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Billet de blog 7 octobre 2021

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L'ancien libertaire et le nouveau chantre des croisades

Comment la pensée de Michel Onfray qui écrivit en son temps son traité d'athéologie et son manifeste hédoniste comme remplacement de la foi religieuse, comment cette pensée aujourd'hui, peut s'associer à celle d'un Eric Zemmour nostalgique des croisades, de Vichy, et du retour à la pureté souveraine de la civilisation judéo-chrétienne ?

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Attention Travaux De Philosophie Politique Sauvage 29


L'ancien libertaire et le nouveau chantre des croisades

«La crise est le moment où l'ancien ordre du monde s'estompe et où le nouveau doit s'imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments». Antonio Gramsci

Comment la pensée de Michel Onfray qui écrivit en son temps son traité d'athéologie et son manifeste hédoniste comme remplacement de la foi religieuse, comment cette pensée aujourd'hui, peut s'associer à celle d'un Eric Zemmour nostalgique des croisades, de Vichy, et du retour à la pureté souveraine de la civilisation judéo-chrétienne ? Comment l'ex libertaire, dans un singulier rassemblement appelé «Front populaire», mi rouge, mi-brun, peut se retrouver avec le porte parole des réactionnaires d’extrême droite?

Le second est nostalgique d'un ordre pyramidal ancien où la civilisation occidentale dominait le monde pour son bien, comme le pater familias doit dominer son foyer pour que règne l'ordre. Le premier est nostalgique d'une imaginaire reconnaissance universelle de la grandeur de son savoir éclairant le monde, Tous deux sont soumis à l’exigence d'un ego hypertrophié. «Tout fout le camp mon bon Monsieur. Nous qui sommes l'élite, nous en faisons l'analyse. Après vous, je n'en ferait rien !!» Chacun veut sauver le monde de son ignominieuse dégénérescence, L'un par une prise de pouvoir néo-fasciste, l'autre par la magnificence de son intellect.

Ce qui les unirait peut-être, c'est ce que Cynthia Fleury appelle le ressentiment. Cette rancœur contre un monde qui ne pourra jamais répondre à un désir d'absolue reconnaissance. Ce mécontentement sourd qui gangrène l’existence des hommes et peut parfois se transformer en haine et en force destructrice ; Cette acrimonie, de ne pouvoir se sentir compris et aimé surtout. La transformations des sujets en individus chosifiés dans ce monde techno-libéral, galvanise ce ressentiment et pousse les foules devenues masse, vers des discours victimaires et projectifs (le coupable de mes souffrances, ce n'est pas un système, c'est l'autre, différent de moi)

Mais Onfray, Zemmour et bien d'autres, défendent un monde qui n'existe déjà plus. Un monde qui ne repose plus sur une conception organisationnelle pyramidale de la société, sur un ancien rapport au savoir, au pouvoir, à l'ordre, à l'autre semblable, à l'autre différent, à la patrie, à la famille, au travail, aux rapports hommes/femmes, etc,

Parce que c'est vrai que tout fout le camp !

Et lorsque tout fout le camp, on a tendance à s'accrocher, à se cramponner aux dernières points d'appuis, à ce que l'on croyait immuable et qui finalement disparaît dans l'impermanence du temps. On s'accroche alors à l'image d'un temps révolu où tout nous semblait plus stable et plus sécure. Notre civilisation est arrivée à un point, aujourd'hui, non pas par accident, mais dans une continuité évolutive, de délitement de plus en plus rapide des organisateurs symboliques, ce qui entraîne un véritable bouleversement anthropologique.

Notre rapport au monde, en tant qu'être pensant et parlant, est fondé sur un ordre symbolique. Nous autres humains ne pouvons nous contenter d’être. Mystérieusement (dimension transcendante ?), pour vivre notre condition, il nous faut nous représenter existant dans notre rapport au monde. Le Réel des choses nous est à jamais inaccessible et notre imaginaire doit se nouer à un ordre symbolique pour faire humanité. Fonction des mythes (religieux et profanes, des récits, des contes), fonction des traditions (Transmissions des rituels) fonction des lois (pouvoir symbolique), fonction des places différenciées (homme/femme, père/enfant, maître/élève). Notre époque, a fait voler en éclat cet ordre ancien et règne aujourd'hui une infini confusion.

En cela, j'aurai tendance à être d'accord avec bien des constats que font aujourd'hui les pourfendeurs de cette post-modernité,. Mais, à l'exact contraire d'eux, de ces nostalgiques mortifères, guidés par la peur et par la haine, je pense moi, que ce chaos est une nouvelle opportunité pour une réinvention de notre monde par la création de nouveaux organisateurs symboliques. Il nous reste à réinventer ensemble un autre monde, non pas en partant de ce qui nous différencie, mais en partant de ce qui nous unis. A commencé par ce qui pourrait en être d'un nouveau rapport homme/femme et ce qui pourrait en être de notre utopie commune, de notre rêve démocratique, égalitaire et universaliste, de nos luttes pour sortir de ce techno-libéralisme suicidaire, et peut-être aussi de notre rapport à une transcendance libérée de servitudes.

"La laïcité dit que l'espace de nos vies n'est jamais saturé de convictions, Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l'espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu'il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d'un autre venu y respirer". Delphine Horvilleur

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