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Billet de blog 3 mai 2021

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Qu'est-ce que c'est dégueulasse ?

« Qu'est-ce que c'est dégueulasse? » En ce mois de mai 2021, une énième décision autocratique du locataire de l’Élysée me semble bien répondre à cette question, Mais avant de revenir à cette décision inique, remontons le temps.

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Attention Travaux de Philosophie Politique Sauvage – 25

Qu'est-ce que c'est dégueulasse ?

« C'est vraiment dégueulasse »

« Qu'est-ce que c'est dégueulasse ? »

C'est la dernière réplique du film de Jean-luc Godard « A bout de souffle »

Michel Poicard, joué par Jean-Paul Belmondo est allongé dans une rue pavée, en bas de chez lui. Il a été descendu par les flics. C'est sa partenaire, Patricia, jeune étudiante américaine jouée par Jean Seberg qui l'a dénoncé. Elle prononce avec un délicieux accent américain cette dernière phrase du film:« Qu'est-ce que c'est dégueulasse? »

En ce mois de mai 2021, une énième décision autocratique du locataire de l’Élysée me semble bien répondre à cette question, Mais avant de revenir à cette décision inique, remontons le temps.

L'histoire se passe sur plus de cinquante ans et se décline en trois temps forts :

Le premier temps commence en Italie, moins d'une décennie après le film de Godard, un an après près mai 68 La «redescente» avait été rude après le fameux mois «où nous aurions pu rêver notre vie » comme le chantait Moustaki. Les gouvernements européens avaient eu chaud, mais la voie du libéralisme pouvait de nouveau tracer la route.

C'était le 12 décembre 69, à Milan, sur la Piazza Fontana, à 16h37. Une bombe explose, 16 morts, 88 blessés. C'est attentat inaugure ce que l'on appellera plus tard « les années de plomb » Lors du cortège funèbre, 80 000 personnes manifestent, dont 30 000 militants d’extrême droite faisant le salut fasciste. L'enquête s'oriente immédiatement vers les milieux gauchistes et anarchistes. Guiseppe Pinelli, anarchiste est arrêté. Il va se « suicider » en se jetant par la fenêtre du 4èm étage dans les locaux de la police.

Il fallu 10 ans pour qu'en 1980, le terroriste fasciste Vincenzo Vinciguerra déclare au juge que l'attentat visait à la proclamation de l'état d'urgence pour pousser l'Italie vers un régime autoritaire.

Plusieurs fascistes seront arrêtés et inculpés dans l'attentat de Milan dans les années suivantes, mais aucune ne fera de la prison. Un agent américain de la CIA ainsi qu'un responsable italien du service d'intelligence de l'OTAN sont impliqués, mais les poursuites contre eux sont arrêtées car ils bénéficient de l'immunité en prenant le statut de collaborateur de la justice.

Une théorie est avancée : «La  stratégie de la tension », une partie du corps d'état, appuyé par la CIA, aurait entretenu un climat de peur généralisé afin d’amener au pouvoir un régime dictatorial, comme cela a été le cas en 1967 en Grèce.

Parallèlement, sur la scène politique, se joue une dramatique trahison. En 1974, le PCI (Parti Communiste Italien) de Berlinguer, parti qui était l'ennemi historique du fascisme mussolinien, forme une coalition avec le partie Démocrate Chrétien au pouvoir. Les mouvements sociaux n'ont plus de représentants aux parlement, la gauche italienne n'a d'autre chois que de se radicaliser ou de disparaître.

C'est dans ce contexte explosif d'attentats fascistes et de luttes sociales que se forme un groupe d’extrême gauche ; « Les brigades Rouges ». Après le premier choc pétrolier et la crise économique entraînant une dégradation majeure des acquits sociaux, des grèves ouvrières secouent l’Italie (Pirelli, Siemens entre autres).Une partie du mouvement ouvrier adopte « la propagande armée » comme méthode de lutte. Les premières actions (destruction des véhicules de contremaîtres ou séquestration de cadres) reflètent la composition sociale des groupes armés. Parmi les mille trois cent trente-sept personnes condamnées pour appartenance aux Brigades rouges, on compte 70 % d’ouvriers, d’employés du tertiaire ou d’étudiants.

Les actions violentes se multiplient de part et d'autre : Attentats la plupart du temps aveugles pour l’extrême droite, (l'attentat de la gare de Bologne le 2 août 1980 a fait 84 morts et plus de 200 blesses), attentats ciblés contre les représentants du pouvoir et de l'autorité pour les Brigades Rouges (policiers, magistrats, gardiens de prison, journalistes, universitaires, jusqu'à l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, dirigeant la Démocratie Chrétienne en 1978).

Durant les années de plomb italiennes, qui commencent avec l'attentat de la Piazza Fontana, plus de 600 attentats commis entre 1969 et 1989, ont fait 362 morts et 172 blessés. Le groupe des Brigades Rouges est responsable de 84 de ces victimes.

C'est une histoire violente, sans justice et sans morale, où il n'est pas question de minimiser la gravité des actes posés. C'est juste un rappel historique qui veut simplement rétablir quelques faits.

Le deuxième temps de cette histoire ce déroule maintenant en France, au mois de mai 1981. Le peuple de gauche, après 32 ans de régime de droite, remporte les élections présidentielles, grâce à la stratégie particulièrement opportune d'une personnalité forte et ambiguë, François Mitterrand, qui propose une alliance avec le Parti Communiste pour un programme commun.

Cette espérance nouvelle va au cours des ans se déliter, devant les enjeux de pouvoir et les compromis successifs, et surtout, sous le rouleau compresseur d'un capitalisme mondialisé.

Mais en 1981, la France devient pour les membres des Brigades Rouges qui ont réussi à échapper à la police italienne, une terre de refuge.

François Mitterrand, porté peut-être encore par la «figure » du représentant d'un idéal socialiste, souligne dans plusieurs discours l'attachement de la France aux droits de l'homme, et sa volonté d'accueillir ceux qui seraient poursuivis pour des raisons politiques. Il explique que les Italiens qui auraient renoncé à la lutte armée et montré leur volonté de s'intégrer en France pourraient bénéficier d'une protection, en précisant toutefois que la France n'accordera pas de protection aux personnes impliquées dans des crimes de sang. En 1985, devant une nouvelle demande d'extradition de l'état italien, Mitterrand garde sa position :"Ils sont de l'ordre de trois-cents environ. Plus d'une centaine étaient déjà là depuis 1981, et qui ont d'une façon évidente, rompu avec le terrorisme. Ils ne seront donc pas extradés !"

Le troisième temps de cette histoire se passe en mai 2017. Macron devient le 8èm président de la 5èm république. Après Mitterrand, les présidents successifs, Chirac, Sarkozy, Hollande, sous diverses formes, ont cédé étape après étape à la main mise financière, et ont fini par dénaturer ce qu'il pouvait en être d'un idéal politique démocratique. Macron achève le processus sur un magistral coup d'enfumage en pourrissant la différentiation structurelle indispensable Droite Gauche, ne laissant sur la scène politique que ce qu'il ne pouvait encore maîtriser, c'est-à-dire, les extrêmes.

Depuis l'acte engagé, porteur de sens, qu'avait posé Mitterrand en garantissant l'asile politique pour les derniers activistes des Brigades Rouges (qui, depuis, avaient refait leur vie en France et s'étaient largement insérés), les gouvernements successifs se sont servi d'eux comme variable d'ajustement dans les relations franco italiennes.

Jusqu'à aujourd'hui où le coup de grâce à toute position éthique a été donné par cette décision d'arrêter 9 anciens activistes italiens.

Ce que je trouve « dégueulasse », dans cette histoire et dans cette décision, ce n'est même pas la décision en elle-même, c'est que cette décision est l'émanation d'un fonctionnement éminemment pervers. Elle vient, sous prétexte de justice, réactiver une souffrance très ancienne et susciter à nouveau les désirs de vengeance. Elle instrumentalise des êtres (acteurs et victimes de cette tragédie) au profit d'une pseudo autorité personnelle. Elle pervertie la parole en créant une confusion généralisée des termes (les terroristes désignaient aussi, bien avant les djihadistes, les résistants contre les nazis)

Cette décision, à l'image de son auteur dans sa fonction, n'est qu'un sombre calcul et ce n'est QUE cela.

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