignée de jeunes gens se rassemblèrent alors autour de celui qui ne voulait pas rouiller, et bon nombre de vieillards de leur côté, se réunirent autour du vieux prophète pour continuer à entendre sa parole.
Il fallut quelques temps encore d’alternance entre les instants où régnait un noir glacé et les périodes d'aveuglante et brûlante lumière, avant qu'un jour nouveau se lève.
C'est un enfant, sachant à peine parler, qui au réveil, en se frottant les yeux, montra maladroitement l'horizon où se levait un timide soleil, là où TOUS devaient - DEVAIT - aller.