Le 25 avril 2022, la « justice » turque a été l'auteur d'un nouveau scandale : Osman Kavala, homme de paix et de dialogue culturel, est condamné à perpétuité, sans réduction de peine. Et sept intellectuel.es, artistes, militant.es pacifistes sont condamnés à 18 ans de prison. Prenez bien note de ces noms : Mücella Yapici, 73 ans, secrétaire générale de l’Ordre des Architectes, Can Atalay, avocat des plusieurs intellectuel.es et militant.es, Çiğdem Mater, réalisatrice et fondatrice du mouvement « Les Ami.es de Hrant Dink », Tayfun Kahraman, universitaire urbaniste, Hakan Altinay, directeur de l'European School of Politics et président de la Global Civics Academy, Yigit Ekmeçi, l'un des fondateurs de nombreuses institutions éducatives, notamment l'Université Bilgi et la Fondation Nesin. et Mine Özerdem, militante associative.
L’accusation est plus qu’absurde : « tentative de renversement du gouvernement » par l’organisation des manifestations de Gezi en 2013 ! Souvenez-vous, il y a neuf ans maintenant, les médias internationaux avaient annoncé l’avènement du « printemps turc » ou « 68 turc ». Non, ces manifestations massives en faveur de la sauvegarde du parc Gezi sur la place Taksim n’ont pas été organisées par ces huit personnes. Cette action est le fruit de transformations profondes des logiques traditionnelles de luttes sociales et de la naissance d’un nouveau cycle de contestations qui se renforce en Turquie depuis plus de vingt ans.
La spécificité du régime répressif turc découle de la définition constitutionnelle de la citoyenneté républicaine : le monisme y prévaut dans tous les domaines. Quiconque s'écarte des normes établies par le pouvoir politique est immédiatement perçu comme dangereux, destructeur, voire ennemi. Et c’est précisément la résistance à ce monisme qui depuis longtemps fertilise les alliances entre les différents mouvements féministe, LGBT, antimilitariste, écologiste, libertaire, de gauche, kurde, arménien, malgré les conflits qui peuvent exister entre eux. Ces alliances ont transformé ces mouvements et surtout les cadres théoriques sur lesquels ils s’appuyaient. Elles ont aussi innové dans les modalités de mobilisation. La participation de la nouvelle génération s’est concrétisée dans l’apprentissage des luttes communes et dans les innovations successives de l’espace des luttes sociales où les concepts et les répertoires, les idées, les expériences se déplacent. C’est ainsi qu’est né le nouveau cycle de contestations, à partir des années 2000, qui a produit un changement majeur dans les formes, les répertoires et les cadres de l’action collective. L'anti-autoritarisme est au cœur de ce cycle de contestations sociales qui ne vise pas directement la prise du pouvoir et qui déconstruit le vocabulaire politique de l'espace militant. Il naît comme une pluralité de relations, dans un espace intermédiaire et fluide où il est possible de continuer la résistance malgré la répression.
Tout ceci fait peur au régime islamo-conservateur qui sait très bien que ces huit personnes, comme moi ou comme d’autres contestataires, ne sont que des petits points dans ce grand tableau. En 2013, quand la manifestation du parc Gezi avait pris une ampleur inattendue et débouché sur une large contestation contre le pouvoir, elle n’a pas seulement été réprimée par une violence meurtrière faisant huit morts et des centaines de blessés, mais elle a aussi déclenché un long acharnement judiciaire dont sont victimes des milliers de personnes.
Et maintenant cette condamnation ! Ces huit intellectuel.les, militant.es pacifistes et artistes n’ont pas organisé cette manifestation mais ont été choisis pour l’exemple. Les avocats de la défense affirment que l’acte d’accusation ne contient aucune preuve concrète et est uniquement basé sur des présomptions émises par le procureur. Mes ami.es, les ami.es de Hrant Dink, les ami.es de la paix, de la culture, de la nature, de la vie sont emprisonnés pour de longues années. Ils et elles sont des otages du gouvernement turc.
Comment sauver ces otages ? Les critiques et protestations des institutions internationales restent vaines car il ne s’agit pas d’un Etat de droit. Même les décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme ne sont pas prises en compte. Pourquoi alors ces institutions restent-elles passives ? A cause des enjeux géopolitiques actuels ? C’est comme cela que nous pouvons expliquer le silence des grands puissances occidentales face à l’opération militaire de l’armée turque en cours contre les kurdes syriens qui luttent contre Daesh au nom de toute la civilisation.
Ces complicités internationales peuvent contribuer à tuer la civilisation.
Ne le permettons pas ! Sinon nous allons nous noyer dans la même catastrophe.
Pinar Selek