Ce n’est pas tous les jours, ni même tous les ans, que l’on a assiste ahuri à l’éclosion d’un talent que l’on sent rare et durable[i]. Zaho de Sagazan a ambiancé ce premier semestre de sa voix mordorée[ii] et de ses histoires de jeune femme interrogeant les êtres et le monde[iii]. Dans un entretien, elle a confessé avoir l’ambition d’écrire des chansons qui marquent ses contemporains[iv]. C’est déjà fait avec son premier album « Symphonie des éclairs », et avec cette chanson « les dormantes » qui restera sans doute dans la bande originale des années Me Too.
Le texte offre en effet une magnifique déconstruction des schèmes toxiques dans le couple. Il décrypte les mythologies associées à l’amour sans pour autant verser dans aucun nihilisme, pour mieux dénoncer la perversité des narcisses en ménage et la désorientation de leurs partenaires. Le tout est balancé sur une musique dansante avec une articulation qui évoque aussi bien Brel que Barbara ou Piaf. Ça bouge et ça pense, c’est intelligent et c’est sensible, légèrement désabusé mais surtout bellement empathique. Ça reste en mémoire de l’auditeur et ça passera de génération en génération.
(1181) Zaho de Sagazan - Les dormantes (Clip Officiel) - YouTube
Un signe que l’on affaire à un classique en devenir est cette envie pour l’enseignant de s’en servir comme médium pour parler des pathologies familiales et des violences conjugales avec des élèves. Pour les sujets les plus difficiles, les plus sensibles à aborder, la chanson est souvent une clé qui libère bien des paroles. Quelle magnifique grande sœur pour des jeunes faisant leur chemin en marchant[v] que cette ritournelle en forme d’avertissement. Quel révélateur, peut-être, pour des personnes plus âgées et possiblement dans « les filets » d’un compagnon toxique et ne sachant pas forcément « qu’elles y sont ».
Reste une chanson pour rendre possible, encore et encore, « les plus belles histoires à deux, les plus beaux amours heureux ».
[i] Zaho de Sagazan, une voix qui s’élance (telerama.fr)
[ii] Le mot m’est venu intuitivement. Une fois vérifiée, la définition me paraît coller parfaitement : « Mordoré se dit d'un objet présentant des reflets dorés, le plus souvent sur un aspect brun. Ce n'est pas un adjectif de couleur à proprement parler ; la texture, le brillant, les reflets chauds, jaune-orangé, qualifient une surface mordorée. » Mordoré — Wikipédia (wikipedia.org)
[iii] Voir le très beau clip de la « symphonie des éclairs » qui donne son titre à l’album (1186) Zaho de Sagazan - La symphonie des éclairs (Clip Officiel) - YouTube
[iv] A 13 ans toujours, elle cesse la danse « pour découvrir l’ennui », qu’elle occupe en écoutant en boucle le chanteur et pianiste britannique Tom Odell. « Je voulais faire comme lui. Il y avait un piano dans une pièce très froide de la maison, je m’y suis mise, pour ne plus le quitter ensuite. J’ai commencé à écrire, persuadée que je signerai de grandes chansons ! Aujourd’hui, j’ai évidemment beaucoup plus de doutes… » Alors, elle s’en remet à l’adage brélien « Le talent, c’est de la sueur. » La chanteuse Zaho de Sagazan rêve d’amour fou (lemonde.fr)
[v] « Voyageur, le chemin C’est les traces de tes pas C’est tout ; voyageur, il n’y a pas de chemin, Le chemin se fait en marchant Le chemin se fait en marchant Et quand tu regardes en arrière Tu vois le sentier que jamais Tu ne dois à nouveau fouler » (A. Machado) Antonio Machado : Le chemin - Les Mots à la Bouche (lesmotsalabouche.com)