Chers Mediapatien-ne-s,
Ayant refusé de défiler à l'appel des pompiers pyromanes qui seront aujourd'hui place de la République, pompiers pyromanes relayés par des éditocrates et des médiacrates qui voient dans le drame de la semaine dernière une bonne occasion de se faire passer pour les journalistes qu'ils ne sont pas et ne seront jamais, serviles et inféodés qu'ils sont aux pouvoirs économique et politique, je réagis une nouvelle et dernière fois à la légende en train d'être construite autour de Charlie Hebdo et qui, comme toutes les légendes bâties à la hâte à grand coup d'émotion et de pathos, a pour inconvenient – ou avantage, c'est selon – d'escamoter des questions qui mériteraient pourtant un vrai débat démocratique.
Je ne reviendrai pas sur les dérives impulsées par l'antipathique et opportuniste Val, parfaitement décrites et analysées par l'excellent billet de l'ancien journaliste de Charlie Hebdo Olivier Cyran (ici : http://www.article11.info/?Charlie-Hebdo-pas-raciste-Si-vous ; je remercie certains abonnés de m'avoir fait découvrir ce texte magnifique). Val, Fourest : des personnalités arrivistes prêtes à toutes les compromissions et manipulations pour satisfaire leur petit ego. Tout le monde pense pis que pendre de Philippe Val, cela n'est donc pas très original que de fustiger ce personnage.
Par contre, est-on en droit de poser la question suivante. Je précise auparavant que je suis un athée fervent, qui a du subir, comme beaucoup, par conformisme social de ses parents (dans certaines franges des classes populaires et moyennes inférieures), le bourrage de crâne catholique tout au long de cette chaîne infernale : cathéchisme - messes dominicales - petite et grande communions - confirmation. Je n'ai aucune sympathie pour les dogmes religieux. Je suis partisan d'une laïcité intransigeante, qui refuse, par exemple, le voile intégral dans l'espace public.
La question est donc la suivante : est-ce que railler légitimement les clergés et les églises, les superstitieux et les croyants, autorise des journalistes et des dessinateurs à dégrader les sujets et objets de culte ? Lutter (justement) contre l'islamisme justifie-t-il le blasphème ? Je ne le crois pas. Il me semble qu'en démocratie, la liberté d'expression doit être contrebalancée par le principe du respect d'autrui et de ses opinions, notamment religieuses. Je soupçonne certains, comme Fourest, de dissimuler leur racisme et leur essentialisme derrière le beau mot de laïcité. Pire, mettre en scène un prophète dans des situations scatologiques et/ou obscènes n'est même pas efficace : c'est contreproductif.
Olivier Cyran critique, plus généralement, un état d'esprit où se mêlent certitude d'être du côté du Bien et racisme de l'intelligence : "À Charlie Hebdo, il a toujours été de bon ton de railler les « gros cons » qui aiment le foot et regardent TF1. Pente glissante. La conviction d’être d’une essence supérieure, habilitée à regarder de très haut le commun des mortels, constitue le plus sûr moyen de saboter ses propres défenses intellectuelles et de les laisser bailler au moindre courant d’air. Les vôtres, pourtant arrimées à une bonne éducation, à des revenus confortables et à l’entre-soi gratifiant de la « bande à Charlie », ont dégringolé à une vitesse ahurissante."
Le racisme n'est pas qu'ethnique : il est aussi et avant tout social. Revoir certaines caricatures de Cabu sur les "beaufs" provoque chez moi le même malaise que je ressentais à l'époque quand je regardais sur Canal +, chaîne officielle du boboland, les sketchs des Deschiens... je n'aime pas ces gens qui regardent de haut de leur Culture et de leur Intelligence supposées certains de leurs compatriotes. Je ne sais pas pourquoi. L'origine sociale certainement.
Décidément, à la réflexion, comme Cyran, comme Schneiderman et d'autres, décidément, je suis de moins en moins le Charlie des années Val et de l'héritage de Val. Je le suis encore moins quand je vois le torrent de pathos qui se déverse aujourd'hui dans les tuyaux de la société du spectacle.
Et si les dessinateurs de Charlie, morts cette semaine, n'étaient que les martyrs d'une société où la dérision agressive permet de justifier la montée en puissance du cynisme, de l'intolérance et du racisme ?