Nous voilà rendu au stade où l’émotion collective débouche sur la cristallisation d’un néoconservatisme et d’un maccarthysme à la française. C’était fort prévisible mais l’on reste tout de même coi devant la facilité avec laquelle certains libèrent leurs pulsions autoritaires et racistes.
Les partis de gouvernement, et leurs militants (ici même), ont sauté sur l’occasion de faire oublier leurs turpitudes morales (les « affaires ») ainsi que leur échecs, reniements et trahisons sur le terrain économique et social. Ce drame leur permet de réaliser enfin leur vieux rêve dépolitisant d’une Union des Forces Républicaines et Progressistes, allant du PS à l’UMP en passant par le centre, tout en assimilant forces de gauche et extrême droite. Hollande, Valls, Ciotti, Sarko, même combat !
Tout cela, bien entendu, au nom de la République, de la Démocratie, des Droits de l’Homme, j’en passe et des meilleures. On ressort Voltaire pour l'occasion, le Voltaire de l’éloge de la tolérance, pas le Voltaire raciste, antisémite et esclavagiste, celui qui écrivait par exemple :
" La race des Nègres est une espèce d’hommes différente de la nôtre [...] on peut dire que si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est très inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande attention, ils combinent peu et ne paraissent faits ni pour les avantages, ni pour les abus de notre philosophie. Ils sont originaires de cette partie de l’Afrique comme les éléphants et les singes ; ils se croient nés en Guinée pour être vendus aux Blancs et pour les servir. " Voltaire, Essai sur les mœurs, Genève, 1755, t. XVI, pp. 269-270
Voltaire défendait et incarnait l’esprit des Lumières mais uniquement pour les chrétiens blancs, un peu comme nos politiques et médiacrates en ce moment. Je recommande à cet égard la lecture de l’excellent ouvrage de Domenico Losurdo, Contre-histoire du Libéralisme, Paris, La découverte, 2013 : les libéraux ne l’étaient pas pour tout le monde.
Les éditocrates et médiacrates, quant à eux, peuvent, grâce à ce drame, abandonner franchement toute référence à l’exigence d’objectivité journalistique pour mieux camper la posture, qu’ils prisent tant, de donneur de leçon et, partant, de criminaliser celles et ceux qui refusent d’abdiquer leur raison et leur esprit critique. Ainsi, il en va de cette pauvre Nathalie Saint-Cricq, qui appelle à la délation de ceux (dont je suis) qui auraient l’outrecuidance de dire qu’ils « ne sont pas Charlie ». La morale permet ici d’acquérir à peu de frais un fond que l’on n’a pas et que l’on n’a jamais eu sur le plan intellectuel. En sus, se faire les gardiens autoproclamés de Charlie, permet – et cela n’est pas négligeable – à des commentateurs de la Cour de se faire passer pour de courageux journalistes, ce qu’ils n’ont jamais été et ne seront jamais. A moins de considérer les dîners en ville ou les réceptions mondaines comme des champs de bataille…
Les journalistes de Charlie hebdo ont été assassinés physiquement par des intégristes en perdition. Ils sont désormais assassinés symboliquement par les chiens de garde de l’ordre néolibéral et des intérêts de l'oligarchie. Et à ces deux types d’assassins, j’adresse un bras d’honneur très charliesque (avec une spéciale dédicace à Bourdin et Saint-Cricq). Ce sera mon hommage, même si j'étais loin de partager leurs options et certains de leurs combats.
Car, je le dis et redis pour notre pauvre Saint-Criq, depuis 2003, je ne suis plus et ne serai jamais plus Charlie, dont la ligne éditoriale devenait franchement inquiétante à l'endroit des Musulmans. J'attends donc la mise sur écoute et l'arrivée de la police, dans le cadre de notre belle République retrouvée depuis la semaine dernière. Merci Saint-Cricq.
J'attends impatiemment de voir comment vont réagir nos Gardiens de la Démocratie et de la République lorsque Syriza sera élu en Grèce. J'ai une petite idée cela dit...
PS : je lis à l'instant que l'affiche du dernier spectacle de Patrick Timsit, où ce dernier enlace en dessin une bombe, vient d'être censurée. Tout cela commence sérieusement à faire peur et fait inévitablement penser au slogan de 1984, "La guerre, c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage".