PleaseUnquote

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 janvier 2025

PleaseUnquote

Abonné·e de Mediapart

Conseils pour éviter de propager de fausses citations

Nous sommes plusieurs sur internet à identifier les fausses citations et à documenter leur succès. Lutter contre le faux sur internet ne doit cependant pas rester l’œuvre de quelques-uns, d'où la nécessité d'établir une liste de conseils et d'outils utiles à tous afin d'augmenter notre vigilance collective.

PleaseUnquote

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne me fais aucune illusion sur la portée de mes recherches. Les fausses citations resteront un fléau et c'est donc un fléau avec lequel ils nous faut apprendre à vivre. Vivre au milieu du faux, quand on est désespérément attaché au vrai et à l'exactitude, consiste d'abord à ne pas partager les contenus faux. C'est le minimum qu'on puisse faire et c'est déjà pas mal. Plus serait d'informer de la fausseté de ce qu'on voit passer. Mais on sait très bien que les résultats d'une telle démarche active sont aléatoires. Que faire donc quand on est face à une citation qu'on a envie de partager mais dont on ne sait pas de première main si elle est vraie ? Comment savoir si une citation est juste et fiable ? Et comment s'en assurer ?
Les conseils qui vont suivre sont aussi les principes qui guident mes recherches et, en quelque sorte, les points de ma méthode. Je les livre d'abord de manière brute, je les développerai ensuite et les illustrerai pas des exemples tirés de mes recherches récentes.

Conseils pour éviter de propager de fausses citations

  • Ne pas faire confiance à ceux en qui on a confiance
  • Ne rien prendre qui vienne des sites de citations
  • Se méfier si la manière de présenter la citation ne permet pas de savoir où la retrouver
  • Se méfier si le style de la citation ne correspond pas au style de l'auteur
  • Se méfier si le contenu de la citation ne correspond pas aux idées de l'auteur
  • Se méfier si rien ne permet de penser que la citation est tirée d'une lecture personnelle
  • Se méfier si l'usage de la citation est d'ordre narcissique, cosmétique ou polémique

Deux conseils de base

1) Ne pas faire confiance à ceux en qui on a confiance.

Ce premier conseil est très bizarre, mais il est primordial. Tous ceux que j'ai interrogés dans le cadre de mes recherches sur les fausses citations m'ont dit la même chose : ils tiennent les fausses citations qu'ils propagent d'un contact en qui ils avaient une confiance aveugle. Or, on le sait, personne n'est infaillible, personne n'est omniscient. Personne n'est à l'abri, pas même ceux qu'on respecte le plus, de partager un contenu mensonger sur internet. À plus forte raison sur les réseaux sociaux.
Le plus simple alors est de demander au contact d'où il tient la citation. On pourra juger ainsi du sérieux de la source et donc de la fiabilité de la citation.

2) Ne rien prendre qui vienne des sites de citations

Les sites de citations sont une catastrophe. Evene, Ouest-France, Figaro, etc. sont des catastrophes. Les pages citation de Babelio : une catastrophe. Pire, j'y ai signalé plusieurs fausses citations qui n'ont jamais été retirées. Voir qu'une citation est sur un de ces sites n'est en rien un gage de véracité et il vaut mieux, d'une manière générale, ne pas aller sur ces sites. Si on veut malgré tout les utiliser, une fois la citation trouvée, aller voir si des sites spécialisés sur l'auteur, si des articles de recherches la mentionne, si elle se trouve dans ses œuvres complètes. Toutes recherches qui peuvent être menées rapidement sur internet.

Qu'est-ce qu'une fausse citation ?

Mais avant d'aller plus loin me faut-il soulever une question de vocabulaire. Qu'est-ce que j'appelle une fausse citation ?
Une citation, dans son sens le plus large, c'est une phrase d'un auteur. Elle vaut quasiment comme aphorisme et se passe entièrement de contexte. Une fausse citation serait donc une phrase qu'on attribue à un auteur qui ne l'a pas écrite. Par ma formation, j'ai du mal avec ça. Une citation, pour moi, c'est un texte d'un auteur qui apparaît dans le texte d'un second, qui le commente ou l'exploite. La citation ne doit ainsi pas seulement être là au milieu du texte, mais être justifiée. Elle s'annonce par des guillemets, est accompagnée par une référence exacte et précise : auteur, titre, édition, numéro de page. Ceci afin de permettre à tout le monde d'aller lire la phrase dans son contexte initial et de juger de la pertinence du commentaire. Ainsi, exemple tiré de mes lectures du moment, Cinq apparitions du ciel étoilé, Jean-Marc Mouillie (Belles Lettres, p64) :

La tourmente de la Révolution Française émeut les spectateurs9. C'est même, selon Hannah Arendt, « l'intérêt non égoïste du spectateur qui caractérise la Révolution française comme grand événement. Ensuite vient l'idée de progrès, l'espérance du futur, par où l'on juge l'événement en fonction de ce qu'il promet pour les générations à venir »10.
9 Voir Le conflit des facultés, Oeuvres, op.cit. III, p894 sq.
10 Juger, Sur la philosophie politique d'Emmanuel Kant, trad. Myriam Revaut d'Allones, Paris, Seuil, 1991, p86.

Bien sûr, je n'attend pas qu'on atteigne tous ce niveau académique de rigueur, mais c'est un optimum. Hors de tout contexte et de tout commentaire, il faudrait parler, si la « citation » est courte, de maxime, de formule, quand la nature du texte s'y prête, sinon peut-être plus simplement de phrase, quand il est long parler plutôt d'extrait, ou de passage.
Ces phrases ou passages, à quelles conditions je les dis faux ?

Quand l'auteur est bon mais pas le livre.
Par exemple, cet article sur le site de l'AFIS affirme que l'aphorisme d'Albert Einstein, « pour être un membre irréprochable d'un troupeau de moutons, il faut avant toute autre chose être un mouton soi-même » se trouve dans le livre Comment je vois le monde. Ce qui a priori est impossible, le livre date de 34, la formule du 23 février 1953. Bien sûr, elle peut avoir été ajoutée dans une édition postérieure, mais encore aurait-il fallu préciser laquelle ! Sans une telle preuve, et bien qu'elle soit correctement attribuée à Einstein, je me dois de la considérer comme fausse.

Quand l'auteur n'est pas le bon.
C'est le cas le plus classique, que j'ai documenté plusieurs fois ici. On prête à un auteur des phrases qu'il n'a pas écrites. Qu'il ne les ait absolument pas écrites, comme c'est le cas pour Louis Pasteur, pour Voltaire (« Je ne suis pas d'accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ») ou qu'elles soient plus simplement une déformation du texte d'origine afin d'en faire une formule frappante. Ce cas se retrouve souvent et j'admettrai volontiers qu'on refuse de me suivre et de considérer ce genre de cas comme des cas de fausse citation. Ainsi, de la formule qu'on attribue à Augustin d'Hippone : « il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d'un pas ferme » est pour moi trompeuse. C'est une déformation du passage d'un sermon sur les évangiles de Paul (sermon 169, ici en latin) dont voici une traduction que je trouve plus juste :

Demandez-vous ce que c'est que marcher ? Je le dis en un mot : Marcher, c'est progresser; je le dis ainsi dans la crainte que ne le comprenant pas, vous marchiez moins vite. Avancez donc, mes frères; examinez-vous toujours sans vous tromper, sans vous flatter, sans vous caresser; car il n'y a personne, au dedans de toi, qui te doive porter à rougir ou à te vanter. Il y a bien quelqu'un; mais c'est quelqu'un à qui plaît l'humilité. Ah ! que celui-là te contrôle. Sache aussi te contrôler toi-même, et pour arriver à ce que tu n'es pas encore, aie constamment horreur de ce que tu es. Te plaire en quelque chose, ce serait t'arrêter. Si donc pour ton malheur il t'est arrivé de dire : c'est assez; va désormais toujours en avant, augmente et progresse toujours ; garde-toi de t'arrêter, de retourner ou de t'égarer. Ne pas avancer, c'est s'arrêter; retourner, c'est retomber dans les désordres auxquels on avait renoncé; s'égarer, c'est s'éloigner de la,voie; or il vaut mieux y rester en boitant, que de s'en éloigner en courant (Melius it claudus in via, quam cursor praeter viam : il y a l'idée là de courir ça et là au delà du chemin, de s'égarer, donc non pas de prendre une mauvaise voie, mais de batifoler loin de la voie). »

Quand l'attribution est invérifiable
Il y a des cas aussi de citations apocryphes : des citations prêtées à un auteur par la tradition mais dont on ne retrouve nulle trace dans l’œuvre écrite qui nous est accessible. Bien sûr, pour les auteurs anciens, on peut toujours prétendre que la phrase apocryphe se trouve dans un livre perdu, mais c'est une hypothèse vide parce qu'invérifiable. J'aurai l'occasion bientôt de présenter un tel cas. Pour les auteurs récents, le cas est souvent plus compliqué. Par exemple j'ai mené des recherches sur la formule qu'on attribue de plus en plus à Camus : « quand la démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais pas pour prendre de ses nouvelles ». L’œuvre de camus n'étant pas encore dans le domaine public, accéder à ses œuvres complètes en numérique et en bonne qualité est déjà en soi une aventure. Il ne suffit pas en effet d'avoir accès aux œuvres, mais de pouvoir y mener des recherches textuelles afin de ne pas bêtement tout lire. Cette formule, je n'ai donc pas pu m'assurer qu'elle n'était pas dans les œuvres, ni même trouver son origine : elle semble née sur internet. Or, incapable de réunir des preuves concluantes, je suis face à de telles « citations » réduit au silence. Ce qui m'arrive souvent.

Comment estimer la fiabilité d'une citation ?

Je n'ai malheureusement que peu de conseils à donner, mais je ne doute pas que d'autres pourraient venir s'y ajouter. J'invite à prendre en compte trois éléments : la citation, celui qui la poste, l'usage qu'il en fait. Si, après avoir rapidement considéré ces trois éléments, vous vous retrouvez avec trois raisons de douter du sérieux de la personne et de la fiabilité de la citation, le minimum c'est de s'abstenir de reposter. Le mieux c'est d'enquêter et d'informer. C'est rapide, quand on cherche juste à attribuer la « citation » à son juste auteur, c'est tout de suite plus long quand on cherche à en faire l'histoire.

La citation
D'abord prêter attention à la forme, la manière dont la citation est présentée, la quantité d'informations données, ensuite au style de la citation, afin de s'assurer que ça ressemble à ce que l'on connaît de l'auteur, enfin au contenu de la citation, afin de s'assurer que cela correspond à ce que l'on sait des idées de l'auteur. Ces deux derniers points exigent des connaissances, une certaine familiarité avec l'auteur prétendument cité, mais pas le premier point, qui peut donner des résultats même sans rien connaître de l'auteur (je ne connaissais que trop peu Augustin d'Hippone avant de regarder la citation déformée déjà évoquée, mais à regarder sa forme, j'ai estimé avoir des raisons de douter).

La forme
si la manière de présenter la citation ne permet pas de savoir où la retrouver, méfiance
La forme de citation qui engage la confiance est celle qui donne un maximum d'informations. Auteur, livre, édition, numéro de page. Cela, attention, ne garantie en rien l'exactitude de la citation. On a vu avec le faux extrait de Günther Anders qu'une référence exacte pouvait être fausse. Mais dans la plupart des cas, cela montre un certain sérieux et permet surtout de vérifier les choses rapidement.

La forme de citation qui doit inciter à la méfiance est la citation minimale, qui ne donne que le nom de l'auteur. C'est l'esthétique des citations en début d'ouvrage ou de chapitre, l'esthétique des papillotes Révillon et des sites de citations. Là encore, elles peuvent s'avérer justes, mais c'est cette forme qui génère le plus facilement des erreurs et permet le moins de les corriger.

Un exemple intéressant.
Je trouve dans une papillote une phrase de Spinoza : « si vous voulez que la vie vous sourie, apportez-lui d'abord votre bonne humeur. » Qui ne ressemble en rien à du Spinoza. Après une recherche rapide, je la vois apparaître en 1958 à la page 77 du livre Au coeur de la Magie, reprise ensuite par plusieurs recueils de citation au XXe siècle (dans les Massard, Bracquart, Maloux), ces livres ne sont jamais rigoureux, et je la trouve en 2013, aux Editions Eyrolles, dans un Citations de Spinoza expliquées, de Marc Halévy. Il la situe, sans détails, dans les Correspondances. J'achète les Correspondances, je fouille dedans, nulle trace de la phrase. Le faux est, pour moi, avéré. Pour moi et pour beaucoup d'autres : la seconde édition du livre, que j'ai également dû acheter, supprime cette fausse entrée et ajoute un léger surcroît de rigueur en précisant les sources : là où la première édition disait simplement « Ethique », la seconde dit « Ethique, IV, 50 ». Je suis agréablement surpris de voir une maison d'édition réagir à un cas de fausse citation et en tirer les leçons. Au moins dans un livre, parce que les éditions Eyrolles, ce n'est plus ce que c'était ... Et cette leçon on doit la tirer aussi : un nom d'auteur ne suffit pas. Il faut exiger les détails et en l'absence de détails, se méfier.

Le style
Si le style ne semble pas correspondre au style de l'auteur, méfiance
S'intéresser au style exige de connaître un peu les auteurs, mais un cursus scolaire même minimal nous rend familier de quelques auteurs faciles. Il est facile de reconnaître du La Fontaine par exemple. Nous avons tous copié, appris par cœur, récité des fables de La Fontaine, et donc une phrase qui se prétend être de lui tout en n'ayant pas sa patte et son style devrait nous pousser à la méfiance. Cet exemple n'est pas innocent.

J'ai vu passer sur les réseaux sociaux cette phrase : « l'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité ». On est d'accord, ça ne sent pas le La Fontaine. Les internautes ne se posent pourtant pas de questions quand ils en font la morale de la fable Le chien et le Loup. Je pensais ce faux trop grossier pour apparaître ailleurs que sur Facebook. Mais j'ai eu tort ; j'ai oublié qu'on ne devrait jamais sous-estimer la bêtise. Pierre Garcin, en 2005, aux éditions Armand Colin, l'utilise dans Sécurité Insécurité. Elle réapparaît en 2009 dans un roman historique chez Calmann-Lévy, en 2015, dans La culture générale aux concours et Réussir tous les concours en 2017 aux éditions Ellipses. Et là pour moi c'est un scandale, d'autant plus qu'on découvre avec une rapidité déconcertante l'origine de l'erreur : une lecture hâtive du Que sais-je ? de Maurice Flamant, Le libéralisme contemporain. On trouve dans la conclusion de ce livre le passage suivant :

« L'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité (La Fontaine l'avait dit de façon malicieuse dans Le Loup et le Chien, I,V). C'est là ce que l'on pourrait appeler : l'illusion sécuritaire. Elle s'explique ainsi : face à l'évolution rapide de notre société, bien des gens—dans tous les milieux d'ailleurs—se sentent menacés ; ils voudraient être d'avantage protégés. »

Entre ces parenthèses, ce n'est pas l'auteur de la phrase, qui est bien Maurice Flamant, mais le rappel que cette tension entre liberté et sécurité se trouve exprimée par La Fontaine, dit-il, « de façon malicieuse ». Nulle malice dans cette phrase que l'on prête au fabuliste. Ce parallèle est d'autant moins légitime que l'on sait les fables de La Fontaine indissociables de leur contexte politique, celui de la cour de Louis XIV, qu'il critique vertement dans ses fables. Ce n'est pas tant une critique du citoyen inquiet de sa sécurité que du noble heureux d'être réduit au statut ingrat de courtisan et la défense de l'indépendance de la vieille noblesse qui refuse ce jeu. Les courtisans sont d'autant moins en sécurité qu'ils sont soumis à l'arbitraire du roi et aux manigances de leurs adversaires à la cour … (voir Les animaux malades de la peste). Tout à jeter donc.

Ainsi on le voit, quand le style de la citation semble éloigné de ce que l'on sait du style de l'auteur, se méfier.

Le contenu
Si ce que dit la formule semble contraire aux idées de l'auteur, méfiance
Enfin, il faut regarder le contenu. Ce dernier point exige une connaissance plus approfondie de l'auteur prétendument cité, on ne peut donc pas être en mesure de juger de toutes les citations qu'on voit passer, mais enfin parfois, l'écart entre ce que l'on sait de la pensée ou de l’œuvre de l'auteur et le contenu de la citation nous pousse à douter de sa véracité.

Par exemple, je trouve dans une papillote une phrase qui ressemble à du Oscar Wilde : « Hâtons-nous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne ». Le nom de l'auteur malheureusement est coupé, je n'en ai que la première lettre : E. Je pense sans conviction à Erasme, à son éloge de la folie, mais sur internet cette phrase est largement attribuée à Epicure. Et là je m'étrangle. On la retrouve dans de mauvais romans, dont un de Giesbert et un recueil de citations d'Epicure, aux éditions de l'Opportun, dont le commentaire contredit la fausse citation ! On a de la chance pourtant avec Epicure : nous n'avons de lui que trois lettres et deux séries de sentences et de maximes. Il est donc facile de vérifier. On trouve bien une sentence vaticane proche dans l'idée mais très différente dans sa forme (sentence 14), qui doit cependant être replacée dans la pensée de l'auteur. Se hâter, de crainte de voir une tentation s'éloigner de nous, c'est contraire au contrôle des désirs auquel nous invite Epicure. Il suffit pour s'en convaincre de lire la courte lettre à Ménécée (ici page 2) :

précisément parce que le plaisir est notre bien principal et inné, nous ne cherchons pas tout le plaisir; il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs s’il en résulte pour nous de l’ennui. Et nous jugeons beaucoup de douleurs préférables aux plaisirs lorsque, des souffrances que nous avons endurées pendant longtemps, il résulte pour nous un plaisir plus élevé. Tout plaisir ne doit pas être recherché; pareillement, toute douleur est un mal, mais toute douleur ne doit pas être évitée à tout prix. En tout cas, il convient de décider de tout cela en comparant et en examinant attentivement ce qui est utile et ce qui est nuisible, car nous en usons parfois avec le bien comme s’il était le mal, et avec le mal comme s’il était le bien. 

Ou encore la sentence vaticane 5 : « Il n'est pas possible de vivre avec plaisir sans vivre de façon prudente, bonne et juste. Et quand cela n'est pas, il n'est pas possible de vivre avec plaisir. » Ce n'est pas prudent de se hâter vers une tentation sans d'abord avoir cherché à vérifier si un plus grand mal ne risque pas d'en résulter. Donc à jeter.

Celui qui cite
Si rien ne permet de penser que la citation est tirée d'une lecture personnelle, méfiance
Il y a des internautes et des groupes sur les réseaux sociaux dont le manque de sérieux saute aux yeux. Il suffit de voir ce qu'ils postent en général. Les citations leur sont des memes comme les autres, qui n'ont de valeur que dans l'engagement qu'ils suscitent : likes, commentaires, partages. Dans un besoin de visibilité constante, ces comptes et ces pages postent très régulièrement des contenus vides, minimaux, repris d'ailleurs, sans aucune vérification et sans que cela ne reflète la moindre familiarité avec l'auteur prétendument cité. Toujours se méfier de ces comptes qui ne vérifient pas ce qu'ils diffusent. Et de ceux qui les partagent.

Comment s'assurer que la citation résulte d'une lecture personnelle ? La rareté du texte cité, des références exactes, la qualité du paratexte. Le paratexte est le texte ajouté autour de la citation pour présenter l'auteur ou l'intérêt du texte cité. Ce paratexte, il est amusant parfois de le rechercher sur les réseaux sociaux : souvent, les internautes ne se contentent pas de reprendre les citations des autres, mais aussi le paratexte et les photos qui accompagnent les citations. On peut ainsi voir si l'internaute a réfléchi à ce qu'il poste ou s'il s'est contenté de copier un texte tout fait. Pour reprendre l'exemple du faux extrait de Günther Anders, on trouve deux principaux paratextes :

C'est ce que nous observons de nos jours, tout est parfaitement dit, avec une lucidité saisissante, dans cette réflexion prémonitoire du philosophe Allemand Günther Anders, dans son ouvrage, « L’obsolescence de l’homme », en 1956.

avec cette variante, plus courte :
C'est en 1956 que le philosophe Allemand Günther Anders écrivit cette réflexion prémonitoire

et cette seconde :
LA MANIPULATION DES MASSES
En 1956, Le philosophe allemand Günter Anders a écrit un livre sur la manipulation des masses. Il a nommé ce livre “Obsolescence de l’homme ”. Ces phrases dangereuses ont marqués l’histoire , et surtout le XXI ème siècle. Voici un résumé de ces propos

Il suffit d'effectuer une recherche sur le paratexte, s'il se retrouve ailleurs à l'identique, méfiance. Si au contraire, le commentaire ne se retrouve nulle part, il y a de fortes chances pour qu'il accompagne une véritable lecture.

Les raisons pour lesquelles il cite
Se méfier si l'usage de la citation est d'ordre narcissique, cosmétique ou polémique
Il y des raisons tout à fait louables de partager un texte : parce qu'on vient de le découvrir, parce qu'il nourrit une réflexion, parce que c'est un texte qui nous parle ou nous touche. Cela évidemment ne garantie pas en soi la fiabilité de la citation : combien de personnes partagent des faux parce que ces faux les touchent ? Mais enfin, avec les autres critères, avec le paratexte, avec les réponses que nous fait la personne quand on l'interroge sur la manière dont elle a découvert le texte, on peut jauger.

Il y a des raisons par contre que j'estime illégitimes parce qu'elles ne supposent en rien de connaître ou d'apprécier l'auteur. Ces usages ont donc plus de risques d'être trompeurs.

Le premier consiste à créer de la visibilité sur les réseaux sociaux grâce à du contenu facile, repris d'autres comptes. Et forcément non vérifié. Ces comptes partagent indifféremment vidéos virales, memes, citations et n'apportent en général rien de plus. Il vaudrait mieux donc éviter de les citer aveuglément. Il en va de même pour les groupes. Sur Facebook, le groupe « Ferré, Baudelaire, Verlaine et autres poètes » diffuse beaucoup de fausses citations. La seconde citation qui apparaît au moment où je le consulte est  : « J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant » de Jacques Prévert. Partagée par une « contributrice star ». Elle me paraît juste mais je vérifie malgré tout : je ne trouve aucune source première, aucun texte de Prévert avec cette phrase. Une recherche un peu plus approfondie me permet de dire qu'elle est, dès 1963, attribuée à Louis Jouvet, qui a beaucoup circulé. Les premières attributions à Prévert que je trouve datent de 1989, attributions qui explosent au XXIe. Seulement voilà : il semble que deux sources de 1957 attribuent la formule à André Breton : Mac Orlan dans Paris Match et un intervenant dans une interview donnée à la revue Preuves. Sources qu'il m'a été impossible de vérifier d'aucune manière. GoogleBooks on le voit n'est pas un outil parfait. Ce que j'ai trouvé suffit à rejeter la citation. Il semble plus sûr de l'attribuer à Jouvet, même si c'est sur la foi de sources secondaires (témoignages de proches, repris tout de même pendant 40 ans), voire à Breton après vérification des sources de 1957.

Un peu plus loin je vois cette formule de Balzac donnée sans commentaires : « la puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste ». Une rapide recherche dans GoogleBooks me donne immédiatement un résultat de Balzac. La citation est donc juste. Mais est-elle bien comprise ? J'ouvre le document, la phrase se trouve dans sa Physiologie du Mariage, dans le Catéchisme conjugal. Ce n'est pas un aphorisme sur la puissance, mais sur la manière de battre sa femme. Correctement identifier un auteur ne suffit pas pour que la citation soit juste : il faut aussi identifier le contexte.

Le deuxième mauvais usage, présent aussi bien en ligne que dans les livres et les revues consiste à donner un bonbon. C'est comme cela que j'appelle le fait de clore un chapitre ou un article sur une citation qui ne sera pas exploitée ni commentée, qui n'a qu'un vague rapport avec ce qui précède mais qui satisfait le lecteur parce qu'au moins il repartira avec une petite phrase édifiante qu'il pourra tourner en bouche et répéter. Mais on peut élargir cela au fait de mettre une citation en paratexte, en ouverture de chapitre ou de livre, sans commentaire aucun, afin de gonfler artificiellement et l'ego de l'auteur et l'intérêt du texte.

Enfin, les citations peuvent servir à clouer le bec, à intimider et à produire un effet de souffle. Si quelqu'un, dans un débat, est en mesure de citer un grand auteur, c'est qu'il le connaît bien. Ça c'est typiquement l'usage que des chroniqueurs comme Raphaël Enthoven font des citations. Quand ce dernier est menacé, il se cache derrière des cascades de grands auteurs, si bien que son adversaire n'est plus seulement face à Enthoven mais à Bergson, Lucrèce, Leibniz, kant, etc. et ne sait même plus ni qui ni où frapper. Cela s'est vu dans son débat contre MrPhi, qui s'est retrouvé incapable de répondre parce que noyé sous des références gratuites qui l'obligent à attaquer trois âneries en même temps. Pareil quand on se cache derrière un faux Voltaire pour intimider ses adversaires et ruiner à peu de frais leurs positions aux yeux du public. Chose qu'on a beaucoup vu à partir de 2015. Or dans un tel usage, la véracité de la citation, la pertinence de l'évocation, est seconde. Ce qui compte, c'est sa puissance. Son efficacité. Il faut donc se méfier quand on sent qu'on cherche à clore une discussion avec une citation.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.