
Agrandissement : Illustration 1

En 1997, JPK, tel qu'il s'était surnommé, père de deux enfants, avait trente-sept ans et était chargé de la communication de Boris Léontieff, du parti Fetia Api (" l'étoile nouvelle ") et maire de la ville de Arue, en périphérie de Papeete, après avoir été journaliste et rédacteur en chef au quotidien Les Nouvelles de Tahiti. Jean-Pascal Couraud habitait sur l'île depuis l'âge de 5 ans. Avec un intermède à Aix-en-Provence (France) pour se former à Sciences Po. Comme Léontieff, JPK était un opposant notoire du cinq fois président (septembre 1984/février 1987, avril 1991/juin 2004, octobre 2004/mars 2005, février/avril 2008, mai 2013/septembre 2014) de la Polynésie française, le très droitier Gaston Flosse, né en mai 1931, et ami intime de Jacques Chirac (1932/2019).
Le corps de JPK n'est jamais réapparu.
Après des années de dénonciations, de rebondissements et de multiples retournements judiciaires, Tutu Manate et Tino Mara, deux anciens " gros bras " de Gaston Flosse, appartenant au GIP, le groupement d'intervention de la Polynésie française, dissous depuis 2006 - dont les 1.300 membres étaient surnommés par Gaston Flosse " ses légionnaires " - et qui les employait alors, après avoir été mis en examen par le juge d’instruction Jean-François Redonnet, en juin et juillet 2013, pour " enlèvement et séquestration en bande organisée ",
les deux " gros bras " l'avaient été nouvellement dans la nuit du 28 au 29 juin 2019 par le juge d'instruction Frédéric Vue, pour enlèvement, séquestration et meurtre. Après plus de six heures d'interrogatoire, tour à tour, par le juge puis par le juge des libertés et de la détention.
Des écoutes téléphoniques, au deuxième semestre 2013, dans le cadre de l'instruction, aux domiciles de Manate et Léonard Puputauki avaient en effet permis de mettre en évidence plusieurs éléments de conversation qui évoquaient explicitement l'homicide, et suggéraient que Tino Mara et Tutu Manate auraient été payés " 12 millions " de Francs Pacifique (Fcfp) (101.000 euros) en contrepartie. Ces écoutes ont prouvé que les deux anciens du GIP et leur chef, à l'époque, Léonard Puputauki, dit " Rere ", ont tenté de s'entendre pour mentir au juge d'instruction.
Malheureusement, l'annulation de ces écoutes de Manate et Puputauki avait été confirmée en cassation, par une décision du 6 janvier 2015, qui rejettait " les pourvois formés contre l’arrêt* de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Papeete qui avait reconnu, le 8 juillet 2014, l’insuffisance de motivation de la commission rogatoire à l’origine des captations sonores ".
Ces écoutes téléphoniques ne peuvent donc, depuis lors, figurer dans le dossier d'instruction.
En août 2020, le juge Vue a eu une nouvelle affectation, en ... Corse.
Plus de 16 ans après sa condamnation en première instance par le tribunal correctionnel de Papeete pour dénonciation mensongère et calomnieuse dans le cadre de la disparition de JPK, l’ex-membre du GIP, Vetea Guilloux, qui avait, en octobre 2004, affirmé avoir été témoin de l'enlèvement de JPK, fin 1997, est convoqué le 5 février 2021 devant la cour d'appel de Paris pour " dénonciation mensongère et calomnieuse ".
Le site Tahiti Infos, le 7 décembre 2020, a précisé ces faits d'alors et les a contextualisé :
- " Un soir de beuverie, peu de temps après [la disparition], dans le hangar de la flotille administrative à Motu Uta, deux de ses collègues, Tino Mara et Tutu Manate, lui auraient même avoué, selon ses déclarations avoir "liquidé" le journaliste au large de Tahiti, après avoir tenté de l’intimider au point de le noyer. Toujours selon ses dires, le corps aurait ensuite été abandonné lesté de quatre parpaings, sur ordre téléphonique de Rere Puputauki, le patron des GIP.
Poursuivi par ceux qu’il mettait en cause, Vetea Guilloux avait été condamné pour dénonciations calomnieuse et mensongère le 14 octobre 2004 par le tribunal correctionnel de Papeete à un an de prison, dont six mois de sursis, assortis d'un mandat de dépôt. Il avait fait appel et la cour d'appel de Papeete, se basant sur ses déclarations et les éléments du dossier, avait ordonné le 18 novembre 2004 un supplétif d’informations. La cour avait finalement confirmé le jugement de première instance, mais sa décision avait été cassée en 2006 par la Cour de cassation. Revenu devant la cour d'appel de Paris, le dossier avait bénéficié d'un sursis à statuer et sera donc de nouveau donc présenté le 5 février 2021, toujours devant la juridiction parisienne.
Notons que c’est dans le cadre de l'information judiciaire ouverte suite aux déclarations de Vetea Guilloux que le juge d’instruction en charge de l’affaire avait procédé, en juin et juillet 2013, à la mise en examen pour " enlèvement et séquestration en bande organisée " des deux anciens agents du GIP, Tino Mara et Tutu Manate, et de leur chef de service de l'époque, Léonard, dit "Rere Puputauki", qui sont donc encore aujourd’hui mis en examen dans le cadre de l'information ouverte pour éclairer ce volet " politique " de l'enquête sur la disparition du journaliste d'investigation.
Pour l'avocat de Tino Mara et de Tutu Manate [et aussi de Gaston Flosse], Me François Quinquis, cette prochaine convocation de Vetea Guilloux fait écho aux récentes nouvelles mises en examen de ce dossier : " Compte-tenu de l'évolution de cette information pénale que vous connaissez et de la mise hors de cause programmable et programmée de mes clients, la cour d'appel de Paris a décidé de réaudiencer l'affaire."
Hors de tous ces revirements et continuités judiciaires, il est nécessaire de rappeler qu'il existait bien, à Tahiti, comme l'avait relevé le réquisitoire du parquet, un service de renseignements officiels, le service des études et de la documentation (SED*), dirigé par André Yhuel, implanté dans un bureau de la présidence. Une sorte de police politique qui ne référait qu'à un seul homme, Gaston Flosse.
André Yhuel, qui avait quitté la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) à la mi-1997, recevait, avait noté le même parquet, "directement ses directives de Jean Prunet, directeur de cabinet de Gaston Flosse". Ce même Jean Prunet avait été condamné en 1999 pour avoir recelé les documents et disques durs volés dans le cabinet de l'avocat de JPK, Me Jean-Dominique des Arcis. " Cette cellule avait pour mission de suivre dans leur vie publique et privée les opposants politiques, les amis et familiers du président Gaston Flosse en procédant à des filatures, des photographies, des enregistrements filmés", avait précisé le parquet.
" On espionnait tout le monde, les copines de Gaston Flosse, les Miss Tahiti, les magistrats, les hommes politiques. Les journalistes. Et donc JPK. On avait un super matériel, de provenance américaine, on filmait les gens, des micros étaient placés dans leurs maisons ou dans les chambres d'hôtel." déclarait en 2008 au journaliste Gérard Davet l'ex-milicien Vetea Guilloux.
Le 26 novembre 2012, Vetea Guilloux, dans le cabinet du juge Jean-François Redonnet, avait réitéré ses accusations initiales. Pour les appuyer, il avait alors relaté une soirée arrosée, au siège du GIP, fin décembre 1997 et les " confessions " des acteurs de l'assassinat, l'ivresse de certains venant. Outre lui-même, étaient présents quatre hommes du GIP : Tutu Manate, Tino Mara, Vetea Cadousteau et Firmin Hauata.
Firmin Hauata, "dans la force de l'âge" avait été retrouvé mort en 2002, officiellement d'une crise cardiaque, sur un chantier, "lors de la reconstruction par le GIP d'une école détruite par le cyclone Wace" sur l'île principale de Vava'u, qui fait partie des îles Tonga.
Vetea Cadousteau avait été, lui, retrouvé mort le 24 janvier 2004, après une chute au fond de la vallée de Faaone, sur l'île de Tahiti, dans des conditions qualifiées de " très troublantes ". Soit sept mois avant les premières déclarations de Vetea Guilloux. Selon Tahiti-Pacifique Magazine (no 213, janvier 2009, p. 15), Cadousteau a été retrouvé "ne portant à ses pieds que des chaussettes". Le médecin légiste avait, quant à lui, relevé un " hématome occipital " qui semblait compatible avec des coups reçus à la tête.
Bien plus tard, le 25 septembre 2008, la police avait trouvé, lors d'une perquisition au domicile de Gaston Flosse, une confession non signée, de plusieurs pages, mais attribuée à Vetea Cadousteau, dans laquelle Cadousteau affirmait avoir tué JPK à la demande de " l'un des deux ex-agents de la DGSE qui dirigeaient un service de renseignement mis en place par Flosse ". L'un des deux se nommait Félicien Micheloni (" Je pense que ce qu'il faut détruire, ce sont surtout les journaleux qui diffusent de telles âneries "), et avait été membre de la DGSE, avec le grade d'adjudant, jusqu'en 1997, avant d'arriver à Papeete, en mai de la même année. Selon les avocats de Flosse, Me James Lau et Me Max Gatti, cette lettre était " non datée ".
Fin 2020, le militaire de carrière, ancien du service Action et "barbouze" Félicien Micheloni, apparemment retraité, vivrait en Corse.
(*) Ci-dessous, le PDF de l'arrêt de la Chambre d'instruction de Papeete daté du 8 juillet 2014 :
----------------
Le site internet monté par la famille Couraud :
http://www.soutienjpk.org/
le dernier article de juillet 2019, relayé sur ce même site :
http://www.soutienjpk.org/#A15
Bibliographie :
Séverine Tessier (présidente, en décembre 2020, de l'association anti corruption Anticor, dont elle a été co-fondatrice, en juin 2002), auteur de " Polynésie, les copains d'abord ; l'autre système Chirac ? " aux éditions Le Bord de l'eau en 2005.
Nicolas Beau et Olivier Toscer, journalistes, avec " l'Incroyable Histoire du compte japonais de Jacques Chirac " (éd. Les Arènes) en 2008.
Benoît Collombat, journaliste, avec " Un homme disparaît : l'affaire JPK " (éd. Nicolas Eybalin) publié en mars 2013.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme, journalistes, avec " L'homme qui voulut être roi " (Stock, 2013).
Une série d'articles, dans un dossier complet, sur France Inter:
https://www.franceinter.fr/dossier/l-affaire-jpk
L'article " JPK ", un fantôme bien encombrant " de Fabrice Lhomme, du 13 février 2010, sur Mediapart.
L'article (pour abonnés) " Disparition de " JPK " à Tahiti : la thèse de l’homicide renforcée " de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, journalistes au quotidien Le Monde, le 3 avril 2014.
L'article " Affaire JPK : On attend que la vérité se fasse " des journalistes Lucile Guichet-Tirao et Hubert Liao, de la chaîne de TV Polynésie la 1ère, mis à jour le 30 septembre 2019.
Filmographie :
" JPK, l'homme qui faisait trembler Tahiti ", enquête filmée de Olivier Toscer et Matthieu Firmin, par la société de production TAC Presse, pour l'émission "Spécial Investigation" de Canal+, en juin 2010 :
https://www.youtube.com/watch?v=xzAa24zbybo
Audio :
" Le système "Flosse". Scandale en Polynésie Française "
une émission de Fabrice Drouelle, dans sa collection "Affaires sensibles ", le 25 juillet 2017 (53 minutes).
Dans deux émissions, les 8 et 15 septembre 2007, de " Rendez-vous avec X " sur France Inter. Patrick Pesnot en a été producteur et présentateur, de 1997 à 2015. En 2020, l'émission existe toujours.