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Billet de blog 7 septembre 2022

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Brésil : l'adieu à Emanoel Araújo, majestueux plasticien et passeur afro-brésilien

Ce sont des décennies de fulgurances d'artiste qu'il faut maintenant prendre comme patrimoine. Emanoel Araújo, 81 ans, est mort le 7/9 jour de l'indépendance du pays. Il n'a cessé de croiser ses chemins d'inspiration pour montrer la singularité des oeuvres des plasticiens afro-brésiliens. Directeur dix ans de la Pinacoteca, fondateur-directeur du Museu Afro Brasil, Emanoel aimait cotoyer le beau.

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Illustration 1
Emanoel Araújo. © DR


 
Quelques jours après le décès de l'artiste bahianais de renommée internationale Mestre Didi, le 6/10/2013 à l'âge de 96 ans, Emanoel Araujo avait choisi de rendre hommage à son ami de plus de sept décennies. Nous avons choisi de traduire ce texte, en septembre 2022, pour éclairer ce qu'a été un pan de la vie du grand découvreur, défricheur, collectionneur, intellectuel et artiste Emanoel Araújo.

" Un Adieu à l’Alapíní ",
par Emanoel Araújo
(13/10/2013)

Il y a peu de jours j’ai visité mon cher ami et frère Deoscóredes Maximiliano dos Santos, qui était couché, à moitié endormi. J’ai embrassé sa délicate et longue main. Il m’a sussuré quelques mots, surpris par mon apparition non annoncée. Durant quelques moments j’étais avec Juana dos Santos, son inséparable compagne de tant et tant d’années, sa fidèle et amoureuse épouse comme le furent celles du roi Xangô. Elle organisait, comme fruit de cet amour, le grand hommage qui lui serait rendu le 2 décembre pour ses 96 ans, le siré des 96 ans de Mestre Didi, et me montrait la liste qui seraient invités à la fête. Je lui ai dit qu’en novembre prochain, le Museu Afro Brasil (1), à São Paulo, lui rendrait un hommage pour célébrer les 25 ans de la parution du livre « A mão afro-brasileira » (« La main afro-brésilienne »). Quelle ne fut pas ma surprise à l’annonce de sa mort.

Mestre Didi fut toujours un homme tourné vers la culture et la vie afro-brésilienne, depuis les nombreux livres qu’il publia sur le culte des ancêtres, dans lequel il avait l’honorable titre de Alapíní. Il fut un artiste sculpteur aux belles œuvres, dont la thématique évoquait cet extraordinaire univers des choses de l’Afrique mythique, où les dieux sont sur la terre, et pour cela ses sculptures étaient totémiques, sortaient du sol pour atteindre l’infini. Il savait défier l’espace comme la ligne qui se dépliait en volutes chapeautées par des oiseaux, en une allusion à Oxalá, où se dépliait en des formes triangulaires comme les oxés de Xangô ou bien les palmes doublées de fortes douleurs de tissus protégeant la nature. Les fils des palmes se transformaient en xaxarás, ibiris, paxorôs avec des petites poupées  coloriées, ornées avec des bandes de cuir de nombreuses couleurs.

Tel était l’artiste dans son petit atelier, donnant forme et vie à la mythologie, aux légendes des orixás. aux complexités de cette culture millénaire: de la souffrance, de l’âme, de l’esprit, de la douleur et des racines enclavées dans la mémoire du temps et de l’espace, devant l’incompréhension des ignorants. Il fut un sage et un homme tourné vers le sacré, peut-être enseigné par sa marraine Dona Aninha [Mãe Aninha], par sa mère Dona Senhora [Mãe Senhora], peut-être même dans l’atmosphère verte et sauvage du  Ilê Axé Opô Afonjá*, avec toutes les ebames dans un chœur à l’unisson pour Xangô, le justicier. Mais il y eut un autre Mestre Didi, ami de Lídio, de Camafeu, de Waldeloir Rego, de Carybé, de Jorge Amado, de Vivaldo da Costa Lima, de Tibúrcio Barreiros [PDF], de Dorival Caymmi, et de nombreux amis de par le monde, de par l’Afrique.

Deoscóredes Maximiliano dos Santos, sacerdote du culte des Egunguns, Alapini do Ilê Asipa**, mestre sacré du culte des ‘ancêtres’, artiste sculpteur dont l’œuvre enchanta Brésiliens et étrangers dans l’exposition « Magiciens de la Terre », à Paris, dans la salle spéciale lors de la Bienal internacional de São Paulo, dans la grande exposition au Museu Afro Brasil, et au Museu Nacional da Cultura Afro-Brasileira, à Salvador. Commandeur de l’Ordre du Mérite de la culture nationale, nombreuses furent les étapes de son œuvre artistique et sacerdotal. Il flottait en ce monde de Olodumare et, comme le dieu Oxalá, transforma la terre argileuse et la paille avec des poupées coloriées en des êtres vivants qui parlent de l’éternelle et millénaire culture d’un peuple, et également de la culture vivante, qui pulse dans l’esprit du nouveau monde. Adieu, Alapíní, va à la rencontre de tes autres femmes, qui t’ont aimé comme un fils prodige: Dona Aninha et ta mère, Dona Senhora, véritables reines de l’Ilê Axé Opô Afonjá.
 
Kaô Kabecilê*.

Emanoel Araújo

 
 (*) Kaô Cabecile signifie, en langue yoruba, une salutation à la divinité ("orixá") Xangô, le même qui "vient saluer le roi/père". 
  

  
Emanoel Araújo était né le 15 novembre 1940 à Santo Amaro da Purificação (Bahia). Descendant de trois générations d'orfèvres, il a été apprenti chez un ébéniste et un bûcheron, et alors qu'il n'avait que 13 ans, il a commencé à travailler dans la presse officielle de sa ville, en linotype et en composition graphique. Cette expérience du "faire" a été fondamentale dans sa formation, tant dans le domaine technique que dans celui de l'expression. Après avoir terminé ses études secondaires, il s'est installé à Salvador, avec l'intention d'étudier l'architecture. Dans la capitale, il commence à assister à des expositions, à visiter des musées et des ateliers, ce qui l'amène à entrer à l'école des beaux-arts de l'université fédérale de Bahia. En 1965, il s'installe à São Paulo.

 
Au fil des ans, il a ajouté à son curriculum des dizaines d'expositions individuelles et collectives, non seulement dans différents États brésiliens, mais aussi dans diverses parties du monde - Mexique, Cuba, Chili, Nigeria, Israël, Japon, États-Unis et certains pays européens.

Emanoel a reçu un nombre considérable de prix au cours de sa carrière, dont la médaille d'or de la IIIe Biennale de graphisme de Florence, en Italie (1972), deux prix (gravure et sculpture) pour des langues différentes, étant considéré en 1974 comme le meilleur graveur de l'année, et en 1983 comme le meilleur sculpteur de l'année, tous deux décernés par l'Association des critiques d'art de São Paulo. En 2007, il a reçu le prix Ciccillo Matarazzo - ABCA (Association brésilienne des critiques d'art) pour sa contribution à l'art et à la culture brésilienne.
Nombre de ses œuvres font partie de collections privées, de bâtiments publics et de musées tels que Arte Moderna/RJ ; Rockfeller Foundation/NY, USA ; Austin/Texas, USA ; Arte Moderna de Firenze/Italie ; County Museum/Los Angeles, Californie, USA ; Arte Contemporânea/SP ; Sidney/Australie ; Kansai/Japon ; Arte São Paulo-MASP/SP ; Arte de Brasília/DF ; Palácio do Itamaraty/Brasília, DF ; Nacional de Belas Artes/RJ ; Brennand/PE ; Museu de Pernambuco.

Emanoel Araujo a dirigé le Museu de Arte da Bahia (1981/1983), la Pinacoteca do Estado de São Paulo (1992/2002), et y avait exposé les oeuvres, entre mille autres, Rodin, Rafael Bordalo Pinheiro, Camile Claudel, Maillol, Bourdelle, Basquiat, Picasso, Barceló. Emanoel a ensuite, sous le gouvernement de la maire Marta Supplicy (PT), fondé le Museu Afro Brasil en 2004.

Emanoel a été également commissaire d'expositions comme “O Universo Mágico do Barroco” (1998, galeria da FIESP, São Paulo), “Negro de Corpo e Alma”, “Carta de Caminha”, “Arte Popular”, “Negras Memórias, Memórias de Negros” (Museu Histórico Nacional/RJ e galeria da FIESP), “O Imaginário de José de Guimarães” (galeria do SESI), et de la collection privée du journaliste Odorico Tavares, “Minha Casa Baiana” (Museu Oscar Niemeyer/Curitiba, puis venue ensuite à Salvador de Bahia).

Emanoel avait organisé sa toute première exposition individuelle à l'âge de 20 ans, toujours à Bahia. Puis, en 1965, il exposait déjà ses oeuvres à la Galeria Bonino de Rio de Janeiro et à la Galeria Astreia de São Paulo. Longtemps après, en 2011, Emanoel Araujo a exposé 17 reliefs, tous blancs, à Salvador de Bahia, dès le 28 octobre 2011 et pendant un mois, après vingt-cinq ans d'absence à Bahia : "Géométrie de la peur", dans la Paulo Darzé Galeria de Arte.
Jusqu'au bout, Emanoel, qui bénéficiait d'une autonomie certaine, est resté critique, et souvent acerbe envers les autorités, sur la situation désespérante de l'enseignement de l'art et de la cuture au Brésil, et a toujours dénoncé les préjugés dont les noirs étaient victimes, double barrière pour ces derniers afin de parvenir aux postes-clés dans le secteur de la culture.
 

https://www.youtube.com/watch?v=m5EuVYiz5U8
 

En déc. 2017, l'invité de "Roda Viva" sur la publique TVE, était Emanoel Araújo En décembre 2017, l'invité unique de "Roda Viva" sur la télévision publique TVE, était E. Araújo: "la formation à la profession de commissaire d'exposition, incluant des noirs, au Brésil, est inexistante". © Roda Viva / TVE

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(1) Musée vaste (12.000 m2) qu'Emanoel Araújo a fondé. Il est situé dans le Parque Ibirapuera à São Paulo, lieu magique. On ne peut aucunement prétendre connaître le Brésil sans l’avoir longuement arpenté.

 
* Emblématique terreiro de candomblé, à Salvador.

** Terreiro de candomblé où il « régnait ».

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