BRAISES DU CHAOS (avatar)

BRAISES DU CHAOS

BALIKPAPAN@PROTONMAIL.COM■WhatsApp (55) 71 88826417■Secrétaire de rédaction (free lance), c'est-à-dire journaliste: et je tweete, aussi, sur X (ex-Twitter), des faits.

Abonné·e de Mediapart

1537 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 juin 2023

BRAISES DU CHAOS (avatar)

BRAISES DU CHAOS

BALIKPAPAN@PROTONMAIL.COM■WhatsApp (55) 71 88826417■Secrétaire de rédaction (free lance), c'est-à-dire journaliste: et je tweete, aussi, sur X (ex-Twitter), des faits.

Abonné·e de Mediapart

Daniel Ellsberg (1931-2023)

Peu de gens peuvent dire que leurs actions ont contribué à mettre fin à une guerre, à renforcer la liberté de la presse et à faire tomber une présidence de la République. Daniel Ellsberg, qui est décédé à l'âge de 92 ans, le 16 juin 2023, a fait tout cela. Traduction à suivre.

BRAISES DU CHAOS (avatar)

BRAISES DU CHAOS

BALIKPAPAN@PROTONMAIL.COM■WhatsApp (55) 71 88826417■Secrétaire de rédaction (free lance), c'est-à-dire journaliste: et je tweete, aussi, sur X (ex-Twitter), des faits.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  par Maciek Wiśniewski
 

(traduit de l'espagnol, publié dans La Jornada (Mexique) le 24/6/2023


Lorsqu'il a annoncé en mars dernier qu'il était atteint d'un cancer en phase terminale et qu'il ne lui restait que quelques mois à vivre, il semblait calme et accompli. Peu de gens peuvent dire que leurs actions ont contribué à mettre fin à une guerre, à renforcer la liberté de la presse et à faire tomber une présidence. Daniel Ellsberg, décédé la semaine dernière à l'âge de 92 ans, a fait exactement cela, même si rien ne s'est passé sans péripéties. Analyste militaire devenu lanceur d'alerte (whistleblower), il a divulgué en 1971 les "Pentagon Papers", qui montrent que l'on a menti au public américain pendant des décennies à propos de la guerre du Viêt Nam. Les présidents et les hauts fonctionnaires savaient qu'ils ne pouvaient pas gagner, mais - comme le secrétaire à la défense Robert McNamara qui a commandé cette étude - ils étaient préoccupés par l'image de l'Amérique et pariaient sur l'escalade militaire. Voyant cela à Washington et dans la réalité du Viêt Nam, où il conseillait des programmes de pacification, Ellsberg a commencé à sortir l'étude top secrète de plus de 7.000 pages et à la photocopier la nuit sur une Xerox louée. Lorsque Washington a de nouveau prolongé la guerre en bombardant le Laos et le Cambodge, il a décidé de les rendre publiques.

Si ses révélations ont contribué à mettre fin à la guerre en 1973, leur impact a été moindre que ce qu'il avait espéré. Le pari selon lequel la vérité libérerait les Américains - comme il l'a dit sur les marches de la salle d'audience où il risquait, en vertu de la loi sur l'espionnage, une peine de 115 ans de prison - ne s'est pas concrétisé. De nombreux citoyens accablés par des vérités gênantes ont préféré s'accrocher à des gouvernements menteurs (un syndrome qui a donné naissance au concept de post-vérité). Pendant son séjour à Harvard, il a décrit le paradoxe dit d'Ellsberg, qui est aujourd'hui un élément important de la théorie des jeux (comment la préférence pour des probabilités bien définies par rapport à l'incertitude influence la prise de décision) et que la réaction du public, comme il l'a lui-même reconnu, était son corollaire pratique : plus on a accès à des secrets, moins on est en mesure d'agir en conséquence. Pour autant, et cela vaut aujourd'hui pour la crise climatique ou nucléaire, il n'a jamais perdu la conviction que dire la vérité et exposer les réalités peut contribuer à un changement radical.
 

L'idée initiale était de remettre les Papers aux membres du Congrès, mais ils étaient tous effrayés à l'idée de les accepter. Son deuxième choix s'est porté sur la presse. La publication du New York Times, dénoncée par l'administration Nixon comme un acte d'espionnage mettant en danger la sécurité nationale, a suscité une confrontation sur le premier amendement*. Mais lorsque l'action en justice du gouvernement a bloqué la publication par un journal, Ellsberg a donné les Papers à d'autres. En fin de compte, 17 journaux ont participé à la fuite et, après une bataille juridique ardue, la Cour suprême a statué en faveur de la liberté de la presse (une décision qui, des années plus tard, a permis à The Guardian de publier les fuites de Snowden). Ellsberg lui-même est resté perplexe face à la façon dont les journaux se félicitaient d'avoir eu le courage de publier les "Papers", sans jamais remettre en question le cœur des politiques impériales américaines (ce qu'il a également souligné des années plus tard, lorsqu'ils ont contribué à répandre les mensonges à l'origine de l'invasion de l'Irak).
 

Contrairement à ce que l'on pense souvent, The Plumbers [The White House Plumbers], l'unité secrète créée par la Maison Blanche pour le sale boulot de renseignement, n'a pas été formée pour la perquisition ["allanamiento"] sur le complexe du Watergate (qui s'est produit plus tard), mais pour discréditer Ellsberg dans la presse et au procès en volant des documents à son psychanalyste. Alors que les "Papers" évoquaient les mensonges des administrations précédentes, Nixon et Kissinger étaient en pleine campagne de bombardements illégaux du Laos et du Cambodge - à l'insu du Congrès - et entamaient leurs négociations avec la Chine, autant d'éléments que les fuites mettaient en péril. Kissinger, qui avait travaillé avec Ellsberg dans le passé, s'en prend à lui, le qualifiant d'homme le plus dangereux d'Amérique. Pour susciter le ressentiment de Nixon, il l'a dépeint comme un homme intelligent, subversif, aux mœurs légères, pervers et privilégié, et tous deux sont entrés dans un état de frénésie anti-Elsberg qui a abouti à leur propre chute. Bien qu'il n'y ait pas de preuve directe que Nixon ait commandité le Watergate, il existe de nombreuses preuves de sa mauvaise conduite à l'égard d'Ellsberg, de sorte que son procès a finalement été annulé et qu'une partie de l'impeachment de Nixon s'est fondée sur ces preuves.
 

Illustration 1
24/6/2023 © La Jornada


 
Ellsberg a peut-être ainsi contribué à la chute de Nixon, mais les pratiques qu'il a exposées ou détonées ont perduré. Kissinger, grâce à de bonnes relations publiques, a été épargné par la débâcle et ses idées ont fini par revigorer l'impérialisme et l'interventionnisme américains. De plus, les journaux qui ont jadis embrassé Ellsberg - et qui pleurent aujourd'hui sa mort - l'ont rituellement célébré comme un bon héros juxtaposé à des méchants irresponsables comme Edward Snowden, Chelsea Manning ou Reality Winner, sans vouloir remarquer qu'il a lui-même, jusqu'à ses derniers jours, encouragé et soutenu les nouveaux lanceurs d'alerte.
 
Il a également toujours soutenu Julian Assange, qui n'a fait que fournir une plateforme pour les fuites, mais qui a fini par être inculpé en vertu de la même loi sur l'espionnage qu'Ellsberg. Alors qu'en tant qu'éditeur, il devrait être protégé par le premier amendement, comme The New York Times et d'autres à l'époque, la presse mainstream l'a dès le départ jeté en pâture aux loups. Cela vaut la peine de penser à lui alors que nous faisons nos adieux à Ellsberg.
  

https://www.jornada.com.mx/2023/06/24/opinion/012a1pol

-----------------
(*) Le Premier amendement à la Constitution américaine (1791) prévoit : « Le Congrès ne fera aucune loi qui établirait une religion ou qui en interdirait le libre exercice ; ou qui restreindrait la liberté de parole ou de presse ». 
 
-  Depuis 1967, le Freedom of Information Act (FOIA), loi fédérale sur l’accès à l’information, a établi des politiques permettant aux citoyens américains d'accéder à des informations non divulguées auparavant et conservées par les agences du gouvernement fédéral. La loi définit les documents des agences soumis à une divulgation totale ou partielle, décrit les procédures de divulgation obligatoire et accorde neuf exemptions à la loi. Elle a été promulguée par le président Lyndon Johnson le 4 juillet 1966 et est entrée en vigueur l'année suivante.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.