Hier encore, c’était l’idylle.
S’appuyant sur la république des actionnaires, Alain Minc* et consorts pensaient avoir atteint le stade ultime de la libre entreprise, libérée de tout risque de crise.
Il est rassurant d’écouter les experts car nous sommes tous portés par le désir d’échapper aux risques de la réalité. Nous ne pouvons plus supporter les aspects accidentels et incompréhensibles de notre monde. D’où le succès des experts qui nous tranquillisent en enchaînant des idées simples mais sans référence à la réalité. La chute boursière est venue nous rappeler le caractère irrationnel des « sciences » économiques et de notre monde.
Aujourd’hui, Alain Minc reste silencieux. D’autres de ses confrères experts tentent de nous faire admettre la validité du bouleversement actuel. Tous manifestent un singulier mélange d’ignorance et de suffisance. Inaptes à comprendre la conjoncture, ballottés comme de vulgaires pékins par le yoyo boursier, ils savent tout mais ne prévoient rien, se trompent souvent mais n’en paient jamais les conséquences.
Leurs aimables divagations n’auraient rien d’important si elles n’étaient assénées avec le sérieux et l’autorité d’un Panzer. Eux seuls savent ce qui est bon pour nous, même si au premier abord cela paraît désagréable. Pourtant, malgré leurs incantations, notre monde reste indigne. Or, si le néolibéralisme entre en conflit avec ses propres valeurs qui nous promettent le bien-être, il perdra la classe qui le soutient.
Alors peut-être pourrons-nous retourner vers une nouvelle réflexion politique car il est essentiel de comprendre que l’humanité n’est pas un palais déjà bâti mais une construction en devenir. Les plans des étages supérieurs ne sont pas encore dessinés et le choix du pire est encore possible.
En prévalant le travail et en favorisant l’individualisme, le néolibéralisme a progressivement fait disparaître la sphère politique. La vision néolibérale du monde est allée de pair avec une accélération de la production et la transformation des objets en biens de consommation qui se caractérisent comme manque perpétuel et désir toujours inassouvi. Beaucoup d’homme ont depuis longtemps satisfait à leurs besoins « nécessaires » mais la compulsion à la production et à la consommation est devenue un autre forme moderne de la nécessité.
C’est le « travailler plus pour gagner plus »… et consommer plus.
La société du travail aurait pu devenir une vaste fourmilière économique caractérisée par l’obsession de la croissance économique infinie et l’absence d’alternatives politiques. Ce que nous avions devant nous, c’était la perspective de toujours plus de travailleurs sans travail (chômage, délocalisation, etc.), c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur restait. On ne pouvait imaginer rien de pire…
En d’autres termes, la réduction de toute activité humaine au seul travail économique a rendu l’homme aveugle aux autres manières qu’il pourrait avoir d’habiter le monde. C’était la mort programmée de l’utopie.
La crise nous conduira (peut-être) vers un retour du travail de la pensée politique…
*« Le marché-roi n'a rien à craindre, le monde lui appartient et chaque jour renforcera son emprise. »- Alain Minc - La mondialisation heureuse, Plon 1997 page 39