Le 2 juin 2020, Contardo Calligaris avait longuement conversé avec le journaliste Fernando Rodrigues, moment qui avait été diffusé le 5 juillet de la même année.
De cet entretien, nous avons extrait et traduit ce qui nous avait alors semblé le plus significatif de l'analyse du psychanalyste, spécifiquement sur le Brésil contemporain.
(à partir de 2')
« La réalité brésilienne fait que, la vie sociale, surtout dans les grandes villes du Brésil, soit un peu paranoïaque, et cela depuis toujours. Dans la ville de São Paulo, si je vais au centre-ville, généralement je ne décroche ni ne sors mon téléphone portable. Car j'attends d'être dans un lieu fermé et protégé pour répondre au téléphone. Je veux éviter un braquage. Si quelqu'un s'approche de moi ou de quelqu'un d'autre sur l'avenida Paulista, pour demander l'heure par exemple, ceci m'inspire la plus grande méfiance. La première chose à laquelle je pense, est qu'il s'agit d'une personne qui veut me braquer. La réalité du Brésil est celle-ci. (...) En dernière instance, je crois que le caractère affectif du Brésilien est en grande partie hypocrite. Le caractère " affectif " est un peu le sens de l'idée que les Brésiliens, qui est en réalité l'idée de Sérgio Buarque de Holanda, seraient des sujets cordiaux et on se souvient toujours de cette expression comme si cela signifiait que les Brésiliens seraient gentils ... Non, les Brésiliens se laissent emporter par les choses du coeur, ce qui signifie, par exemple, qu'ils vont toujours privilégier les liens familiaux sur la compétence, au moment de choisir, par exemple, quelqu'un pour travailler pour eux. Ou bien ils vont choisir des personnes qui ont des relations clientélistes de dépendances contre ceux qui ont des compétences. Donc, je ne sens pas, en ces temps de pandémie, une grande perte de cordialité. Je pense même que, en ces temps, d'une certaine manière, cela pourrait être une bonne chose. »
(à partir de 13')
La sensation de bien commun aurait-elle augmenté, un peu, au Brésil ?
« Mon Dieu, j'adorerais cela. Comme on dit ici, que Dieu t'entende, Fernando. Car si réellement, s'il y a une chose qui me manque comme Européen, et Américain, car je suis également Américain du nord vivant au Brésil, c'est la sensation constante que l'idée de bien commun est dérisoire. Cette sensation est réellement faible, Fernando. Cela se passe dans des petits événements, l'automobiliste qui stationne sur les parkings réservés aux personnes âgées, sans problème, car cela est plus près de l'ascenseur. Il ne lui viendra jamais à l'esprit qu'il pourrait contribuer au bien commun. L'idée que la propriété qui n'est pas ma propriété privée, je peux la maltraiter autant que je le souhaite, car je ne me reconnais pas en cela. Egalement l'usage partiel du masque [contre le covid] qui vient de personnes communes dans la rue, c'est tristement drôle, car lorsque vous leur demandez pourquoi ils ne le portent pas, ils vous répondent qu'ils « n'ont pas peur de cela [le virus]. » Sans penser que le port du masque est d'abord pour protéger les autres ! »
(à partir de 32')
« Je n'ai aucune sympathie pour l'idée de bonheur (" felicidade "). Le bonheur ne m'intéresse pas. Je ne veux pas être heureux (" feliz "). Je veux avoir une vie intéressante. Je peux préférer être joyeux (" alegre ") que triste, comme dit une samba fameuse. Mas la joie (" alegria ") est une chose. Le bonheur, lui, est fondamentalement une affaire un peu conne. « Je veux être heureux » (" Eu quero ser feliz ") ... Bon ... laissons cela ... »
(à partir de 42')
L'altruisme, au Brésil, est devenu plus accentué avec la pandémie ?
« De ce point de vue, le Brésilien est réellement cordial, dans le sens de notre échange précédent. L'altruisme fonctionne surtout quand il est relativement lié à quelqu'un que vous voyez, que vous avez vu, que vous avez identifié, que vous connaissez. Là, les Brésiliens sont capables de beaucoup de générosité. Il y a eu des personnes qui ont fait des actes extraordinaires. En pleine pandémie, distributions de déjeuners, de nourriture, même dans la cracolandia à Sao Paulo... D'un autre côté, il s'est produit dans quelques condominios des indignations d'habitants car quelqu'un, dans les immeubles en question, était tombé malade. Dans le mien, de condominio, en l'occurence. Nous sommes capables du meilleur et du pire. »
https://www.youtube.com/watch?v=1DpgCtFfdAQ
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Une part de la bibliographie de Contardo Calligaris est ici et là.
Les chroniques hebdomadaires de Contardo Calligaris dans la Folha de São Paulo sont réunies dans trois volumes. " Terra de Ninguém ", " Quinta Coluna ", aux éditions Publifolha, en 2004 et 2008. " Todos os Reis Estão Nus ", aux éditions Três Estrelas, a été publié en 2013.
Le spectateur peut aussi retrouver le singulier intellectuel ici, en 2017, dans une émission (" Roda Viva ") de la télévision du service public, TVE :
https://www.youtube.com/watch?v=mA7B1Q6voXI&t=2583s