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Billet de blog 7 février 2020

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Levée du secret professionnel des médecins: l’opinion d'un avocat

En pleine discussion à l'Assemblée nationale, la levée du secret médical dans le cadre de violence conjugales suscite l’inquiétude de l'opinion et d'une partie de la profession elle-même. En tant qu'avocat et président du Collectif Avocat-stop-feminicide.org, je reviens ici sur les arguments en faveur du dispositif.

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A l’évidence sensible comme avocat à cette question du secret professionnel, voici brièvement mon opinion sur le texte entrain d'être discuté à l’Assemblée nationale. Issu des conclusions du Grenelle sur les violences conjugales, sa mesure la plus polémique vise la levée du secret professionnel du médecin dans le cas de sévices constatés sur un patient.

Sans corporatisme aucun, j'aimerais d'abord assurer comprendre les revendications des médecins, qui s’opposent à cette levée d’un secret absolu, inscrit dans la loi depuis 1810 et à ce titre passible de la condamnation d’un an de prison et 15.000 euros d'amende. Je comprends que cela constitue l'essence de la profession, et la crainte d'un recul des droits.

Pour autant, la société évolue, les femmes victimes de violences ne cessent d'augmenter, et les revendications d’une majorité de médecins entendus dans le cadre de ces travaux parlementaires, confirme la nécessité d'une évolution du droit.

Voici donc trois arguments au soutien de cet impératif.

La levée du secret médical laisse libre au médecin d’apprécier, en son âme et conscience, selon son « intime conviction », ce sont les termes même du texte, si oui ou non il peut être fait exception au principe pour signaler à la justice des violences constatées sur un patient. Il n’y a donc aucune obligation de levée du secret professionnel du médecin, qui garde sa liberté de choix. La responsabilité d’un médecin ne sera jamais engagée pour avoir refusé la levée du secret professionnel, dans le cas par exemple où il aurait préféré taire les premières violences constatées sur un patient qui aurait ensuite succombé de nouvelles violences, et que l’on engage sa responsabilité pour avoir tu cet état de fait.

Mieux que de laisser le choix au médecin, cette réforme protège les intérêts des médecins eux-mêmes, qui n'encourent plus un risque de radiation pour avoir préféré violer leur secret professionnel au prix d’une vie sauvée. En effet, le texte répond à l'inquiétude de nombreux médecins inquiets face aux injonctions contradictoires de leur conscience, à savoir risquer une sanction de leur Ordre, sanction pouvant aller jusqu’à la radiation, alors que le signalement de violences ne faisait qu’obéir au même serment d’Hippocrate visant à protéger le patient.

Troisième argument, peut être le plus éloquent: l’exception au secret professionnel du médecin dont il est question aujourd'hui, existe déjà depuis de nombreuses années s'agissant de la maltraitance des mineurs. Autrement dit, un médecin décelant des sévices corporels d’un parent sur un enfant a l'obligation de formuler un signalement à la justice. Ce dispositif n'ayant témoigné d'aucun effet pervers à ce jour, tout semble indiquer qu’il faille calquer le fonctionnement du système des mineurs aux majeurs. Car il a été prouvé que cela sauve des vies.

S’agissant de vies, rappelons enfin quelques chiffres:
220.000 femmes violentées par an,
149 féminicides en 2019,
Et 8 femmes sur 10 qui n'osent pas déposer plainte;

Autrement dit, des femmes dévalorisées qui n’osent plus rien, pas même décrocher leur téléphone pour demander de l’aide, de peur de ne pas être prises au sérieux.

Il est donc déterminant de faire bénéficier aux victimes de la relation privilégiée avec leur médecin. Encore une fois, ce dispositif sauve des vies.

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