Attention Travaux de Philosophie Politique Sauvage – 19
Souffrances singulières et détresse sociale
Vers une psychothérapie de l'engagement
Cette pandémie et les successions de confinements et de mesures sanitaires isolationnistes et dé-socialisantes, viennent mettre en actes une profonde crise sociétale qui lui est bien antérieur. LE DISCOURS DU CAPITALISME1 triomphant supportant le système économique des marchés, et des plus-value, alimenté par une technologie exponentielle, a impacté à la fois l'espace psychique de chacun et l'espace social et politique. Ce discours post-capitaliste peut-être, a envahi à peu près tous les moyens de communications depuis deux ou trois décennies. Il est porteur, signifiant d'une REIFICATION2 du sujet. Ce discours «chosifiant» (humain objet, tout-puissant, impuissant, produit/producteur/consommateur) où les liens symboliques interhumains disparaissent et où l’assujettissement au SOCIUS3 du sujet est dénié, entraîne un profond désarroi existentiel s'exprimant par de multiples symptômes.
Autrement dit, les français vont mal et oscillent entre aménagements paranoïaques et dépression. Tous les médias s'en font l’écho : augmentation des psychotropes, vague suicidaire, troubles psy aggravés, passages à l'acte auto et hétéro agressifs, désespoir des jeunes et détresse des vieux, angoisses liées au travail, à la perte de revenus, à la perte de liens sociaux, au non accès à la culture. Le constat est sévère et inquiétant. Ce constat nécessiterait une prise en charge soignante massive par des professionnels. Psychiatres et psychothérapeutes de tous poils sont convoqués à tour de rôle, inscrits dans un débat vif, mais courtois, sur toutes les ondes et sur tous les sites, pour nous dire comment se sortir de ces troubles multiples, comment juguler les angoisses, comment retrouver l'allant nécessaire pour reprendre notre vie bien régulée d'avant.
A l’exception du travail analytique, violemment attaqué et ostracisé par presque tous les médias grand-public (il est heureusement des poches de résistance), les solutions proposées sont de deux ordres qui ne sont pas incompatibles mais au contraire, complémentaires car répondant au même discours ambiant.
Deux types d'approches pour soigner ce malaise généralisé que l'on veut unique conséquence de situations traumatiques.
En premier lieu, l'approche neuropsychiatrique où tous symptôme est traité comme pathologique relevant de troubles biologiques, donc nécessitant la mise en place d'un traitement médicamenteux, associé éventuellement, à une prise en charge comportementaliste Et puis, les différentes approches psychothérapiques, oscillant entre béhaviorisme et gestalt-thérapie4
Pour les psychiatres et psychothérapeutes ayant ces approches, si vous êtes malade, ce n'est pas de votre faute, surtout pas!! (au passage, faute vient du latin «fallere» manquer, se tromper. En espagnol le manque se dit falta) Première chose, vous n'êtes pas responsable de ce qui vous arrive. Vous êtes la victime de votre histoire, de votre sensibilité, de votre environnement qui n'est pas suffisamment bon pour vous,. Vous aspirez au bonheur auquel vous avez droit mais les circonstances de la vie vous ont traumatisé (c'est vrai que les expériences de la vie sont souvent «traumatisantes» et l'on peut exister toute sa vie en tant que victime, mais grâce à une bonne thérapie brève, mais efficace, on peut passer de victime à …. gagnant!). Votre symptôme, votre souffrance, votre détresse, votre malaise n'est pas constitutif de votre être, de votre rapport au monde, mais c'est un trouble, une maladie qui vous empêche cette épanouissement ce bonheur que l'on se doit d'avoir en continu. En un mot, vous avez droit au bonheur, et ce bonheur est à votre portée. Bien sur, il faut pour cela faire quelques efforts et si vous n'arrivez pas à être heureux, c'est peut-être un peu parce que vous n'y mettez pas suffisamment du votre. Ou alors, vous êtes un handicapé du bonheur. Pardon ! ce n'est pas correct de dire cela, vous êtes porteur du handicap du malheur et là, on vous accompagnera, mais il vous faudra vous résigner à votre condition. Si ce n'est pas votre cas, vous ne sortirez de votre malaise et retrouverez «l'idée» d'un bonheur passé, qu'en renforçant votre moi, en positivant votre rapport au monde.
Pour cela, il faut suivre un certain nombre de principes , de recettes. Arrêter tous les toxiques, drogues, tabac, alcool,(endorphine ?) qui ont accompagnés l'humanité depuis la nuit des temps ('tient ! Pourquoi au faite?). Il vous faut avoir une vie plus saine, alimentation, sommeil, exercices physiques, yoga, relaxation, méditation, techniques de communication, et surtout, un détachement, un retour sur soi. une maîtrise de vos tendances négatives. Finalement, votre bonheur ne dépend que de votre capacité à résister à la violence de vos pulsions, du monde extérieur, et surtout, à la violence des autres : «L'enfer, c'est les autres« 5 Les parents, le mari ou l'épouse, les enfants, le patron, les collègues, les syndicats, les politiques, l'autre sexe en général, enfin tous les autres !
La psychothérapie par le coaching en quelque sorte, où le professionnel est un prestataire de service : Guéri ou remboursé. Psychothérapie de l’esbroufe où la culpabilité projetée n'est jamais loin «Si vous n'y arrivez pas avec tout ce que je fais pour vous, ça doit être un peu de votre faute (et cette fois, faute n'est pas employée comme un manque mais bien comme un jugement).
Si l'on se sent mieux lorsque qu'on suit ce que le thérapeute nous prescrit, lorsque l'on prend un bain aux fleurs de roses, en écoutant de la musique, ou en méditant, ou en faisant du vélo, ou en respirant par le ventre, c'est parce qu'à un moment donné, nous avons été «sensible» à «ce qui s'est joué dans la relation entre le thérapeute et nous. Quelque chose s'est mobilisé en nous qui nous a permis de nous saisir de ces exercices pour aller mieux, ce n'est pas le contraire.
Être totalement «conditionnable», on aimerait bien des fois, mais il y a toujours un moment où ça merde, où quelque chose revient qui cherche à se dire, mais qui ne se dit pas. Qu'est-ce qui c'est passé pour que nous soyons en mesure d'aller mieux, ou pas? Là est la question, mais la réponse à cette question se trouve immanquablement dans le sujet lui-même, dans son propre rapport à ses désirs, conscients et inconscient, et en aucun cas, la réponse se trouve chez l'autre.
En quoi ces approches répondent-elles au discours ambiant?
Pour les partisans du tout neurologique: chercheurs, médecins, pharmaciens, qui pensent que les troubles psychiques sont des maladies «comme les autres», l'affaire est faite, la science est le nouveau Dieu et le marché son prophète. L'avenir de l'homme est moléculaire ET virtuel (c'est-à-dire dans la vision «délirante» ultime de la fusion du Réel et de l'imaginaire, la fonction symbolique de la parole n'existe plus.
Pour les psychothérapeutes de la SUGESSTION, (car pour moi, il s'agit bien de cela, un jeu de suggestion et d'identification, présent historiquement à la naissance de la psychanalyse mais normalement identifié dans le transfert) ces psychothérapeutes sont d’emblée dans un rapport de domination médecin/malade Le psy pense être VERITABLEMENT en position de savoir et ainsi pourrait suggérer au patient qu'il lui serait bon de suivre ses conseils pour changer et moins souffrir. L'un sait, et l'autre ne sait pas. L'un à la solution, l'autre à le problème. Si on veut «guérir», il faut suivre les instructions.
La suggestion, des fois ça marche, souvent ça marche si l'on se met dans une position suffisamment infantile pour être un bon patient et faire plaisir. Mais bien souvent, ça ne tient pas vraiment, ça foire, ça rate, les symptômes se déplacent, quelque chose se répète des troubles, même si ils prennent d'autres formes. Si ça tient, bien souvent, dans la clinique des addictions par exemple, ou dans les dépressions, ces psy devraient avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils en ignorent au fond, les raisons.
Pourquoi ?
Parce que ces thérapeutes, à l'image du discours ambiant, sont dans l'illusion que seul le désir CONSCIENT du soignant comme celui du patient pourrait être en cause dans l'amélioration de l'état de souffrance de celui-ci. En cela, cette conception du soin psychique correspond bien au discours ambiant où l'ambivalence est vécue comme une faiblesse, où il n'y a plus de place pour l'ombre, pour l’absence, pour le manque. Où Éros et Thanatos ne sont plus les deux faces d'une même pièce humaine, où le désir fait ordre et la satisfaction fait loi
Dans toutes psychothérapies, malgré tout l'arsenal des outils thérapeutiques utilisés aujourd'hui comme fins, et non pas comme moyens (alors qu'ils pourraient bien souvent être utilisés comme médiateurs), tout échappe. Tout, sauf cette volonté de chercher à mettre du sens à ce «trop plein» de questions générateurs de troubles, qui a emmené le patient à consulter. Et ce n'est que dans l'énigme de cette rencontre qui se parle, que le patient pourra répondre de sa propre existence. Ces question ne s'élaborent que par le travail de la parole, une parole qui n'appartient à personne et qui appartient à tous. Une parole et son interprétation qui n'appartiennent ni au thérapeute, ni au patient, mais qui, à un moment donné, surgit et peut fait sens et répondre (toujours temporairement, c'est-à-dire inscrite dans un temps) aux questions premières. .
Alors, vers une psychothérapie de l'engagement ?
La souffrance psychique peut-elle être légitime? Oui parce qu'elle est co-existante de la condition humaine. Parce que la souffrance, c'est comme la violence, elle est là d'emblée, dans notre inscription dans le monde. Toutes angoisses a pour fondation l'angoisse de mort, et toutes violences à pour fondement la vie, c'est-à-dire, le lien et la lutte permanente entre Éros et Thanatos, entre les pulsions de vie et les pulsions de mort et ce que nous, nous en faisons. Ainsi, l'écart entre la plus forte des joies et le plus profond désespoir est infime, l’épaisseur d'une feuille de papier cigarette justement. Le bonheur est toujours une surprise, Il pourrait arriver à des instants précis où le sentiment de liberté singulière pourrait se conjuguer à l'appartenance à un ensemble.
Alors oui, nous vivons des temps redoutables où beaucoup d'entre nous sont mis à mal, beaucoup se sentent écrasés, isolés, broyés par la machine économique et politique devenue folle, pris dans un présent sans fin où tout peut arriver de pire, sans goût pour des lendemains qui chantent.
En ce qui me concerne, je pense que l'espoir retrouvé ne passe pas par l'oubli de soi dans soi (salut Narcisse!), mais par la reconnaissance d'un soi assujetti à une espérance commune.
1Le discours, selon Lacan, fonde le lien social et détermine une économie du désir et de la jouissance
2 La réification, en langage philosophique, signifie transformer en chose ; c’est donner un caractère statique et matériel à une réalité vivante ou humaine. Il ne faut pas perdre de vue cette définition de base pour appréhender le concept de réification dont Marx a jeté les bases et que Lukács a développé dans son œuvre majeure Histoire et Conscience de classe
3SOCIUS Élément social constitutif de l'individu et consubstantiel de son organisme
4..Il ne faut pas se laisser impressionner par les mots, il faut s'en saisir et se les approprier. Je parle en connaissance de cause... LE BEHAVIORISME vient de l'anglais «Behaviour» signifiant comportement. C'est une psychothérapie dans laquelle on ne traite que les comportements observés correspondant aux réponses du patient face aux stimuli externes. La singularité du sujet avec ses désirs conscients et inconscients sont ignorés. LA GESTALT-THERAPIE de l'allemand «Gestalt» signifiant forme, prendre forme. C'est une psychothérapie se centrant sur les interactions humaines et sur la modification de ces interactions au service d'un moi renforcé.
5« L’enfer c’est les autres » est une citation de Jean-Paul Sartre dans sa pièce de théâtre Huis Clos. Sartre disait toujours que cette citation avait été mal comprise. On a cru que Sartre voulait dire que les relations avec autrui étaient toujours infernales. Mais ce n’est pas du tout ce qu’a voulu dire Sartre. Lui-même précise que si mes relations avec autrui sont viciées, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Ceci pour une raison très profonde qui est qu’au fond, ce qui est le plus important pour nous-même et la connaissance que l’on a de nous-même, ce sont les autres. Autrement dit, c’est grâce aux autres que je peux avoir une connaissance, une conscience de qui je suis. Il y a donc un lien très étroit entre la conscience de soi et la présence d’autrui selon Sartre.