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Billet de blog 19 novembre 2020

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Se déprendre du dé-ordre capitaliste

L'humain est un être Bio-Psycho-social et son aspiration à un idéal démocratique est une donnée anthropologique

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Attention Travaux de Philosophie Politique Sauvage 13

Se déprendre du dé-ordre capitaliste

       Nous vivons une crise civilisationnelle mondiale. Toutes les sociétés par le monde sont soumises au dé-ordre capitaliste. Des plus «libérales» et «républicaines»  aux plus autocrates et totalitaires. Les lois du marché et du profit ont fait bois de tous régi mes. Les grandes espérances communistes ont perdu la partie et le capital a gagné la lutte des classes jusqu'à faire oublier le fait qu'il pouvait y en avoir une. Un double mouvement s'est effectué de façon exponentielle ces dernières décennies. Une globalisation des échanges marchands et des moyens de communications, lors d'une expansion colonialiste où les plus puissants ont exploité les plus faibles, et parallèlement, une disparition tout aussi exponentielle de la diversité des richesses spécifiques, matérielles et culturelles, des sociétés. Perte de la diversité des organisations sociales, jusqu'à la perte de la diversité des écosystèmes même, dont celles-ci dépendent. Plus les communications se multiplient et s’accélèrent, plus les relations langagières s’appauvrissent, s'assèchent et se sclérosent. Plus l'uniformité et la bivalence deviennent normes, plus les radicalisations des positions identitaires, individualistes, communautaires, font violences. Globalisation et indifférenciation : l'hyper marché financier et l'hyper communication attaquent l'espace transitionnel des liens interhumains, c'est-à-dire le processus même de symbolisation..

Le don, le contre don et la dette. Marcel Mauss

Une illustration de ce phénomène en est l'écrasement dans le discours capitaliste du principe de marchandisation sur la subjectivité des échanges. Nous assistons aujourd'hui à une marchandisation non seulement des objets manufacturés, mais du vivant dans sa totalité et sa multiplicité : ressources naturelles et ressources culturelles, fonctions instituantes des organismes publics , jusqu'à «l'espace  de disponibilité psychique» de chacun.

L’agencement symbolique dans l'organisation des structures sociales illustré par des notions comme le don, le contre-don et la dette est supplanté par l'hégémonie économique de l'avoir et du dû. Cette organisateur symbolique du don a disparu du discours mercantile officiel ambiant, et se trouve aujourd'hui réduit à l'intime et à quelques activités en prise direct avec les relations humaines : la santé, l'éducation, l’enseignement.

Le potlach  était un principe d'échange par le don et le contre don qui était pratiqué par beaucoup de sociétés traditionnelles sur plusieurs endroits de la planète : Amérique du Nord, Indes, Mongolie. Le Potlatch est un comportement culturel, souvent sous forme de cérémonies plus ou moins formelles, basées sur un échange d'objets appartenant à chacun, où la valeur symbolique de ceux-ci est estimée équitable de part et d'autre. L'écart incontournable restant entre ces deux valeurs symboliques constitue une dette ouvrant sur de futures échanges. Cet espace potentiel a une valeur universelle et intemporelle absente du discours post-moderne. La dette, ce n'est pas la plus-value ou la moins-value du monde marchand, c'est un espace en creux qui lie les gens entre eux.

Comment penser l'origine de cette crise civilisationnelle 

Ces deux derniers siècles ont vu éclore la pensée positiviste (Auguste Compte), avec une  mécanisation de plus en plus importante et de nombreuses découvertes scientifiques fondamentales en recherche appliquée (l'électricité, le moteur à explosion, les transmissions par ondes) , la révolution industrielle et l'exploitation généralisée des ressources planétaires etc.. Ces avancées ont entretenu le mythe d'une croissance infinie et radieuse, nous éloignant toujours plus de l'état naturel. Mais ce qui devait être un océan de bien-être et de confort généralisé, s'avère se transformer en une course forcée vers un but insensé : posséder pour... posséder

Le nouvel ordre capitaliste s'est imposé de façon hégémonique sur tous le globe. Un ordre où la seule figure imposée serait justement la dérégulation de tout ordre garantissant le lien social. . Une démesure imposée en quelque sorte où la seule limite serait les limites du matériellement possible, c'est à dire, les limites du Réel.

En 1973, Ivan Illich écrit dans son essai ; «La convivialité». « Un événement imprévisible et probablement mineur servira de détonateur à la crise... Ce qui était évident aux yeux de quelques uns sautera tout à coup aux yeux du plus grand nombre ; L'organisation tout entière en vue du mieux être est l'obstacle majeur au bien-être »

Anselme JAPPE évoque un mythe « parlant » à ce propos dans son bouquin : « La société autophagie»

C'est un mythe de la mythologie grecque rapporté par Callimaque puis Ovide. Erysichthon un roi de Thessalie, visitant ses terres, voit un grand chêne au milieu d'une prairie. Il décide de le faire abattre. Ses hommes refusent car cet arbre est un lieu fréquenté par des Dryades : divinités mineures liées à Déméter qui est la Déesse de la nature, mais qui est aussi, la Déesse de la culture, des récoltes et des moissons. Erysichthon n'écoute pas ses hommes et abat lui-même l'arbre. Une Dryade du nom de Déo, va prévenir Déméter du sacrilège opéré par le roi. Déméter décide de le châtier. Elle fait appel à l'incarnation de la faim, entité qui vit dans un désert de pierre dans le Caucase. La faim pénètre aussitôt le corps d' Erysichthon pendant son sommeil et celui-ci au réveil se sent totalement affamé. En quelques jours, il mange autant de provisions qu'une ville entière et laisse derrière lui autant de déchets. Tous ses biens disparaissent très vite en nourriture et il en vient à vendre sa fille Mestra, pour continuer à manger. Heureusement pour elle, elle a le pouvoir de se transformer en animal ou en homme. Mais cela donnait l'occasion à Erysichthon de la revendre encore et encore.

Selon Ovide, Erysichthon finit par disparaître en se dévorant lui-même. Selon Callimaque, il finit comme un chien errant fouillant les ordures pour manger et combler cet insatiable appétit.

Némésis, Déesse de la juste colère, répond à l'hubris humain, à son aspiration à la démesure.

Les récits mythiques comme récits symbolisant nous racontent une origine possible du monde et des hommes qui l'habitent. Les dimensions psychiques, sociales et physiques sont alors une seule et même chose dans ces fables humanisantes. Plus de 3 siècle avant JC, Callimaque de Cyrène continue à nous parler à l'oreille. Dieux, Déesses et humains sont pris dans la même destinée, ils partagent le même univers. L'olympe est immortel mais il est aussi à l'image du monde grecque, il en est le reflet sublimé.

Le désenchantement du monde et l'origine du capitalisme ?

Et vint le monothéisme, L’immanence (ce qui émane de l’intérieur de soi) dans la théogonie polythéiste devient transcendance (Ce qui qui vient d'en-haut, d'un extérieur à soi). L'expression ; « désenchantement du monde » est attribuée à Max WEBER 1864/1920. Ce terme apparaît dans son ouvrage « L’éthique protestante et l'esprit du capitalisme » publié en 1904. Weber avance l'idée que la réforme protestante est à l'origine de l'éthique du travail et du capitalisme. Le travail est la peine nécessaire pour expier les fautes liées à notre condition d'humains faillibles et accéder à une rédemption toujours différée. Les gains sont alors une fin en soi comme la manifestation sacrée d'une approbation divine.

Ce terme de « désenchantement du monde » est repris par Marcel GAUCHET dans un livre éponyme de 1985.Il reprend et développe l'idée. L'apparition du monothéisme a constituée une rupture fondamentale dans la façon dont l'homme s'est représenté le monde et en a constitué son organisation. Cette rupture liée au monothéisme met en place suprême (sur un trône), une seule et unique instance représentative de la vie humaine, située au delà de l'espace et du temps humain « Dieu le père », «Il n'y a de Dieux que Dieu», contrairement à l'idée antérieure que tout est Dieux (Animisme), puis que tout ce qui émane de l'homme a source dans le Divin (Polythéisme). Un Dieu unique est donc une clef de voûte d'où dépendra pyramidalement tous les pouvoirs et les hiérarchies des rapports inter-humains. Marcel GAUCHET avance que la religion judaïque porte en elle un extérieur à elle-même et que le christianisme comme première « sortie » du judaïsme, par l'incarnation d'un messie (« Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné » La Bible, Psaume 22) amorce l'éloignement progressif de l'agencement religieux du monde. L'homme est soumis à Dieu mais il est seul sur terre. L'idée forte portée par GAUCHET est que cette « séparation » de l'homme d'avec le divin (qu'il situe à l'apparition du christianisme), constitue le début de la fin du religieux structurant le monde

L'agencement du monde s'est alors séparé de l'agencement du religieux sur le monde, celui-ci continuant à exister en parallèle. Un retour totalement éperdu au fondamentalisme est alors une réaction logique face à l'angoisse la plus archaïque de l’éprouvé de liberté, c'est-à-dire l'éprouvé de solitude face au vide. Lorsqu'on parle d'un retour au fondamentalisme, il faut entendre aussi bien le fondamentalisme de l'islam radical que celui de l'occident chrétien qui prône un retour à une pureté originelle et le protestantisme « à l’américaine », qui est une « appropriation » de Dieu, cautionnant toutes démesures au nom même de la foi.

L'idéal démocratique est une donnée anthropologique .David GRAEBER "Démocratie aux marges"

La condition humaine est paradoxale. L'homme n'a pas de signification en tant que tel si ce n'est d'être une créature vivante comme toutes créatures vivantes. Mais, allez savoir pourquoi (l'origine ?) , Il lui faut tomber de ce Réel pour naître à lui-même, pour ex-sister (du latin : «existere» sortir de, se manifester, se montrer) L'homme naît de l'humus, il sort de l'étant (de l’étang), il sort de la mère (de la mer), et ne pourra jamais y retourner. Il lui faut donc prendre connaissance du monde et quitter ce qu'il s'imaginera être le paradis, perdu à jamais . Il lui faudra penser le monde pour le faire exister, il lui faudra le nommer pour se le représenter, pour se l''approprier, puis il faudra l'ordonnancer pour le saisir.Il y a le temps diachronique, l'instant où l'homme est en « communion » avec la nature, et puis il y a le temps synchronique, l'avant d'où l'on vient et l'après où l'on va, avec le mystère de la naissance au début, et le mystère de la mort, à la fin. Il y a l'histoire, et puis, il y a les histoires que l'on se racontent et qui nous façonnent de générations en générations, les mythes qui tissent et détissent la trame des civilisations.

Face aux conséquences de ce long désenchantement au cours de l'histoire, désenchantement qu'il faut bien prendre dans le sens de la perte d'une illusion dans laquelle on croyait. Freud « l'avenir d'une illusion »., il nous faut réinventer le monde.

L'idéal démocratique est probablement une autre illusion, comme la religion, comme l'amour, dans le sens où la finalité n'existe que dans le processus, mais il est des utopies qui nous sont vitales.

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